Le Sénégal est à l'abri de tout embrasement grâce à la capacité qu'y ont les gens de revendiquer efficacement leurs droits sans sombrer dans la violence. Le propos émane du Dr Jean Bosco Butera, spécialiste des conflits frontaliers en Afrique.
Quel regard jetez-vous sur les conflits en Afrique ?
Les conflits constituent encore un défi en Afrique. On a vu une grande évolution depuis les années 1990 où presque 30 à 40% du continent était en proie à des conflits violents. C’est le cas en Sierra-Léone, au Liberia, au Rwanda etc.
Il y a une nette évolution mais il n’empêche que le continent reste toujours frappé par des conflits qui ne sont pas peut être de la même violence mais assez réguliers et parfois de nature différente. C’est le cas du conflit que l’on voit au Mali et au Nigeria avec le Boko Haram… Le continent africain reste toujours sous le risque et la réalité des conflits.
Comment expliquer le processus de maturation des conflits qui deviennent contagieux en quelque sorte ?
C’est un peu lié à la structure de l’Afrique elle-même héritée de la colonisation. Les pays du continent ont été créés sans nécessairement une prise en compte des réalités des communautés sur le terrain. Ce qui fait que, très souvent, des communautés qui sont dans un pays se retrouvent dans un autre.
Cet héritage de frontières et de communautés qui se retrouvent parfois de part et d’autre fait que lorsqu’un conflit affecte un pays, très souvent la même communauté se retrouve de l’autre coté et devient acteur dans le conflit. Un autre aspect qui favorise ce processus, c’est l’existence d’effets nouveaux qui apparaissent, c’est le cas de trafics de toutes sortes qui s’étendent dans différents pays.
Ce qui implique une interaction dans les différents effets car les frontières ne sont pas étanches et elles ne devraient pas l’être d’ailleurs parce que je suis pour que les gens bougent mais en gardant la sécurité. Les gens bougent avec leurs problèmes, leurs réalités et leurs bonnes ou mauvaises choses. C’est en ce sens que je perçois ce processus de maturation des conflits en Afrique
Le Sénégal est entouré par une zone, avec le Mali, les deux Guinées, la Mauritanie, etc. SA stabilité est-elle menacée ?
Je ne le pense pas. Le Sénégal a, au fil des années, mis en place des institutions et des structures qui permettent de répondre aux attentes de son peuple. Ce qui n’est pas souvent le cas dans d’autres pays où ces aspects sont sources de conflit. La démocratisation est une réalité ici.
Lors de la dernière présidentielle, tout le monde avait peur que le pays bascule, mais il y a eu un sursaut général contre l'irréparable. Ailleurs, ça aurait pu dégénérer car il est rare de voir un pays où les gens ont cet espace d'expression qui leur permet de s’exprimer en toute liberté.
C'est la démocratie !
Il y a une démocratisation avancée dans le sens d’une participation réelle de la population. On donne aux gens l’opportunité de parler dans un espace commun, de poser leurs actes et de remettre en cause les actes posés par l’autorité. Les Sénégalais ont la capacité de faire la pression sans créer la violence et ils l’ont toujours démontré.
A mon avis, c’est grâce à ça que ce pays ne court pas le risque que l’on voit dans les pays qui l’entourent en proie à des conflits. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de conflit au Sénégal parce que la Casamance est là, mais ce n’est pas la nature des conflits que nous voyons ailleurs avec l’éclatement des pays et la misère qui s’empare des gens.
Comment expliquez-vous alors l’éclosion du conflit casamançais, l’un des plus vieux en Afrique ?
C’est l’un des conflits les plus vieux mais aussi l’un des moins connus. C’est un conflit où une certaine frange de la population s’est sentie exclue, estimant n’avoir pas les mêmes fruits ou bénéfices du développement que les autres. Lorsqu’il y a un tel sentiment, un conflit est propice.
Il faut voir aussi les relations et les mobilités entre les pays voisins pour savoir si ce n’est pas souvent un problème posé d’un coté qui se répercute dans un autre. Il faut analyser aussi les aspects socio économiques en se demandant si la région en question bénéficie de la même attention que d’autres régions. De tels éléments peuvent être à la source d’un conflit qui dure sans pour autant perturber tout le pays.
Une ébauche de solution serait donc une plus grande ouverture sur la Casamance ?
A mon avis, le renforcement des infrastructures pour desservir mieux cette zone serait un début de solution. Il faut investir beaucoup dans cette région et l’ouvrir davantage au reste du pays surtout qu’il y a une sorte de coupure géographique qu’il faudrait compenser. Il faudra doubler les efforts pour que la région soit plus présente.
L'Afrique, c'est des Etats en faillites, la mal gouvernance, le terrorisme. Un tableau peu reluisant…
Il y a une Afrique qui avance et une Afrique qui est meurtrie. En lieu et place des chiffres sur la croissance, je préfère des chiffres où l’on nous dit qu’il y a trois millions de gens qui sont sortis de la pauvreté. C’est un fait réel, nous avons plus d’enfants qui sont à l’école, nous avons plus de femmes qui ont accès aux soins de santé ou à la maternité.
Les grands défis que nous avons maintenant, c’est le manque d’emploi des jeunes, l’inaccessibilité aux soins de santé pour nos épouses, mamans et sœurs qui perdent parfois leurs vies, des enfants qui meurent, etc. Malgré l’existence d’avancées significatives, il reste beaucoup à faire.
Il faut mettre en place des structures qui permettent d'associer les populations au développement de leur terroir. Des actions possibles ont été faites, et je crois que c’est ça qu’il faut montrer, un visage de l’Afrique qui est en train de changer, sans aller dans le sens de l’autosatisfaction qui peut être un danger.
Amadou NDIAYE
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