Les Editions
Phoenix viennent coup sur coup de publier quelques livres majeurs que j’ai lus
pour vous : Le Grand Tournant Du
XXème Siècle - un regard Africain sur le siècle des ruptures de
Landing Savané et Châtiments du Docteur Mama Moussa Diaw.
Commençons donc par Le Grand Tournant (tome 1) de Landing Savané
I- Le Grand Tournant Du XXème Siècle - un regard Africain sur le siècle
des ruptures de Landing Savané, Les Editions Phoenix, 2010.
* Saisir la temporalité propre à
chaque génération pour pouvoir définir les missions à accomplir.
Contre
une certaine tendance qui consiste à tout ramener à la politique politicienne, enveloppant
toujours dans une ignorance totale des pensées d’autrui, j’ai donc lu avec
attention Le Grand Tournant pour voir
et entendre ce que Landing Savané veut nous dire.
Par
une argumentation documentée, cohérente et fluide, l’auteur partage avec nous
ses craintes, ses angoisses, mais aussi ses espoirs et ses attentes. Il passe
au crible autant les institutions que les figures d’intermédiation qui ont la
lourde responsabilité de s’occuper du destin de l’Afrique.
Il
met en exergue le corps individuel (intéressants développements sur le sport). Il
sait de quoi il parle. Il a vécu dans la chair le drame de l’isolement.
Lui,
cet ancien prisonnier de Senghor et Diouf, ne peut être que sensible aux
trajectoires et mouvements des corps individuels (chapitres sur la
jeunesse/vieillesse/villes et Migrations).
Dès
les premières pages, il nous parle de son parcours politique et de sa trajectoire professionnelle pour
mieux nous donner des clefs de lecture sur son essai. Il commence à
montrer par des faits scientifiques et
techniques pourquoi le 20 ème siècle est celui des ruptures. Comme il faut
nécessairement une périodisation qui fait sens, il situe le « début » du vingtième siècle
vers les années 1885.
Partant
de la Révolution Scientifique et Technique, l’Expansion Coloniale, les Guerres
et les Révolutions Politiques de 1900 à 1950, il revient sur l’Evolution
Sociodémographique, la Conquête de l’Espace et la Révolution Informatique, la
Mondialisation, etc. Pour nous
montrer l’impact des transformations technologiques et scientifiques dans nos
vies quotidiennes, tous ces thèmes sont parfois revisités à partir de certains
concepts (fussent-ils discutables) comme ceux d’objets
nomades de Jacques Attali, d’ « objet –monde » de Michel Serres.
Ils permettent au lecteur comme moi de voir comment l’analyse de l’auteur est centrée
sur la problématique du corps
individuel/corps social.
Cette problématique du corps individuel / corps social, Savané
la ramène dans une dialectique changement/continuité, universalisation et
localisation de l’action, de la pensée, du dire.
En excellent statisticien, il analyse les paramètres de
dispersion, c’est à dire les écarts décisifs entre les figures visibles, ressuscitées
et les chairs oubliées, martyrisées. En
observateur averti, il déchiffre la topographie de la situation économique. En
théoricien et acteur, il effectue une analyse des écarts entre les conditions
économiques et sociales des peuples et il propose une réorganisation. Bref, il
recueille et traite les fragments des totalités, les ensembles vides des
organisations géopolitiques, afin qu’ils soient transformés en supports réels pour
le développement.
En
fait, l’analyse statistique au cœur du livre de Monsieur Savané est du plus
haut intérêt pour saisir les mécanismes et les enjeux économiques de la
division internationale du travail et de l’ordre économique mondial.
La
conséquence, toute savanienne, du recours à la notion de tournant, est que si
tout phénomène humain est passible d’une explication multiple, en dernière
instance c’est l’économie qui est le facteur dominant. Pour lui, c’est avec les
armes de la rationalité industrielle et capitaliste que la liberté des exploités pourrait se
réaliser. Il faut dire que cet appel s’il n’est pas nouveau, est d’une
actualité brûlante.
Pour
lui l’urgence est de trouver des solutions aux problèmes de pauvreté, de
sécurité, en réfléchissant sur les phénomènes nouveaux comme la mondialisation,
l’émergence, les technologies. Oui ! Mais, comment concilier un
développement durable dans un paradigme fondé sur la rationalité
instrumentale ? Question difficile qui se pose à l’Afrique. En effet,
pourquoi malgré (ou à cause) du
réchauffement climatique l’Afrique (n’aurait – elle pas) ou aurait le droit de
choisir des politiques industrielles ou économiques qui ont assuré le
développement d’autres pays ?
Quelle
que soit la lecture qu’on aura, ce livre soulève chez le lecteur d’autres
questions : comment effectuer un développement harmonieux du monde à
partir du paradigme utilitariste qui nourrit l’économie ? Comment
considérer l’Afrique dans le monde ? L’Afrique est-elle « objet ou sujet » monde ? Comment entendre
ensemble, sans dissonances la langue des usines et des ordinateurs, la langue
des laissés pour compte et des dirigeants, la langue du sous développement et
du développement ?
De
même si l’Afrique est une partie du
monde alors le rapport à l’Afrique est donc un rapport au monde c’est-à-dire à
un rapport à une totalité ou l’Afrique est à la fois sujet et objet.
S’il
y a bien une temporalité propre à chaque génération, il revient comme l’a bien
souligné Stephane Douailler[1], aux anciens colonisés et exploités, non
seulement de se donner une conscience d’eux-mêmes comme sujets, mais aussi
d’effectuer les combats spécifiques que ce soit dans le domaine des arts, de
l’industrie, du commerce, etc.
Il est vrai par exemple que l’entrée des colonisés dans
le temps politique des prolétaires blancs a aussi permis le moment poétique du
chant nègre et malgache lisible dans l’Anthologie
réunie par Senghor.
A cause des débats qu’il suscite le livre de Landing
Savané est une invitation à la réflexion sur des
phénomènes aussi bien anciens que nouveaux : la pauvreté, la mondialisation,
l’émergence, les technologies, etc. Il est vrai que cette approche est
fondamentale dans une étude anthropologique de l’Afrique ainsi qu’à la
compréhension de sa variabilité sociologique.
On peut certes discuter de la justesse du combat
politique de l’auteur, rejeter ou non ses idées, ses convictions, mais on doit
reconnaître la profondeur de son analyse de la situation de l’Afrique dans le
monde à travers les âges.
Au lecteur de faire la part entre l’homme politique et
l’excellent statisticien qui nous éclaire sur le monde en mouvement. A la
lecture de ce livre on ne peut pas parler d’ajustement, ni d’opposition
conjointe à l’ordre capitaliste et colonial, d’un ancien maoïste. Ce livre
n’est donc pas celui du jeune Landing comme dirait Althusser. C’est le produit
d‘une expérience professionnelle accumulée dans le temps et le parcours dans
l’espace politique d’un homme. L’ancien élève de L’ENSAE lance donc une
invitation à la paix, au bonheur partagé, à la solidarité entre les nations. Au
delà de sa maîtrise de l’analyse statistique, Landing Savané prouve toute sa
connaissance fine de la marche du monde. Il s’agit également d’un livre
politique, mais pas politicien. On y retrouve beaucoup de thèmes de combats
politiques chers à l’auteur. De ce point de vue, il sert autant l’intellectuel,
l’homme ou la femme politique que le simple citoyen soucieux de comprendre la
marche du monde.
En
cela, il suggère aux générations actuelles et futures de ne plus se cantonner
dans une innocence radicale, ni dans une poésie de cette innocence. Il ne
s’agit plus de chercher à pulvériser le langage des nouvelles technologies,
mais de se les approprier et d’y ajouter les particularités locales.
Admettez-le, il s’agit là d’un appel sympathique pour l’harmonie du monde.
Pour terminer j’ai quelques questions à Monsieur Savané :
Que faire si la politique fait déserter les terres africaines ? Comment prendre
(le virage) le Grand Tournant? Faut-il une semi-rotation ou une rotation
totale? Que faire alors des forces centrifuges? Faut-il s’exiler pour ne pas
prendre le Tournant ? Et
l’hypothèse communiste comme dit Alain Badiou – d’actualité ou morte - ?
Si on ne s’y prend pas garde,
nous suggère Savané, certaines langues risquent de s’éteindre dans ce Grand
Tournant. Est-ce à dire qu’il vaudrait mieux prendre le Grand Tournant pour
échapper aux Châtiments. Mais que doivent faire alors ceux qui pensent que le
Grand Tournant nous mène vers les Châtiments ?
En tous cas, moi j’ai lu pour vous Châtiments du docteur Mama Moussa Diaw. A votre tour !
II – Châtiments, Mama
Moussa Diaw, Les Editions Phoenix, 2010
* Les
violences psychiques, physiques, sociales et symboliques sur les enfants
Mama Moussa
Diaw, ce médecin,
habitué à diagnostiquer les maladies du corps humain, arrive à nous offrir dans ce roman ses riches observations non
seulement sur la société sénégalaise, mais aussi les interactions entre les
citoyens de ce pays et des étrangers.
Certes,
derrière l’excellent titre de ce roman se cache une description minutieuse du
Sénégal d’aujourd’hui, mais, il traite également d’autres problèmes de société
du monde européen aussi tels que la gestion et le traitement de la
gérontocratie européenne.
Que
ce soit Seydou, le personnage principal du roman, ou Marcel, tous les
personnages du roman apparaissent comme des sujets qui veulent se reconstruire
perpétuellement dans des actes, dans des élocutions, dans des espaces
constamment fugaces. Certes, à la différence des adultes, le jeune Seydou est à
la recherche des droits (politiques, civils, droits de l’homme), mais il
représente le personnage romantique et conceptuel de l’enfant talibé. (L’enfant
talibé y devient non seulement la figure pathétique de la victime mais aussi une
réalité conceptuelle).
En
fait, que ce soit le maître Thierno, Marcel ou le touriste Bruno, tous ces
personnages du roman, grâce au pouvoir de l’argent et à une solidarité dans la
dépravation, entretiennent des rapports privilégiés avec des autorités politiques,
étatiques. A n’en pas douter, Mama Moussa Diaw démontre à travers ce roman, la
maîtrise de ce sujet social souvent tabou : il montre la place essentielle
du sacré et du sacrifice au cœur du religieux.
Les
contradictions dans les attitudes et comportements des adultes que l’auteur
révèle, nous renvoient aussi, en partie à nos contradictions propres, à notre
société comme totalité. Derrière un soi-disant processus d'éducation
religieuse, se profile une volonté d'anéantissement totale de nos valeurs
héritées du passé et de notre futur que constitue la jeunesse.
C’est
dire que le problème intellectuel de la structure religieuse ne doit pas
servir à cacher le problème affectif,
existentiel, éthique, réactionnel et violent du sacrifice. En exigeant à
l’enfant de faire don de soi, s’approprier son corps en sus devient moralement
plus que discutable!
N’est-ce
pas la sacralité de l’enseignement religieux qui permet tous ces abus, en
cultivant notamment le secret ?
On
dirait que chacun se tait et ne veut pas chercher à comprendre pour ne pas salir
et se salir. Ces acteurs se sont tellement endettés moralement qu’il est
difficile qu’une des parties puisse payer sa dette vis-à-vis de l’autre. Oui
endetté !
En effet, l’échange et le rapport à l’argent perceptibles
dans les pratiques de (avec) ces talibés
montrent non seulement l’importance de la dette, des réseaux appartenances et
des solidarités malsaines entre adultes qui se tiennent ainsi en secret mais
aussi ….. de l’argent sale, monnaie des morts « sociaux ». Le maitre, l’homme d’affaire,
l’enquêteur, le juge, le faux marabout, ils sont devenus presque fous à cause
de l’argent. Mais, en réalité, ils vivent leur sexualité comme s’ils voulaient
sortir de leur mémoire cette douleur profonde qu’ils avaient stockée au cours
depuis de nombreuses années.
On voit donc que la monnaie joue un rôle actif dans le
processus de légitimation et de la souveraineté de l’éducation religieuse, mais
aussi elle est un facteur déterminant dans ce que les sénégalais aiment appeler
« la perte des valeurs ».
Ainsi, si Châtiments peut apparaitre
parfois comme expression de colère contre les adultes, il est aussi un appel à
la liberté et à la fraternité.
Ce
roman est donc une invitation à la réflexion sur la société, il interpelle
autant les formes symboliques que nos croyances religieuses, notamment
l’éducation religieuse.
En réalité ce
livre nous donne à voir le processus de la délocalisation inscrite dans la
globalisation et met le doigt sur les réseaux, les complicités nationales et internationales de
ces violences psychiques, physiques, sociales et symboliques sur les enfants.
Ainsi, l’auteur nous avertit-il sur les dangers de certaines formes de tourisme qui conduisent à faire de notre pays, un
terreau idéal pour la pédophilie.
A la
différence de Victor Hugo chez qui Les châtiments sont comme un poème de
l’expiation, chez Mama Moussa, c’est
comme une critique, une autocritique du social. Il ne s’agit pas pour notre
auteur de dénoncer simplement la violence, il s’agit aussi d’esquisser des
rectifications, de proposer un éventail de solutions. Mais, il se rapproche
aussi du Victor Hugo de " Les
Misérables" qui proclame « Ouvre des écoles, vous fermerez les prisons. » Hélas,
sous nos cieux, les écoles peuvent se transformer en prisons.
En résumé, disons que la
fécondité de cette grande œuvre littéraire ne s’explique pas seulement par les
expériences multiples de l’auteur Mama Moussa Diaw sur la société, mais elle se
nourrit aussi de la trajectoire sociale et culturelle même de l’auteur.
Répétons-le, par une convergence qui ne peut être le
fruit du hasard, les observations du docteur Diaw corroborent, de façon
frappante, les exigences littéraires mais aussi les exigences ethnographiques
des conditions de vie des populations concernées. A ce titre, ce livre
constitue une source importante de documentation pour les sociologues, les
anthropologues et les responsables des politiques publiques ainsi que pour tous
ceux qui veulent apporter des contributions à la résolution des problèmes de
l’enfance. Dr Diaw « réinvente », à partir d’un site fictif ou réel, une sorte
d’anthropologie de l’éducation en prêtant précisément attention à la symbolique
des faits.
Châtiments est, en résume,
un appel à la réflexion sur notre société, sur nos valeurs, en particulier
l’Islam.
Par Mahamadou Lamine Sagna
Directeur Editorial des Editions Phoenix
N.B. * les
sous-titres en italique sont de moi et non de l’auteur
Tous les points de vente de Phoenix peuvent être
retrouvés dans www.editionsphoenix.com
[1] Stéphane Douailler, Réponse à Lamine
Sagna, (débat sur le recueil de poèmes) Afrique : peuples de Paroles et de Lumière de
Nicole Barrière, in Seneweb, Lu pour Vous, 2010
2 Commentaires
Pesss
En Décembre, 2010 (17:58 PM)Lady Diana
En Décembre, 2010 (17:16 PM)Participer à la Discussion