Il faut accepter que le 8 mars soit une journée de joie pour les femmes, pour mesurer leur degré d’avancement. D’énormes progrès ont été faits au niveau de la formation des femmes, de leur engagement, de leur détermination, de tout ce qu’elles font dans les secteurs d’activités politiques, économiques, sociales et culturels. J’en profite pour souhaiter à toutes les femmes du monde, à toutes les femmes africaines, à toutes les femmes sénégalaises un excellent mois de mars. L’égalité et l’équité avancent. Mais il reste encore beaucoup à faire. Nous ne devons pas oublier que les 365 jours de l’année nous appartiennent aussi.
Nous devons comprendre ce qu’est la femme. Qu’elle ait des ressources ou non, qu’elle soit intellectuelle, magistrate, paysanne ou autre, quoi qu’il en soit elle est là, et toute sa bataille, c’est pour l’épanouissement de sa famille.
Je pense beaucoup aux mamans, aux épouses, aux sœurs qui voient toujours leurs fils et même leurs frères périr au fond de l'océan ou se faire rejeter par les grosses vagues de la mer au niveau des plages. Quelle douleur de voir ces jeunes braves garçons mourir dans le désert, devenir esclaves ou prisonniers dans les pays frères frontaliers avec l'Europe ! Quelle douleur de voir une mère qui passe toute sa journée à vendre ses légumes, ses fruits au bord de la route, de voir la femme qui passe toute la journée à acheter, nettoyer et revendre du poisson, l'agricultrice qui bazarde sa récolte d'arachide aux Chinois ou aux gros banabanas véreux, d'autres qui bazardent leurs parures pour payer des rançons de centaines de milliers de francs pour libérer leurs fils retenus comme esclaves en Libye ou dans les autres pays arabes !
Malgré notre engagement pour l'équité, l'égalité, la justice qu’elle soit économique ou sociale, politique ou culturelle, etc., les mamans continuent toujours de célébrer la journée du 8 Mars de manière très digne.
Quels que soient les efforts que nous déployons, tant que nos progénitures actuelles et futures ne sont pas sécurisées, surtout celles du monde rural, des banlieues des grandes villes, nous, femmes, nous ne pouvons pas avoir l'autonomie que nous cherchons. Nous ne pouvons pas être autonomes sans notre souveraineté alimentaire. Nous ne pouvons célébrer la journée du 8 mars dans la joie tant que nos décideurs politiques ne mettent pas en œuvre des politiques agricoles, pastorales, halieutiques, hydriques qui prennent en compte une exploitation et une gouvernance durables de nos ressources naturelles (foncières, forestières, halieutiques, minières, hydriques). Ces politiques ne peuvent plus dépendre de la vision ou de la volonté des grandes institutions. La décentralisation que l'Etat prône depuis quelques années doit être définitive. Les financements doivent venir directement avec une démarche qui permet aux communautés de contrôler les finances et l'exécution par les élus locaux.
Nous ne pouvons célébrer le 8 Mars sans penser aux mamans qui pleurent encore ou réclament les corps de leurs enfants. Nous ne pouvons célébrer le 8 Mars sans penser aux enfants empoisonnés par les pesticides, aux maris et pères de Lending ? qui croupissent en prison au nom de leur refus face aux agissements des plus forts autour de leurs lopins de terre du domaine national avec lesquels ils nourrissaient leur famille, et en même temps en contribuant à la lutte contre les changements climatiques et contre la pollution dont la zone est victime. La même pensée pour les femmes et les jeunes de Ndéngler dont les parents aussi ont été roulés dans la même farine avec des promesses ou des engagements qui ne disent pas leur nom, et qui se retrouvent devant des titres fonciers venus par des voies qu'ils ignorent. La même pensée également pour les épouses des éleveurs de Ndiaél, qui depuis plus de 10 ans, vivent les incertitudes autour de leur zone de pâturage que d'autres véreux
continuent à se passer d'un promoteur à un autre depuis quelques années. Et nous ne savons pas aujourd'hui quel est le statut de ce foncier.
Il faut que ce 8 Mars soit un moment de communion de toutes les femmes.
Je profite de la tribune qui nous est donné lors de ce 8 mars pour inviter toutes les femmes du Sénégal, et particulièrement celles du monde rural, à profiter de cette journée, et de cette campagne électorale, pour avoir un langage de vérité vis-à-vis de nos différents candidats.
J'invite toutes les femmes à demander à ces personnes qui veulent présider à nos destinées leur vision, c'est-à-dire leur projet politique pour notre agriculture, notre élevage, notre pêche, les systèmes d'exploitation forestière face aux changements climatiques, face aux problèmes de migration dans la douleur. Les femmes et les jeunes doivent avoir des mécanismes d'évaluation des promesses électorales à chaque année pour pouvoir sanctionner au moment des élections locales ou parlementaires.
Essayons de leur exposer les problèmes réels que nous avons aujourd’hui autour de nos politiques agricoles. Quelles formations, quels modes de financement et quels systèmes de valorisation de toute la production agricole ? Comment industrialiser les différentes zones écologiques pour permettre de transformer localement les produits agricoles en créant des emplois pour la jeunesse avec un marché national et sous régional contrôlé par rapport aux produits importés ?
Quelle que soit notre volonté, nous, femmes, d’obtenir la terre, de cultiver, nous avons besoin, pour notre épanouissement, que ces terres restent d’abord les terres des communautés. Invitons le prochain président à finaliser la réforme foncière, pour éviter tout processus qui transformerait notre foncier en marchandise. Demandons au prochain président de faire en sorte que la réforme qui est en cours soit finalisée dans l’intérêt des communautés, que nous, femmes rurales, qui pratiquons l’élevage, l’agriculture, la pêche, la transformation, obtenions la justice. Cette réforme doit s’appuyer sur une vision politique agricole qui nous permette d’atteindre notre souveraineté alimentaire. C’est très difficile de parler de l’épanouissement des femmes et des communautés alors que la souveraineté alimentaire n’est pas acquise. Et dans le contexte actuel de changements climatiques, nous cherchons une souveraineté alimentaire qui soit durable et sécurise les générations futures, qui se repose sur des systèmes alimentaires durables et une bonne vision écologique. Essayons d’avoir une réforme foncière accompagnée d’une vision politique agricole qui freine l’exode rural et permette à nos jeunes garçons et filles de s’épanouir dignement dans leur propre milieu.
Refusons d’être utilisées seulement pour un électorat. Négocions, dialoguons, pour une meilleure considération de l’épanouissement du monde rural et de tout notre cher Sénégal.
Il faut que les terres restent nos terres, qu’elles soient exploitées, contrôlées et gouvernées par nous-mêmes, et donc par les communautés sénégalaises. Halte aux multinationales qui pensent pouvoir produire pour nous ou pour elles-mêmes, et s’accaparent de toutes nos ressources. L’agriculture sénégalaise doit être l’agriculture des communautés sénégalaises !
Mariam SOW, Enda Pronat
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