WalFadjri : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Seynabou DIOP : Je m’appelle Seynabou Diop. Je ne suis pas Casamançaise comme le pensent la plupart des gens. Je suis née et j’ai grandi en Côte d’Ivoire jusqu’à l’âge de dix-sept, dix-huit ans. On dit au Sénégal que j’ai une vie simple et que je ne m’habille pas comme les dames, les artistes d’ici. J’ai un côté un peu ivoirien, qui s’habille simplement et qui ne se prend pas trop la tête sur sa façon d’être. Naturellement, je suis quelqu’un qui aime la simplicité. Je suis compliquée dans la tête quand il faut travailler. Je suis très exigeante. Mais en réalité, je suis quelqu’un de très tranquille.
WalFadjri : Parlez-nous de votre enfance ?
Seynabou DIOP : J’ai été une fille comblée. Je n’avais vraiment pas de problèmes pendant mon enfance. Je ne faisais pas trop d’histoires. Mais ce qui était sûr, c’est que l’on me prenait pour un petit garçon parce que j’étais plus qu’avec eux qu’avec les filles. Et jusqu’à aujourd’hui, je suis plus avec les hommes qu’avec les femmes. C’est cela que j’avais d’un peu de spécial. Et il m’arrivait de prendre un bâton et de faire semblant de jouer à la guitare et d’imiter Carlos Santana, ou Johnny Hallyday. Je faisais un peu l’artiste. Quand mon père avait des invités, il me faisait appeler pour que je fasse des spectacles. J’avais cela déjà en moi, mais inconsciemment. De jeunes Sénégalais qui étaient immigrés en Côte d’Ivoire m’avaient surnommée ‘Oscar’. Et quand je suis devenue plus grande, je leur ai demandé pourquoi ils m’appelaient ainsi ; ils m’ont dit que j’irai loin et que j’étais une étoile. Jusqu’à aujourd’hui, ces mêmes personnes continuent de m’appeler ‘Oscar’. J’étais une fille intelligente, mais je n’aimais pas l’école. Mon frère, sachant que je perdais du temps, m’a récupérée et m’a emmenée en France.
WalFadjri : Pouvez-vous nous dérouler le film de votre vie en France ?
Seynabou DIOP : Quand mon frère m’a emmenée en France, il m’a fait sauter de la classe de troisième à l’Université, pour me permettre de me rattraper. Il me disait que j’étais capable de le faire. C’est vrai, la première année, je ne comprenais rien aux études de droit que je suivais. Pendant un an, j’ai quand même ramé pour savoir de quoi il parlait (rires). En deuxième année, je commençais à rentrer un peu dans les couleurs des mots, même si j’éprouvais toujours des difficultés. J’ai lu dans un article de presse que mon frère m’a fait souffrir, c’est plutôt ma belle-sœur qui me faisait souffrir, et qui était très méchante. Et j’ai même une cicatrice sur le visage -(sous l’œil gauche) - ; c’est elle qui me l’a faite. Ayant quitté une famille très douce, où je me sentais vraiment bien, en France j’étais quelqu’un de très triste parce que je ne m’amusais plus. Je devais aller à l’école, rentrer à la maison. Donc mon frère insistait sur mon éducation et la façon dont ma vie devait se passer. Et nous discutions quand nous étions tous les deux, c’est lui en fait mon maître. C’est lui qui m’a guidée et trois ans après, il meurt. Mais avant de mourir, il m’avait donné des secrets.
WalFadjri : Peut-on savoir quels sont ces secrets ?
Seynabou DIOP : Il m’avait donné quatre secrets : ‘de ne pas se marier trop vite mais de le faire légalement’ ; ‘de ne pas faire un enfant par hasard’ ; ‘continuer mes études parce que plus j’avançais dans les études, plus j’aurais la chance de trouver le mari qu’il me faut, la situation qu’il me faut’, enfin ‘de ne pas trop parler, savoir garder le silence même s’il y a des choses qui me font mal’. C’est ce que j’ai appris pendant trois ans : à ne rien dire.
C’est vrai que ces trois années passées avec mon frère m’ont permis de grandir, de me retrouver seule dans la vie sans trop souffrir de sa mort. Tranquillement, je suis partie. J’étais une femme, une jeune fille. J’avais un petit sac. Je n’avais plus mes affaires puisque ma belle-sœur avait tout confisqué. Il ne me restait que ma vielle valise que j’avais ramenée de la Côte d’Ivoire. Donc, je n’ai rien gagné là-bas par rapport à elle. Après, j’ai retrouvé ma liberté. C’’était en 1978. Je ne savais où aller. Je suis entrée dans une église et je me suis dit : ‘J’ai pas de père, je n’ai pas de mère, je ne sais pas comment trop faire ma vie’. Je n’étais pas éveillée en fait. L’église m’a hébergée pendant quelques jours et m’a mise dans une famille française. J’étais baby-Sitter. Pendant cinq ans, j’ai été dans les familles françaises. Chaque année je me mettais devant une famille blanche ; si elle n’était pas raciste, elle me prenait tout de suite. Donc, je changeais de famille à chaque fois. Sérieusement, elles étaient toutes adorables. Elles me gâtaient et me respectaient. Elles m’ont beaucoup appris à comprendre les couleurs, à savoir travailler, à me lever tôt, à faire les choses. Et c’est là en fait que j’ai croisé les Touré (Touré Kunda, ndlr).
WalFadjri : Parlez-nous de votre rencontre avec les frères Touré Kunda ?
Seynabou DIOP : J’ai croisé les Touré Kunda dans une soirée universitaire. Mais j’avais déjà entendu parler d’eux à la radio. J’ai commencé à regarder le concert. Et je me suis dit ‘Oh ! Les Sénégalais, puisque je n’en connaissais pas trop de Sénégalais’. Je les ai suivis dans leurs loges et me suis présentée à eux. Ils m’ont demandé d’où je venais, je leur ai dit de la Côte d’Ivoire. Après, ils me rétorquent : ‘Ah bon, tu parles wolof ?’ Je leur ai répondu : ‘Non, je ne parle pas wolof, mais je comprends quand on me parle.’ Alors (feu) Ahmadou, le plus âgé des Touré, m’a dit : ‘Tu es intéressante, tu es drôle parce que tu arrives, tu me poses des questions ; et comment es-tu rentrée là déjà ?’ Et je lui ai dit que je suis rentrée parce que je cherchais à boire et que dehors on me fait payer. J’ai commencé à les fréquenter sans être danseuse du tout.
Un jour, les Touré me recroisent dans un concert à Pantin, où il y avait tous les artistes africains. J’étais venue avec mon ballet congolais. Ils m’ont proposée de monter sur scène avec eux…
WalFadjri : Vous étiez danseuse dans cette formation musicale, comment voyez-vous, aujourd’hui, la danse au Sénégal ?
Seynabou DIOP : Dès que je suis arrivée au Sénégal, j’ai vu qu’il manquait des écoles de danse. Il fallait que les gens apprennent à danser. On sait bouger, mais on ne danse pas parce qu’ils ne vont pas à l’école, ils n’apprennent pas. Dans mes cours de danse, il y avait beaucoup plus de Blancs. Il n’y avait même pas de Noirs. Ils ne se sont jamais approchés ou quand ils viennent, ils sont complexés parce qu’ils voient que les Blancs dansent mieux qu’eux. J’ai essayé de mettre dans la tête des danseurs d’ici qu’il fallait se former mais on m’a pris en rivalité, comme si je venais gêner quelque chose ou prendre une place. Je n’ai eu aucune réaction. On ne m’a pas ouvert les portes. ‘Kaay Fecc’ (festival de danse, Ndlr) était là, on m’a prise comme une vulgaire, quelqu’un que l’on connaît comme cela. Que ce soit ‘Oscar des Vacances’ (émission de de télé, Ndlr), on ne m’a jamais invitée. Donc venue en mission, j’ai voulu éveiller les gens quant aux images de la danse, d’enlever tout le côté trop sexe de la danse, qui se développe de plus en plus. Ici tout le monde danse n’importe quoi. Il n’y a que les danseurs sénégalais qui ont développé leur style, mais pour les danseuses, c’est à revoir parce qu’elles sont souvent paresseuses.
J’insiste surtout sur le côté sexe parce que la danse sénégalaise ne doit pas aller vers le porno. J’étais sexy, mais c’est juste un passage pour provoquer les hommes. Il faut aussi que les Sénégalais s’ouvrent un peu plus. Je projette de faire danser les Sénégalais pendant deux, trois mois pour qu’ils lâchent un peu leur mbalax et essaient de danser le ‘coupé-décalé’. C’est ce que je projette. Si cela ne marche pas, si les mentalités ne suivent pas, je sais au moins que j’ai essayé de lancer quelque chose …
WalFadjri : Comment êtes-vous passée de la danse à la chanson ?
Seynabou DIOP : Aujourd’hui, si je me suis retrouvée chanteuse, c’est parce qu’il y a eu un moment où tout le monde me disait : ‘Il faut que tu chantes’ - surtout les Américains. Il y avait un morceau qui devait se faire, c’était la Lambada, et on m’a proposé de le faire. Je n’avais pas envie car je ne voulais pas être connue aussi vite. Mais, j’ai fini par faire un 45 tours en 1987 qui s’appelait Bamboula. Il y a eu une bonne promotion. Puis un moment, j’ai fui parce que je ne me sentais pas du tout mûre et je trouvais que c’était trop tôt pour moi. J’ai tout lâché et je suis partie avec ma fille.
WalFadjri : Vous êtes partie avec votre fille, pour aller où ?
Seynabou DIOP : Je me suis cassée de Paris. Et j’étais en province. J’ai fait treize ans en province : treize ans de méditation parce qu’un moment, je retrouve Touba. Je ne sais pas comment, mais cette petite voix m’a dit qu’il faut que j’aille à Touba. J’y suis partie avec mon mari ; et là et là il m’a demandé : ‘Qu’est-ce que tu as vu ?’ Je lui ai dit : ‘Dieu existe !’. Il m’a dit : ‘comment tu as fait pour savoir ?’, j’ai répondu : ‘je sais qu’Il existe, c’est ce que je ressentais.’ Alors nous sommes revenus en France, j’ai commencé à me mettre à la prière, à lire le Coran. Du coup, cela m’a beaucoup guidée. Ce qui m’a permis aujourd’hui, avec les treize ans de méditation, de savoir qui j’étais. C’est dans l’Islam que j’ai saisi beaucoup de choses. J’ai compris que j’avais une mission à accomplir : laisser tout ce que j’avais en France et aller aider les Africains. J’ai vendu ma maison, je suis arrivée en 2003 au Sénégal. J’ai construit un complexe culturel à Malika (banlieue Dakar), c’était un rêve. Je voulais à tout prix venir en Afrique. Et je me retrouve là avec beaucoup de difficultés. On m’a volée, manipulée, on m’a pris mon argent. Mais je le prends toujours comme une épreuve. J’ai voulu venir, je dois galérer.
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