Il
semble que les retrouvailles de la « grande famille libérale » aient
relégué au second plan le bruyant procès de Karim Wade. En effet, depuis le
jour de la Tabaski, ces fameuses retrouvailles font les choux gras de la
presse. Ce n’est pas la première fois d’ailleurs que cette question est agitée
ça et là. Elle a commencé à prendre forme, cependant, avec la visite dite de
courtoisie que le Directeur politique du Président de la République a faite au
président Abdoulaye Wade, le jour de l’Aïd-el-Kébir. Les discussions que ce
dernier aurait eues avec son hôte se poursuivraient avec le Coordonnateur du
Pds, M. Oumar Sarr.
Le
même jour béni, après la prière à Guy Mazalik al jinaan, le Premier
Ministre Mohammed Boun Abdallah Dionne a remis au président Wade un
« message de respect et de santé » de son successeur. S’y ajoute les
sorties tonitruantes de Serigne Mbacké Ndiaye, chouchou que s’arrachent les
médias privés de la place. Il s’est ainsi largement épanché sur ce qu’il
appelle « le rapprochement entre Macky et Wade ». Après s’être
réjoui de l’attitude du Premier Ministre à l’égard de son patron, il confie à L’Observateur
du 8 octobre 2014 (page 7) : « Les retrouvailles de la famille
libérale, c’est mon combat de tous les jours. Quand je discute avec Macky Sall,
je sens qu’il a de l’admiration et du respect pour le président Wade. Quant au
président Abdoulaye Wade, je sais à quel point il a de l’estime pour Macky
Sall. » Et notre avocat des retrouvailles de la famille libérale de
constater que « la crise conjoncturelle » qui les oppose est
en train de se résorber, d’être dépassée en faveur de l’essentiel. Il exprime
sa grande joie « que l’on revienne à la normale » et son espoir
que « (les) échanges seront approfondis et à terme, vont arriver aux
retrouvailles de la grande famille libérale (sans lesquelles) Macky ira vers
des élections difficiles ». Il poursuit sa plaidoirie par
l’affirmation formelle que « le Parti socialiste aura son candidat en
2017, de même que l’Afp » et que, dans ces conditions, « la
seule chance de Macky Sall, c’est de se retrouver avec sa famille originelle
qu’est le Parti démocratique sénégalais ». Et, pour ferrer davantage
le président Sall, il rappelle, avec le même aplomb, que « la famille
libérale représente 70 % de l’électorat sénégalais ». Il termine sa
longue plaidoirie par une autre certitude, celle-là feinte comme les
précédentes, que les retrouvailles sont sur la bonne voie, parce que Macky Sall
avec qui il a discuté, est dans de bonnes dispositions. Nous ne serions donc
pas loin de ces fameuses « retrouvailles de la grande famille libérale »,
sans lesquelles les chances du président Macky Sall à un second mandat sont
minces, voire nulles. Et selon le vuvuzela de Wade et du Pds, la
condition sine qua non pour arriver à ces retrouvailles, c’est de mettre un
terme à la traque des biens dits mal acquis qui, « fondamentalement,
(est) la seule chose qui oppose Macky Sall au Pds ». C’est clair, c’est
net, conformément au proverbe walof selon lequel « kuy wacc, daanoo ca
gënë gaaw".
Le
président Macky Sall et son camp sont libres de croire à tous les scénarii, y
compris à celui que Serigne Mbacké Ndiaye et tous les activistes qui pensent
comme lui sont en train d’échafauder. Il convient, cependant, de leur rappeler
le sens de l’alternance du 25 mars 2012 et toutes les attentes, tous les
espoirs dont elle était porteuse. Le candidat Macky Sall a été triomphalement
élu sur la base d’un programme qui, en aucun moment, ne faisait état du
scénario qu’on lui miroite aujourd’hui. Il s’était engagé, pendant la campagne
électorale comme après son élection, à mettre en œuvre une autre politique, une
autre gouvernance, celle-là « sobre, vertueuse, transparente et
efficiente ». C’’est lui-même qui nous promettait librement et sur
tous les toits, sous toutes les chaumières, les chaumières les plus reculées,
une politique et une gouvernance de rupture, vraiment de rupture, à mille
lieues de celles pour lesquelles son prédécesseur a été sévèrement défait le 25
mars 2012. Il s’était engagé aussi avec vigueur – et c’est très important –,
une fois élu, à faire auditer sans complaisance la gestion de son prédécesseur
et à punir ou à faire punir sévèrement tous les délinquants qui seraient
convaincus de malversations. C’est dans cette perspective d’ailleurs qu’il a
exhumé la Cour de Répression de l’Enrichissement illicite (CREI) et créé
l’Office national de Lutte contre la corruption et la Fraude (OFNAC).
Voilà
que, trois ans après, on agite cette idée saugrenue de « retrouvailles
de la grande famille libérale », de rapprochement avec son
prédécesseur, ce prédécesseur responsable, pour l’essentiel, de la pire des
gestions que le pays n’ait jamais connues. L’objectif non déclaré de ces
retrouvailles, mais qui saute aux yeux, c’est qu’on mette un trait sur la
traque des biens dits mal acquis, qu’on arrête purement et simplement le procès
de Karim Wade qui serait blanc comme neige, et mette une croix sur la liste des
présumés délinquants que sont Samuel Sarr, Me Ousmane Ngom, Oumar Sarr et ses
acolytes, Me Madické Niang, Aïda Ndiongue et consorts. L’objectif final
c’est, après ce premier résultat consistant, que les anciens gouvernants
retrouvent les ors, les lambris et les honneurs du pouvoir qui leur manquent
terriblement. L’atteinte de ces deux résultats importe bien plus pour Serigne
Mbacké Ndiaye que la réélection de Macky Sall en 2017. Nous sommes quand même
dans l’espace politique depuis une quarantaine d’années. Nous connaissons
suffisamment cet activiste et avons été témoin de ses interminables va-et-vient
PS-PDS, PDS-PS, PS-PDS, PDS-Parti de la Réforme, Parti de la Réforme-PDS. Cet
homme ne peut plus vivre en dehors du pouvoir et de ses ors, depuis qu’il a
trouvé une place auprès d’Abdoulaye Wade Président de la République. La peur de
se retrouver pour longtemps dans sa situation d’avant le règne de Wade le
traumatise, au point qu’il lui arrive souvent de délirer. Il délire quand il
dénonce l’alliance « contre nature » qu’est Bennoo Bokk Yaakaar
et oublie que, dans la Cap 21, cohabitaient des Libéraux, des Communistes y
compris des Maowistes et des Trokskistes jadis purs et durs, des Socialistes de
divers petits horizons (sauf du PS et de l’Afp), etc. Il délire quand il pense
que la famille libérale représente 70 % de l’électorat sénégalais en octobre
2014. Cet homme ne devrait pas convaincre Macky Sall de s’engager dans les
retrouvailles auxquelles il l’invite. Ce serait trahir proprement les
engagements pour lesquels il a été plébiscité le 25 mars 2012. Déjà, de
nombreux compatriotes restent sur leur faim, face à la lente mise en œuvre de
ses promesses de gouverner le pays bien autrement, dans la transparence, la
sobriété, la vertu et l’efficience. Ils seront encore plus sceptiques, plus
déçus s’il se jetait dans les bras de Wade. Cet homme est trop marqué, trop
vieux pour être un partenaire. Sa gouvernance informelle, corrompue et ruineuse
le relègue à la périphérie de l’histoire qui fait les grands hommes.
Les
Sénégalaises et les Sénégalais ont atteint un niveau de conscience politique et
citoyenne appréciable. Ils ne comprendraient sûrement pas que leurs suffrages
soient détournés au profit de retrouvailles avec le président Wade et son Parti
qu’ils ont sévèrement sanctionnés le 25 mars 2012. Ils supporteraient
difficilement que le président Sall fasse table rase des graves forfaits qui
ont jalonné les douze longues années de gouvernance Wade. N’importe lequel de
ces forfaits devrait lui valoir de rendre compte devant les tribunaux
sénégalais compétents. Le moins grave de ces forfaits est infiniment plus grave
que l’Affaire du Watergate qui a coûté au président Richard Nixon sa démission
forcé en 1974. On ne le rappellera jamais assez.
Le
« Rapport public sur l’état de la gouvernance et de la reddition des
comptes » publié en juillet 2014 par l’Inspection générale d’Etat (IGE)
consacre le chapitre 1 aux « Dysfonctionnements constatés dans la
gouvernance économique et financière ». Des Wade, bien entendu. Dans ce
chapitre, des cas flagrants de mal gouvernance sont largement passés en revue.
Quatre d’entre eux ont particulièrement retenu l’attention de votre
serviteur : le Monument de la Renaissance africaine (pp. 67-75), le
Domaine du général Chevance Bertin à Bambilor (pp. 75-81), l’Université du
Futur africain (pp. 94-96), le Festival mondial des Arts nègres (pp. 96-100).
On
a mal, très mal, quand on a fini de lire ces pages, comme tout le reste du
Rapport d’ailleurs. L’homme responsable de tous ces graves forfaits, c’est l’ancien
président Wade. Comment peut-on se réclamer de la bonne gouvernance, de la
gouvernance vertueuse, sobre, transparente, et penser un seul instant se
rapprocher de cet homme et travailler aux « retrouvailles de la grande
famille libérale » dont cet homme est le chef incontesté ? C’est
faire marche arrière, c’est se renier, c’est n’avoir aucun respect pour le
peuple du 25 mars 2012. C’est donner raison à nos compatriotes qui, de plus en
plus nombreux, réduisent la gouvernance du président Sall à du wadisme
sans Wade.
Cet
homme est infréquentable. C’est un gros risque politique de se réclamer de son
héritage ou de seulement s’en rapprocher. Après douze longues années de
gouvernance informelle et meurtrie, il a laissé le pays sens dessus dessous,
martyrisé l’administration et détraqué le système de calcul des salaires. On ne
devrait raisonnablement pas conseiller au président Macky Sall de « se
présenter 2017 comme le continuateur de l’œuvre de (cet homme) ».
C’est ce que fait pourtant le brillant politologue Yoro Dia (L’AS du 8
octobre 2014, page 4). L’énarque et communicateur de talent reconnaît que Wade
a été réélu en 2007 malgré sa mauvaise gestion entre 2000 et 2007,
qu’ « il a mis le pays à genoux durant ce premier septennat
(…) ». « Sa chance, poursuit-il, c’est qu’il avait
entrepris beaucoup de projets d’infrastructures et les Sénégalais ont approuvé ».
Oui,
les Sénégalais avaient peut-être approuvé, à un moment où ils ne savaient pas
comment ces infrastructures allaient être réalisées. Yoro Dia a sûrement lu les
différents rapports (de l’IGE, de la Cour des Comptes, de l’ARMP, de la CENTIF)
produits sur la gouvernance de l’homme qu’il propose comme modèle à Macky Sall.
En tous les cas, la bonne gouvernance ne semble pas trouver grâce à ses yeux.
Ni, par ailleurs, les réformes politiques. Selon lui, « la majorité des
Sénégalais n’ont pas des préoccupations de bonne gouvernance et se soucient
surtout du bilan ». Comme si les actes de bonne gouvernance ne
faisaient pas partie du bilan ! Le président Wade a été perdu certes par
son âge, mais encore et surtout parce que son bilan était pauvre en actes de
bonne gouvernance. La gouvernance est un tout, un système cohérent : elle
est politique, économique, financière, institutionnelle, morale. Elle ne peut
pas, en particulier, se réduire à des réalisations d’infrastructures, surtout
si les conditions de ces réalisations sont aussi catastrophiques qu’elles l’ont
été sous Wade.
Ce
n’est donc sûrement pas en se réclamant de cet homme, en se présentant comme le
continuateur de son œuvre que Macky Sall va se faire réélire en 2017. Ce ne
sera, non plus, ni par les acrobaties et autres artifices politiciens auxquels
Serigne Mbacké Ndiaye et certains activistes de son camp l’invitent. Ni, par
ailleurs, par la logique affichée de massifier coûte que coûte l’APR, par le
truchement de la détestable transhumance notamment. Encore moins par le
ndigël politique, qui ne fait plus recette depuis un certain 19 mars 2000.
Après
avoir réalisé deux alternances pacifiques et jugées exemplaires par la
quasi-totalité de la Communauté internationale, le peuple sénégalais sait
désormais faire la part entre la bonne graine et l’ivraie. Il ne donne le
pouvoir que lorsqu’il est convaincu par le bilan ou le programme de
gouvernement qu’on lui présente. C’est peine perdue que d’essayer de l’abuser
par quelque artifice politicien que ce soit. Il fait montre, désormais, d’une
maturité politique et citoyenne indéniable. Le 25 mars 2012, le président Wade
et son camp en ont fait amèrement les frais.
16 Commentaires
Mara
En Octobre, 2014 (22:58 PM)B-t
En Octobre, 2014 (23:04 PM)Ly
En Octobre, 2014 (23:09 PM)Diop
En Octobre, 2014 (23:26 PM)Mody Niang Verite
En Octobre, 2014 (00:24 AM)Sakkal
En Octobre, 2014 (00:33 AM)Facteur Temps
En Octobre, 2014 (02:22 AM)équité Equitable
En Octobre, 2014 (02:51 AM)Illogisme
En Octobre, 2014 (03:04 AM)Equite
En Octobre, 2014 (05:59 AM)Issa
En Octobre, 2014 (07:26 AM)Mayday
En Octobre, 2014 (08:07 AM)Mtd
En Octobre, 2014 (12:03 PM)Toto 2
En Octobre, 2014 (12:34 PM)Adieu la politique politicienne.
Les senegalais ont leur carte d electeur et ne le bradent plus.
Fini la periode de la Ruse et des Astuces.
Un peuple qui a le dos au mur va naturellement reagir pour sa survie.
Wade" is an old school and a has been" et a retourne le Senegal a l epoque feodal.
Wade a fait tout le contraire de ce qu il a ecrit dans son Livre " Un destin pour l Afrique".
Mr Niang vous citez des faits precis et palpables,et les Senegalais ne veulent pas d un "disque raye".
Mieux vaut pour le President Macky de se retouver avec Tous les Senegalais qu avec une frange de la population corrompue notoire en quete de son lustre d antan et irrespectueuse des interes des Senegalais.
Joobajubba
En Octobre, 2014 (13:37 PM)Carlos Mozer
En Octobre, 2014 (14:12 PM)Participer à la Discussion