C’est la première fois qu’un organisme onusien fait la corrélation entre la natalité et le changement climatique. L’exercice n’est pas sans risque...
« Les prévisions montrent que la population mondiale, de 6,7 milliards aujourd’hui, devrait, à l’horizon 2050, se situer entre 8 et 10,5 milliards. Cette croissance se concentrerait principalement dans des zones et parmi des populations – pauvres, urbaines et côtières – préalablement très vulnérables aux impacts du changement climatique. La croissance démographique se traduit fondamentalement par un accroissement des émissions de gaz à effet de serre (GES) ».
Telle est l’une des principales conclusions du rapport Climate Change Connections, A Resource Kit on Climate, Population and Gender, publié par le Fonds des Nations Unies pour la population (l’UNFPA), le 18 novembre 2009. Avec cette publication, l’UNFPA souhaite voir intégrée la question de la fécondité dans les négociations climatiques : « La plupart des politiques susceptibles d’influencer les tendances de population, comme celles favorisant l’éducation des filles, l’accès des femmes aux opportunités économiques, la santé reproductive et le planning familial peuvent également réduire la vulnérabilité aux impacts du changement climatique et atténuer l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre, contribuant de ce fait à garantir une énergie suffisante et à promouvoir le développement durable pour tous. »
Moteur démographique mondial
Même si l’étude ne la mentionne pas clairement (peut-être par souci du politiquement correct), la mention générique « pays du Sud » vise plus spécifiquement l’Afrique que le reste du monde en développement. Dans l’article « Le continent de la jeunesse dans un monde vieillissant » paru dans Les Afriques N° 90, votre hebdomadaire a démontré pourquoi l’Afrique, qui vient de franchir le cap du milliard d’habitants, sera le moteur démographique mondial, avec 2 milliards d’habitants à l’horizon 2050, si les prévisions se confirment. D’après le site www.statistiques-mondiales.com, les Maliennes font en moyenne 7,30 enfants, contre 6,12 pour les Angolaises, 2,66 pour les Egyptiennes, 2,72 pour les Indiennes, 2,3 pour les Brésiliennes, 2,1 pour les Américaines, 2 pour les Françaises (championnes d’Europe de la natalité), 1,7 pour les Chinoises et 1,4 pour les Allemandes. Avec des taux de mortalité très élevés chez les enfants de moins de cinq ans, la procréation africaine est importante, mais l’impact sur la courbe démographique est amortie par les décès.
« L’éducation des filles, l’accès des femmes aux opportunités économiques, la santé reproductive, et le planning familial peuvent réduire la vulnérabilité aux impacts du changement climatique. »
Il revient toutefois aux Africains de prendre leurs responsabilités, afin que l’explosion démographique ne se transforme pas en explosion sociale. La question ne date pas d’aujourd’hui. Déjà, au XVIIIe siècle, Thomas Robert Malthus avait théorisé l’équation : progression très rapide de la démographie supérieure à l’accroissement des ressources qui entraîne une paupérisation de la population. Le challenge pour l’Afrique d’aujourd’hui, et surtout de demain, est la production massive des biens et services dans un cadre contraignant de raréfaction des ressources naturelles et de limitation des pollutions.
Une injustice dans le calcul
Pour autant, dans le contexte actuel, le nombre d’Africains est-il une menace pour la planète ? Une analyse poussée de la corrélation entre démographie et émissions de gaz à effet de serre (GES) permet de nuancer considérablement les conclusions de l’UNFPA. La première raison est liée au mode de consommation. Dans le mensuel Terra éco d’octobre 2009, le député français Yves Cochet a affirmé que « la naissance d’un Européen équivaut, en terme d’impact carbone, à celle de dix Congolais ». La deuxième raison, et non la moindre, est l’espérance de vie. D’après le site www.statistiques-mondiales.com l’espérance de vie, en moyenne, dans le monde est estimée en 2009 à 66,57 ans. Un Japonais a plus de probabilité de franchir la barre des 80 ans qu’un habitant du Swaziland, dont l’espérance de vie est d’à peine 32 ans...
Un habitant de l’OCDE exerce une pression environnementale moyenne de 25 ans plus élevée que celle d’un Africain. Avec le développement de la médecine, qui va plus bénéficier au premier, l’écart va encore se creuser.
La troisième raison résulte de l’attribution de la pollution. Selon l’étude « Consumers, business and climate change », publiée le mois dernier par l’Institut de la consommation durable de l’Université de Manchester, il existe actuellement une injustice dans le calcul des émissions de CO2. En effet, la pollution occasionnée par certains pays du Sud devrait être allouée aux pays consommateurs, plutôt qu’aux pays producteurs. Avec 1 455 000 habitants, le bilan écologique de la ville industrielle de Shenzhen sera très important. Mais quelle est la contribution réelle au réchauffement de la planète des habitants de cette ville, qui assure 15% des exportations chinoises ?
Question taboue
L’UNFPA a posé une bonne question, qui reste taboue. Avec sa forte natalité, l’Afrique ne doit pas avoir peur du débat, bien au contraire. Alors qu’un Américain émet près de 20 tonnes de CO2 par an, un Français 6 tonnes, un Chinois 2,5 tonnes, un Marocain 1,27 tonne et un Somalien 0,01 tonne, il revient à l’organisme onusien et à tous les experts occidentaux de nous expliquer où se trouvent les marges de manœuvre pour limiter la pollution de la planète. La question n’est pas de savoir combien nous sommes, mais bien qui consomme quoi ? La pensée de Gandhi « Il y a assez de ressources sur la planète pour répondre aux besoins de tous, mais pas assez pour satisfaire le désir de possession de chacun » est plus que jamais d’actualité.
0 Commentaires
Participer à la Discussion