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Ces derniers jours, l’histoire des contrats de migration circulaire entre le Sénégal et l’Espagne a déchainé beaucoup de passions dans notre pays. S’il est vrai que la crise migratoire crée un véritable malaise tant dans les pays d’origine que dans les pays de destination des migrants, il n’en demeure pas moins vrai que les réactions publiques plus souvent fondées sur les émotions que sur des faits avérés, risquent de davantage compliquer le problème que de lui trouver une solution viable. Une meilleure coordination des politiques pourrait donner des résultats bien meilleurs que les réactions épidermiques que l’on observe de plus en plus dans les pays impliqués.
Les flux migratoires transméditerranéens. Quand le mythe prend le dessus sur la réalité !
La migration est un sujet qui charrie beaucoup de passion, presque partout au monde. La complexité du phénomène et la faiblesse des preuves scientifiques concernant son ampleur, ses déterminants et conséquences, donnent lieu à beaucoup de fausses représentations qui comportent le risque certain de dévoyer les politiques migratoires. Il faut dire que la multiplicité des routes migratoires et le fait que les statistiques disponibles soient souvent celles compilées par les pays de destination, ne facilitent pas une bonne appréciation du phénomène. Deux sources de données contribuent significativement à comprendre la migration entre l’Afrique, le Sénégal en particulier, et l’Europe : les données du projet MAFE (Migration between Africa and Europe) et les données de suivi des flux migratoires en Afrique de l’ouest et du centre, développées par l’Organisation Internationale des Migrations. La première source consiste en des enquêtes approfondies de la question migratoire visant trois pays africains (Congo, Ghana, Sénégal) et six pays européens (Belgique, France, Hollande, Italie, Espagne, Royaume Uni), portant aussi bien sur les migrants que sur les communautés d’origine. Concernant la seconde source, elle est compilée à partir de points de passage, soigneusement identifiés, des migrants cherchant à rallier l’Europe à partir du continent africain. Le croisement de ces données permet d’éclairer beaucoup de zones d’ombre de la migration entre l’Afrique et l’Europe.
D’abord, la perception d’une « invasion » de l’Europe par les africains, ne repose sur aucune base scientifique. La migration africaine est essentiellement interne et n’est que marginalement internationale. L’Afrique ne compte que pour 14% dans les mouvements internationaux de personnes, contre 41% pour l’Asie et 24% pour l’Europe. En Europe, la migration africaine reste également marginale, les africains constituent une infime minorité dans l’ensemble des populations expatriées (seulement 12% des immigrés établis en Europe), même si elle croit plus vite que celle des autres nationalités.
Ensuite, la migration africaine en Europe est d’abord une affaire d’élite. Il est estimé qu’en moyenne, 12.9% des africains ayant atteint le niveau du baccalauréat ou un niveau d’éducation supérieure ont migré dans un pays de l’OCDE, contrastant avec seulement 1% pour les nord-américains, 5% pour les asiatiques et 7% pour les autres continents. Ce chiffre contraste également avec une proportion de seulement 0.9% de la population totale africaine ayant migré dans les mêmes pays. Les migrants africains, en Europe, occupent souvent des emplois sous-qualifiés pour eux et sont payés en deçà de leur qualification. Plus important, ces migrants ne s’installent pas souvent définitivement, beaucoup parmi eux reviennent en Afrique et lorsqu’ils rentrent, ils y occupent des positions souvent plus valorisantes et mieux payées que ce qu’ils avaient eu Europe. Concernant l’Espagne et l’Italie, la situation est quelque peu différente, ces destinations étant plus récentes que la France, et attirant beaucoup plus de migrants non qualifiés, qui ont davantage tendance à rester définitivement dans le pays d’accueil.
Concernant les facteurs qui motivent les gens à migrer, ce sont dans l’ordre : les facteurs économiques, les facteurs liés à la famille et l’existence de réseaux d’accueil dans le pays de destination. Le désir de trouver une meilleure situation économique est celui qui motive plus de 73% des migrants. Il est immédiatement suivi par le besoin de regroupement familial, et enfin l’existence de réseaux religieux ou de parenté, dans le pays d’accueil. Ce dernier facteur joue un rôle non négligeable pour expliquer pourquoi certaines communautés migrent plus souvent que d’autres, par exemple, pourquoi les soninkés et les peuls migrent-ils plus que les autres ethnies et pourquoi les maliens et les sénégalais migrent-ils plus que les autres africains. Ces réseaux contribuent à créer une image souvent surfaite du pays d’accueil, aident les futurs migrants à se préparer, et lorsqu’ils arrivent, les assistent avec l’hébergement, les papiers et les formalités d’installation. Toute politique visant à maitriser les flux migratoires devrait avoir comme première cible cette catégorie d’acteurs.
Crise de la jeunesse et de l’emploi : un symptôme, différentes causes
Les jeunesses africaines et du monde font face à une crise sans précédent, qui menacent l’existence même de nos systèmes politiques. Les estimations de l’institut Gallup indiquent que seuls 40% des emplois au USA sont des emplois de qualité. Même les diplômés des grandes universités occupent, de plus en plus, des positions pour lesquelles ils sont largement surqualifiés. L’emploi dans le secteur manufacturier est actuellement inférieur à 9% aux USA, contre plus de 32% dans les années 90. Les mêmes tendances baissières sont observées partout en Europe. La part du secteur manufacturier dans le PIB n’est que de 11.5% en Espagne et 9.7% en France. Le taux de chômage en Espagne (une destination majeure pour les sénégalais) tourne autour de 11% et pour les jeunes de moins de 25 ans, il est supérieur à 26% ! En Afrique, la situation est beaucoup plus catastrophique, avec des taux de chômage des diplômés des universités avoisinant les 30% (le cas du Sénégal), et des taux d’emplois vulnérables atteignant les 80%.
En Occident comme en Afrique, la crise du secteur manufacturier est la principale cause de la crise de l’emploi. En Afrique, ce secteur considéré comme le vivier des emplois décents occupe une faible part de l’emploi total (au Sénégal seulement 6%). Mais si en Afrique, la morosité de l’environnement des affaires explique la disparition du secteur manufacturier, en Occident, c’est plutôt l’automation et la robotique qui volent leurs emplois aux humains. Par conséquent, si la crise est manifestement plus aigüe en Afrique, l’occident est loin d’être une panacée.
Besoin d’une meilleure coordination des politiques nationales
La récente controverse autour des contrats saisonniers espagnols, révèle quelque chose d’important : la faiblesse des politiques migratoires de part et d’autre de la Méditerranée. En Europe, les gouvernements répondent à la clameur populaire provoquée par les images choquantes des navires déversant des flots de migrants sur les rives des villes côtières espagnoles et italiennes, en posant toujours un peu plus de restrictions sur les flux migratoires, contribuant à rendre permanents des flux antérieurement circulaires. Plus grave, tout laisse croire que les gouvernements européens veulent compter sur leurs homologues africains pour les aider à maitriser les flux migratoires provenant du continent. Ce qui est assez surprenant si on sait que les pays africains n’ont que très peu de contrôle sur leurs propres frontières.
Du côté africain, les gouvernements espèrent sous-traiter la responsabilité de donner des emplois aux jeunes à leurs homologues européens. Cette attente non plus risque de ne pas se réaliser, étant donné les difficultés économiques que connait l’Europe et l’émergence d’une opinion publique de plus en plus xénophobe qui perçoit l’immigration africaine comme une menace existentielle.
A mon avis, la vraie solution serait une coopération gagnant-gagnant, sur plusieurs fronts. E, particulier, l’Afrique a toujours besoin de l’Europe pour contrôler ses frontières. Les données satellitaires disponibles sur le commerce transfrontalier africain montrent que moins de 3% de ces flux commerciaux sont enregistrés dans les statistiques officielles. Les routes de la contrebande sont, malheureusement aussi, les routes de tous les trafics (migrants, drogue, marchandises contrefaites, armes, etc.). La sécurité fait partie de ce que les économistes appellent un bien public global : si tous les pays ont intérêt à un monde plus sécuritaire, aucun pays n’a intérêt à financer seul la sécurité. Les pays africains ne devraient avoir aucun complexe à réclamer aux autres leur contribution raisonnable pour la sécurisation des routes transsahariennes.
La sensibilisation et l’information jouent également un rôle essentiel. Les résultats des recherches expérimentales sur le sujet leur attribuent un impact déterminant sur les décisions des jeunes candidats à la migration. Mais la solution à long terme reste l’amélioration des moyens de subsistance par la création d’emplois de qualité.
1 Commentaires
Kakatar+1
il y a 6 jours (18:08 PM)de votre texte qui doivent être conjugués au PASSÉ. Si Entre 1960 et 1990...2000, la migration africaine en Europe était élitaire, elle ne l´est plus. Avant on envoyait des étudiants, des stagiares,... qui restaient. Maintenant ce sont des villages entiers qui vont en europe et ce qui est surtout remarquable, c´est que ces analphabès" vont même dans des pays qui ne nous ont pas colonisés. Norvége, Hollande, Danemark, Suéde, Pologne, Grèce, Turquie (surtout à cause de Turkish Airlines qui offre des prix de billets d´avions abordables.
Vous écrivez:
"D’abord, la perception d’une « invasion » de l’Europe par les africains, ne repose sur aucune base scientifique. La migration africaine est essentiellement interne et n’est que marginalement internationale. L’Afrique ne compte que pour 14% dans les mouvements internationaux de personnes, contre 41% pour l’Asie et 24% pour l’Europe. "
Vous pensez que la montée de l´extrême droite dans presque tous les pays européens est du au hasard?
"En Europe, la migration africaine reste également marginale, les africains constituent une infime minorité dans l’ensemble des populations expatriées (seulement 12% des immigrés établis en Europe), même si elle croit plus vite que celle des autres nationalités."
"Ensuite, la migration africaine en Europe est d’abord une affaire d’élite. Il est estimé qu’en moyenne, 12.9% des africains ayant atteint le niveau du baccalauréat ou un niveau d’éducation supérieure ont migré dans un pays de l’OCDE,"
Il y a plus de 30 ans je ne voyais que des étudiants, des diplomates et des travailleurs dans certains coins, Aujourdh´hui ce sont des hordes de Jeunes qui viennent sans visa ni invitation. Des femmes enceintes qui poussent
leur landau.... Il n´y a pas que les Afghans, les Irakiens, les Syriens, Iraniens, Sri lankais (Pays en guerre ou instabiles qui vont en europe. Mais aussi des Érythréens, somaliens, Sudanais, congolais,....pays en guerre...
Mais aussi des Marocains, Algériens, Tunisiens, Libyens, Tunisiens,... Sénégalais, Guinéens, Ghanaens, Ivoiriens....
Professeur ce sont des choses que je vois pour avoir fait plus de 40 Pays.
WEDI GUISS BOKKOU Cii.
KAKATAR*1
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