Fidèle à la tradition qu’elle a de rendre hommage aux grands hommes de notre temps, la Bibliothèque universitaire (Bu) de Dakar accueille, jusqu’en fin décembre, une expo consacrée à Senghor. Souvenirs, coupures de presse, extraits d’œuvre etc. Le parcours du poète-président…
La bibliothèque de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) revisite l’œuvre de Senghor en cette année 2006. Un portrait qui se présente sous diverses formes. L’occasion de découvrir, à la croisée des chemins, l’homme politique, l’homme de culture, l’homme tout court.
En 1960 par exemple, l’homme de lettres Léopold Sédar Senghor élevait le Sénégal à la souveraineté territoriale. Une nation était ainsi née, une république instituée. Des hommes et des femmes unis les uns aux autres, pour l’unité du peuple sénégalais. Une union aussi autour de la personne du président du Sénégal qui, au fil des âges, avait fait. L’on en oubliait très vite la race ou la religion qu’il avait embrassée, tant l’homme semblait vivre au-delà de toutes ces considérations. Au Sénégal son pays, Chrétiens et Musulmans se l’appropriaient à sa juste valeur et l’homme savait si souvent éclipser le politique. Une nation forte et unie, c’était cela que le legs de Senghor à ses héritiers.
Legs parce que le 31 décembre 1980, le président mit à exécution un projet qu’il avait mûri quelque temps auparavant : démissionner de son poste de chef d’État et en confier la gérance à son successeur. Une action qui prenait sa source dans une confidence qui semblait avoir pour lui valeur d’évidence : «Je suis venu à la politique par hasard». Des mots qui pouvaient rendre perplexe car alors, pourquoi cette aventure jusqu’au pouvoir ? «Mon objectif, rappelait-il, c’était l’Indépendance». L’idée donc d’une mission accomplie, le sentiment d’avoir fait son devoir.
Senghor pour tous
Et le monde entier de se demander ce qu’avait bien pu devenir l’héritage de Senghor. On parle à ce moment-là de «désenghorisation», accusant le nouveau président Abdou Diouf de s’inscrire dans une logique du parricide. Un cas classique à bien des égards, du reste si l’on estime que les grandes œuvres s’inspirent souvent d’un père qu’elles s’évertuent à toujours dépasser. Tuer le père, c’était sans doute le cas là aussi car, estima-t-on, Abdou Diouf, se cherchant une identité politique, avait voulu effacer d’un espace qu’il continuait d’occuper malgré tout l’emblème de Senghor. Avec Abdou et autour de lui, ses frères de combat et de pensée qui devaient assumer, selon les titres des journaux, «un héritage bien riche et bien lourd».
En effet, la renommée de Senghor avait franchi les frontières et Amadou Lamine Sall de s’exprimer en ce sens : «Notre honneur, à nous Sénégalais, c’est qu’il arrive que par la grâce de son nom, quand nous traversons nos frontières, nous sommes encore chez nous». Mais ce renom, le président le doit surtout au poète, un homme de lettres de talent, poète, grammairien et philosophe. Et il disait un jour que «s’il devait rester quelque chose de (moi), que ce soit mon œuvre poétique seule».
Enracinement et ouverture
Une œuvre littéraire du reste très ancrée dans ses racines multiples et cet éternel clin d’œil à son royaume d’enfance. Un enracinement qui pourtant, tout au fond de lui, refusait de se faire ennemi de l’autre qu’il appelait au dialogue et à l’échange. C’est dans cette mesure que la notion de métissage si chère à Senghor prend tout son sens. Le président Jacques Chirac rappelait que «Léopold Sédar Senghor était noir de peau, Sérère de souche avec du sang peul et malinké dans la belle mémoire de ses veines».
Métissage culturel comme biologique, et chaque culture, riche de sa propre réalité, tend la main à l’autre qu’elle accueille en son sein et se laisse conter ses merveilles. Les mots de Senghor rapportés par le poète Amadou Lamine Sall : «quand deux peuples se rencontrent, ils se combattent souvent, ils se métissent toujours». L’on comprend davantage le rôle prépondérant que joua le président Senghor dans ce combat en faveur de l’Unité africaine, lorsqu’il attirait à sa cause quelques chefs d’État de la sous-région comme Houphouët-Boigny.
Mais le poète-visionnaire s’en est allé le 20 décembre 2001. L’exposition que lui consacre la Bu de Dakar revient sur ces douloureuses circonstances lorsqu’il était question entre autres de revisiter l’ampleur des hommages que lui rendit l’humanité entière, triste d’avoir perdu un grand penseur.
Quelque part, l’on estima très peu la tentative de récupération qu’il y eut autour, les uns et les autres, dans sa patrie surtout, se disaient héritiers de Senghor et lorsque la presse titrait par exemple «hier rejeté, aujourd’hui fêté». Une façon parmi tant d’autres de mettre l’emphase sur le rapport problématique que la classe politique-intellectuelle entretiendrait avec le poète. Pourtant l’instant de sa disparition, «la nation était réconciliée».
Noir sur blanc
Dans le concert de louanges dédié à Senghor, certains refusent d’oublier. Dans cette optique, l’exposition revient également sur ce qu’elle nomme «les pages sombres». L’on y retrouve ainsi l’amère saveur des jours de grande tristesse, le voile noir qui revêt l’histoire sociale. Sous forme de tragédie, la mort de l’opposant Omar Blondin Diop, «le flambeau du mai-68 de Paris». Polémique de l’époque : «Assassinat ou suicide ?». D’aucuns décrivent le premier président du Sénégal comme un être «ouvert au dialogue et autoritaire, imprégné à la liberté et enclin à la répression». Des propos confirmés par le syndicaliste Madia Diop racontant sur les colonnes d’un journal de la place «comment Senghor (l’a) persécuté».
Mais ces feuilles noires, c’est aussi la vie personnelle de l’homme-Senghor, un être toujours dévoué à une histoire familiale souvent visitée par le sort: la disparition de son fils Philippe dans des circonstances accidentelles, d’où l’Élégie pour Philippe Maguilen Senghor, pour ne citer que celui-là.
L’exposition revisite également les temps forts du Centenaire Senghor. Mille et une facettes sous un seul visage, c’est l’année-Senghor…
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