Décidément, Laurent Gbagbo, qui a été acquitté par la Cpi, a bon dos. "L'investisseur" Zézé Fulbert Kore ou Ange Isaac Korez alias "Zé" et "Ange" pour les intimes a prétexté des troubles que pourrait causer sa libération en Côte d'Ivoire pour justifier le placement de 7 milliards de Fcfa dans un projet immobilier sur 16 hectares à Bambilor. En réalité, ce n'était qu'une manière de "laver" des fonds volés dans les banques et virés dans les comptes d'hommes d'affaires sénégalais qui devaient ensuite procéder à des retraits et recevoir leurs commissions. Une note, saisie dans l'appartement meublé de "Zé" détaille de manière éloquente les pourcentages que devaient recevoir les uns et les autres. Libération, qui a révélé hier les dépositions et audios fragilisant la défense des banquiers mis en cause présumés, détaille la face sombre de cette rocambolesque affaire dans laquelle il est même question de hackers…syriens basés aux États-Unis. Il est aujourd'hui attesté que c'est la même bande qui a pompé la Bridge Bank de la Côte d'Ivoire, avant Versus Bank, pour procéder à des virements sur les comptes de Taboulé Sylla (PDG du groupe Nabi) et de Mouhamadou Moustapha Fall (patron de Sococer Sarl). Deuxième volet de nos révélations.
"On fait 750/750. eux, la façon dont ils vont travailler avec leur banque, ils savent que le truc ne doit pas rester là-bas"
"Ange ! Tu te rappelles que cela ne fait pas longtemps que nous avons le truc la. On fait le 1 milliard cinq cent, c'est-à-dire 750/750. Eux, la façon dont ils vont travailler avec leur banque ils savent que le truc ne doit pas rester là-bas. On fait 750 le jeudi soir et le lendemain on met 750 et l'affaire va continuer la semaine qui suit. Actuellement je parle à ma mère au téléphone et elle me dit que comme on a fait beaucoup de transferts il faut être prudent. Je ne sais pas ce que tu en penses".
C'est le contenu du message reçu le 26 janvier 2019 par Zézé Fulbert Kore dit "Ange", l'investisseur ivoirien qui apparaît comme un des cerveaux de la rocambolesque affaire d'opérations bancaires frauduleuses qui secoue l'axe Abidjan-Dakar et le monde bancaire sénégalais depuis l'arrestation de quatre chefs d'agence.
L'interlocuteur de Zézé est un certain "Théo", l'auteur des virements frauduleux opérés depuis le système de la Versus Bank, en Côte d'Ivoire. A ce message, "Zé" -comme l'appellent les intimes - répond : "Le gars il a dit que l'argent sera disponible. Moi j'ai besoin de 20 millions. Tout l'argent est là-bas. 750 sur le premier gars et 750 sur le deuxième". Le premier "gars" est Meissa Ndiaye Sène, directeur général d'Egims Sa et le deuxième, son associé Abdou Aziz Gning. Pour "Zé", il est impératif que l'opération se déroule normalement et pour cause : quelques heures auparavant, "Théo" l'avait contacté dans le cadre de la préparation d'un autre gros coup. "Est-ce vous pouvez trouver des cartes american express ou bien des cartes de crédit canadienne? On peut charger deux millions d'euros", lui écrit-il. "Zé" transfère le message à certain "Oumar", établi à l'étranger. Et c'est ce dernier qui répond : "Carte american oui mais pas carte express…Je viens de finir une réunion avec les banquiers et ils ont des jeunes syriens qui sont aux Usa et qui font aussi des virements hackers".
Je viens de finir une réunion avec les banquiers et ils ont des jeunes syriens qui sont aux États-Unis et qui font aussi des virements hackers"
Interpellé à la suite d'un souricière, à hauteur du magasin Auchan sis sur la Vdn, "Zé" a eu du mal à justifier ce curieux message extrait de son Samsung dernière génération : "Je l'ai reçu mais je n'y ai pas donné de suite", dit-il aux policiers, complètement confus. Zézé Flubert Kore ou Ange Isaac Korez, qui dispose de la nationalité ivoirienne et française, est, sur le papier, un chef d'entreprise modèle. Il se dit patron de trois sociétés en France, à Bissau et en Suisse sous les enseignes Gms, Power xl investment et Murex Sa. La première s'activerait dans la recherche de fonds pour de grands projets étatiques; la deuxième serait mise sur pied à la demande de Bissau pour la recherche de financements relatifs à la culture de noix d'acajou et la troisième serait spécialisée dans les finances. D'ailleurs, "Zé" soutient qu'il vient régulièrement au Sénégal, depuis 2018, dans le cadre des financements de projets agro-pastoraux dans la région de Matam mais aussi dans le cadre d'un projet d'électrification de 14 villages.
Mais dans les faits, il est clairement un délinquant international et le Sénégal a d'ailleurs sollicité Interpol pour cerner d'avantage l'ampleur de ses crimes commis en complicité avec un réseau international. Même s'il faisait tout pour se mettre en second plan, "Zé" est manifestement un pilier de la mafia qui a visé plusieurs banques de la sous-région ces derniers temps. Tombé avec lui, Meissa Ndiaye Sène ne dira pas le contraire.
Meissa Ndiaye venait de gagner le marché pour la construction des cimetières musulman et chrétien de Guédiawaye
Ce jeune entrepreneur, né en 1982, venait d'ailleurs de gagner le marché pour la construction des cimetières musulman et chrétien de Guédiawaye. Il s'active aussi dans de grands projets immobiliers même à Bissau. A ses dires, il ne se doutait pas de l'origine frauduleuse des fonds qui ont atterri dans ses comptes, mêmes si les enquêteurs pensent le contraire. Lors de son interrogatoire, sous le régime de la garde à vue à la Division spéciale de lutte contre la cybercriminalité, il confesse :
"A la date du 02/01/2019, ma société dénommée Entreprise générale immobilière du Sahel (Egims) a signé un accord de financement avec la structure Snp-Ci Sandy Negoce et Prestation basée en Côte d'Ivoire pour le financement de la construction de 16 hectares de logements à Bambilor. On m'a mis en contact avec Ange Isaac Korez. Il s'est présenté à moi en qualité d'investisseur. Il m'a fait savoir qu'il est propriétaire de quatre entreprises dont Sandy Negoce et Prestation et Gms sises en Côte d'Ivoire. Il m'a fait croire que suite à l'éventuelle libération de Laurent Gbagbo, son pays risque de verser dans la violence. Pour éviter de pareilles situations, il comptait investir son capital au Sénégal dans les domaines de l'immobilier des transports. Sur ces entrefaites, je lui ai fait découvrir mes chantiers de construction des cimetières musulman et chrétien de Guédiawaye. Sur ce, nous avons discuté sur un projet de construction de logements sociaux à Bambilor d'une superficie de 16 hectares estimé à 7 milliards de Fcfa. Nous avons ainsi signé un accord de financement".
"Il m'a fait croire que suite à la libération de Laurent Gbagbo…"
Le patron d'Egims poursuit son récit : "De retour à son pays, le sieur Korez m'a fait savoir qu'il ne pouvait m'envoyer que 750 millions de Fcfa. Le 2 février 2019, j'ai reçu l'argent dans mon compte ouvert à la Banque islamique".
Une version démontée par une note saisie lors d'une perquisition chez "Zé". Ladite note comportait la part de commissions que chacun devrait recevoir après les opérations frauduleuses. "Meissa, 48%" peut-on lire sur le document. Divers autres documents bancaires, faisant état de transferts frauduleux, ont été saisis dans l'appartement meublé que "Zé" louait à Sacré-Coeur III : un document intitulé "350 millions Euro contract", "500 millions Sblc hscbc", "500 millions Sblc Hsbc Mr Bassam", une capture d'un procès-verbal de dépôt à la Banque centrale de la République de Guinée Conakry" en date du 23 décembre 2016, des informations bancaires pour recevoir un virement de 2,6 millions d'euros mais aussi les coordonnés d'un chef d'agence d'une grande banque dakaroise jusque-là épargnée par le scandale pour un virement de 700 millions de Fcfa.
Ces documents explosifs saisis dans l'appartement meublé de "Zé", à Sacré-Coeur 3
Les enquêteurs ont aussi établi que Ange Isaac Korez, était au cœur des virements frauduleux ayant conduit à l'arrestation des hommes d'affaires Taboulé Sylla (Dg groupe Nabi) et Mouhamadou Moustapha Fall (Sococer Sarl) dans le cadre d'un dossier similaire piloté par la Section de Recherches. Comme nous le révélions, cette affaire a commencé aussi en Côte d'Ivoire mais à la Bridge Bank. Dans la journée du 14 décembre 2018, le compte Bridge Bank logé à la Banque centrale des états de l'Afrique de l'Ouest (Bceao) est victime d'une attaque informatique d'envergure. Des hackers ivoiriens ont bénéficié de complicités internes pour faire main basse sur le code permettant le transfert de fonds vers des pays de la zone Uemoa. Ainsi, 98 millions de Fcfa ont été virés dans une banque togolaise et 634 millions de Fcfa vers deux banques sénégalaises, notamment la Banque atlantique et Orabank Dans la foulée, les hackers avaient effet mis en place une société fictive du nom de "Société internationale de plantation et de finance en Côte d'Ivoire" qui a ordonné les transferts. En "traçant" les virements, Bridge bank découvre que, dans la seule journée du 14 décembre, 198 millions de Fcfa ont été virés dans le compte de la Sococer Sarl alors que le compte du groupe Nabi, sis à la Banque atlantique, recevait 235 et 199 millions de Fcfa. Le temps que la Bridge Bank saisisse la Bceao et ses homologues sénégalais pour bloquer les fonds, les deux sociétés, bénéficiaires, avaient déjà procédé à des retraits cumulés de plus de 100 millions de Fcfa. "Sylla m'avait sollicité pour un projet de construction de logements", a informé Ange Isaac Korez lors de son interrogatoire en garde à vue.
C'est la même bande qui a pillé Bridge Bank avec le même modus operandi
Le ressortissant ivoirien sera néanmoins accablé par un autre message WhatsApp dans lequel il s'adressait à son complice basé en Côte d'Ivoire : "Dés que l'opération est faite tu me dis . Maintenant pour Dakar, monsieur Meissa (ndlr, Meissa Sène) est plus que prêt. Donc il faut avoir l'esprit d'anticipation et faire d'une pierre d'un coup. Parce que quand on finit avec Dakar, on ne retourne plus à Dakar. On fait une ou deux opérations après c'est fini. 1,5 milliard le même jour et 2,5 milliards deux jours après. Après c'est fini. Amènes ton passeport parce qu'on ne sait jamais ce qui peut se passer en Côte d'Ivoire d'un moment à l'autre. D'ici, tu peux partir où tu veux tant que tu as l'argent".
"Quand on finit à Dakar, on ne retourne plus à Dakar"
Face aux enquêteurs, "Zé" sert une version surréaliste pour expliquer ce message : "Effectivement, le dossier de Meissa s'élève à 7,6 milliards de Fcfa. Mais déjà, la première tranche de 1,5 milliard de Fcfa a été payée. Ainsi, je lui proposais de faire d'une pierre deux coups comme le contrat était déjà acceptée. Après ça, ils (ndlr, les partenaires fictifs) viendraient à Dakar dans l'optique de suivre le reste des travaux". Un crime n'étant jamais parfait, le "correspondant" d'Ange qui ne savait pas sans doute que la bande était tombée à Dakar au moment de partager le butin lui écrit, impatient : "Ange, bonjour comment tu vas? Je ne suis pas content. Je suis allé quelque part avec ma mère, tonton va nous retrouver là-bas. Que Meissa viennent nous donner notre sous et dis à Théo de se calmer. On va tout faire pour qu'il ne puisse pas bouffer l'argent tout seul"
17 Commentaires
Malékri
En Mars, 2019 (08:12 AM)tout comme un "bon président" africain qui se respecte...il a volé l'argent des ivoiriens, sans compter les crimes, assassinats dont les familles des victimes réclament encore vengeance et justice !
Ok
En Mars, 2019 (09:25 AM)Yo
En Mars, 2019 (09:38 AM)On a compris
Onditout
En Mars, 2019 (11:26 AM)L'ingénieur
En Mars, 2019 (11:43 AM)Lemou
En Mars, 2019 (13:18 PM)Ptjmkdr
En Mars, 2019 (14:24 PM)D'ailleurs il me semble que ce sont justement les chefs d'agence incriminés qui ont alerté la police sur ces opérations.
Dans ce qui est mentionné ici nulle trace de commission versée aux banquiers. En fait il s'agissait d'ouvrir des comptes pour recevoir les virements , les transférer dès le lendemain sur un autre compte et récupérer l'argent en espèces dans plusieurs établissements de la région et disparaitre avant que le coup ne soit éventé. Et d’ailleurs il semblerait que cela ait été fait et couvert de succès dans plusieurs pays de la sous région.
Comme nos procureurs sont des fainéants , ils jettent en prison de pauvres lampistes certes incompétents mais honnêtes, et ne diligenteront aucune enquête digne de ce nom.
Mounas
En Mars, 2019 (14:35 PM)Vérité
En Avril, 2019 (03:11 AM)Participer à la Discussion