La deuxième alternance survenue au Sénégal, le 25 mars 2012, a porté Macky Sall à la tête de l’Etat du Sénégal avec une possibilité réelle de procéder à une rupture qui consistait à inventer une nouvelle façon de faire de la politique. Le fardeau était lourd et « remplacer » Wade dont la gestion peu orthodoxe avait fini de fragiliser l’Etat. La chose n’était pas aisée. Nous aurions pu cependant espérer que l’impétrant esquissa dès sa prise de fonction les fondements d’une nouvelle République basée sur le mérite. Le militantisme s’inclina encore une fois devant les coteries politiciennes et une l’illusion technocratique prit la place sur les idées.
Nous étions nombreux cependant à nous glorifier du déroulement de ce scrutin. Mais seulement voilà, devant une classe politique tétanisée et vindicative, rongée par une dizaine d’années de wadisme omnipotent, les choses prirent une tournure inattendue. Certains membres de la société civile épuisés par le combat contre l’ancien régime virent rouge et se rendirent pieds et mains liés dans les entrailles du pouvoir. Pourquoi n’éprouvent t’ils pas le besoin de braver les intempéries ?
Albert Camus ne disait-il pas à propos des intellectuels qu’ils avaient « la trahison facile » car « (…) je connais comme tout le monde les excès de l’intelligence et je sais comme tout le monde que l’intellectuel est un animal dangereux(…) ». Des comportements reprochés hier à l’ancien régime étaient devenus subrepticement acceptés ou ignorés. Il est vrai que l’on ne parle pas la bouche pleine mais tout de même. Les populations qui étaient défendues par des membres de la société civile dont les seules contributions visant à critiquer le régime « sopiste » suffisaient à paralyser une opposition groggy. C’est cette atonie politique qui a été mise à nu lors des tractations en vue d’une candidature unique. Une situation inédite car des membres de l’opposition n’arrivèrent pas à cacher leurs volontés de devenir calife à la place du calife, prenant ainsi à contre-pied les sénégalais essorés par douze années de pillage et d’exactions graves au sommet de l’Etat. Nous nous souvenons encore du 23 juin 2011 date à laquelle une partie du peuple sénégalais était prête à mourir pour défendre une constitution malmenée. Tout cela dans un climat insurrectionnel avec des morts et des blessés.
La société sénégalaise était en effervescence et les relents d’une révolution qui ne disait pas son nom étaient perceptibles. Le « tout sauf Diouf » remplaça douze ans plus tard le « tout sauf Wade ». Puis, survint le coup de tonnerre électoral qui surprit les observateurs les plus pessimistes. Macky Sall du haut de ses 26% au premier tour talonna ses concurrents qui, par instinct de survie, s’organisèrent dans le cadre d’une union de circonstance en vue du second tour. Ceux qui n’avaient pas réussis à s’unir contre Wade avaient réussi à s’unir pour subsister politiquement sur le dos des électeurs. Les professionnels de la politique avaient été rejetés par les urnes et la mécanique du référendum « tout sauf Wade » les avaient inexorablement exclus de la course. Leur chute fut à la hauteur de leur manque d’empathie envers les sénégalais. Et l’on se souvient de cette déclaration de Wade : « je quitterais le pouvoir avec toute cette génération d’hommes politiques ». L’attraction vers l’espace présidentiel finit de saccager l’idée d’une république en quête de ravalement démocratique externe et interne. L’on connaît la suite, Macky Sall remporta l’élection présidentielle avec un score large et ceci dans la transparence la plus complète. Le plus jeune parti l’APR (l’alliance pour République) de Macky Sall fut porté sur les fronts baptismaux. Le monde entier salua et fêta la démocratie sénégalaise.
Seulement voilà, après une gestion insolite des maigres ressources de l’Etat par l’ancien régime, nous nous retrouvâmes confrontés à la réalité froide, après le cauchemar. L’élection présidentielle avait permis une pause sociale, et cette élection, pour paraphraser, le philosophe français, Alain Badiou, avait permis de ralentir la « douce sève de la révolution ».
Comment se débarrasser d’une classe politique qui a tout raté et qui continue d’occuper l’espace public au grand dam des populations qui sont parmi les plus pauvres au monde ? Le consensus mou dans un pays pauvre est très dangereux. Lorsque la société civile est « neutralisée » il n’y a plus de médiations possibles et l’eau de mer finit, tel dans un tsunami, par tout ravager sur son passage. A cela s’ajoute que des femmes et des hommes du précédent régime tournent à intervalle régulier casaques pour se retrouver dans le camp du pouvoir sous le nez et à la barbe des héritiers d’un senghorisme, puis d’un dioufisme enfouis qui attend son heure. Il faut nous étonner ici, non sans un léger pincement au cœur de la sophistication du système démocratique sénégalais dans son ingénierie de captation des biens publics.
La caution ainsi donnée contribue à accentuer le dégoût des sénégalais pour la chose politique. Les politiques deviennent des faiseurs d’argent, engoncés dans leur quête d’honneurs, qui du haut de leurs fonctions organisent une gestion de l’Etat qui n’a aucune incidence sur la vie quotidienne des populations. Aussi, il serait suicidaire politiquement parlant de laisser croire que les problèmes politiques ont été résolus compte tenu de la cohérence « de façade » obtenue autour du gâteau présidentiel.
Ce climat hautement sablonneux accentue les clivages déjà forts au sein de la société. Une perte de repères des franges les plus fragiles du pays est à signaler. La sortie récente du président Wade sur la famille de son successeur Macky Sall donne une idée de la dangerosité du climat politique actuel. De tels propos sont inacceptables et indignes d’un ancien Président de la République. La riposte en cours sur le même registre est tout aussi indigne et désastreuse pour l’image de notre pays. Il faut redouter plus que jamais la tentation d’une instrumentalisation de la population laminée jusqu’ici par un quotidien exécrable. Si l’on s’en réfère à cette assertion du sociologue français Pierre Bourdieu qui dit que : « La politique est une prédiction qui vise à faire advenir ce qu’elle annonce ». Faire de la politique, pour qui, et pourquoi ? L’engagement politique doit être désintéressé, il ne doit pas céder la place à des manœuvres visant à neutraliser le mouvement au profit d’un immobilisme au service d’une sinécure. Il faudra en effet un savant dosage de politique pour faire accepter la vraie politique.
Il nous faut cultiver la paix sociale pour assoir définitivement les conditions favorables à la bonne marche de notre économie, autrement dit nous ne pourrons jamais faire l’économie d’une cohésion nationale effective et franche. Avons-nous fait tout ce qu’il fallait pour ne pas en arriver là ? Le fait que nous n’ayons pas réussi à prévenir une telle attitude prouve que nous avons manqué à notre dignité en matière de démocratie.
Dans le camp présidentiel, personne n’a instauré jusqu’ici un dialogue franc avec l’ancien président dont le raidissement dans cette période de notre vie politique nationale annonce des lendemains difficiles. Et la transhumance politique qui a toujours cours n’est pas pour apaiser les camps respectifs. Il souffle en effet sur le Sénégal un « harmattan politique » qui pourrait être dévastateur. Une médiation des familles religieuses dans le différend qui oppose Wade à son successeur Macky Sall prouverait que les politiques ont échoué. A défaut d’hommes politiques responsables, le Sénégal pourrait sécréter des citoyens engagés capables de relever le défi politique. Car ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest n’a jamais autant eu besoin de mains désintéressées. Souvenons-nous, qu’il y avait eu, fait inédit dans l’histoire de notre pays, des assises nationales couronnées par une lutte permanente autour des libertés et des droits fondamentaux. Cette lancée avait atteint un point culminant avec le combat historique contre la manipulation constitutionnelle par les libéraux.
Ce fut une victoire citoyenne, une victoire du peuple sénégalais. Et comme nous l’avons vu, une victoire de la jeunesse africaine lors des événements du Burkina Faso. Le président de la République a été le premier bénéficiaire de ce « prêt à gouverner en harmonie ». Un parti ne saurait se dissocier du fonctionnement de la société dont il est une émanation structurée. De même que les élus, plus particulièrement, les députés doivent être des représentants zélés du peuple.
Le peuple sénégalais est plus que jamais considéré comme un strapontin permettant d’arriver au pouvoir. Et on le tient en respect par les mêmes méthodes policières et communicationnelles : folklore, danse et mensonges d’Etat. Devenir président de la République dans cette période de la marche du monde est une chose grave, une charge d’une lourdeur inestimable qui convoque une vigilance de tous les instants.
Le Sénégal n’est pas dans un îlot de paix providentiel détaché du reste du monde, il doit se battre comme les autres pays pour sa stabilité moyennant quoi nous serons débordés et définitivement naufragés. Il faut en finir avec le bal des hypocrites, car il n’est pas trop tard pour emprunter l’unique voie celle du dialogue, de l’innovation et par conséquent de l’émergence.
Almamy Mamadou Wane.
Ecrivain
2 Commentaires
Gaye
En Mars, 2015 (11:37 AM)Citoyen Lambda
En Mars, 2015 (12:14 PM)Participer à la Discussion