Il aura fallu huit années aux Français François Normant et Philippe Franchois pour produire leur premier millésime.
« 2020, année du vin ! » C’est ce qu’ont souhaité les amis de François Normant et Philippe Franchois, deux Français qui, depuis 2012, caressent ce rêve un peu fou d’inscrire le Sénégal, pays à 95 % musulman, sur la carte des producteurs de vin.
Cachées dans la brousse sénégalaise, à soixante kilomètres au sud-est de Dakar, la capitale du pays, de jeunes vignes flirtent avec des baobabs centenaires, emblèmes du pays. Dans la localité de Nguékhokh, les feuilles à nervures palmées étonnent les locaux. Et pour cause : personne n’avait encore développé d’activité viticole au Sénégal avant que les deux passionnés n’en fassent le pari. Et quel défi, dans un pays où le climat tropical n’en fait pas la destination toute indiquée pour la culture de la vigne.
La résistance du cépage grenache
Mais François Normant et Philippe Franchois, l’un informaticien et l’autre retraité des assurances, n’ont que faire des a priori et sont sur le point, enfin, de commercialiser les premières bouteilles étiquetées du domaine du Clos des baobabs. Il sera le premier vin produit dans la région continentale d’Afrique de l’Ouest, les îles du Cap-Vert en produisant.
Presque huit ans de « tâtonnements », selon Philippe Franchois. Et c’est peu dire. Pendant ces années, ils ont planté, expérimenté, abandonné, recommencé. Au début, sur les cinq cépages importés de France et plantés dans leur hectare de « champ expérimental », quatre les désolent. Les uns restent rachitiques, les autres se développent sans donner un seul raisin ou ne supportent tout simplement pas les vents chauds.
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Un seul résiste : le grenache, un cépage rouge méditerranéen que l’on trouve en France, majoritairement en Provence, Languedoc et Roussillon. « C’est une chance parce que s’il n’était pas sorti du lot, on aurait peut-être tout abandonné », avoue François Normant. Après d’autres tentatives sur plusieurs autres cépages, dont certains utilisés en Afrique du Nord, le grenache demeure le seul à donner du fruit. Et encore, il faut le bichonner.
Beaucoup de sable et un peu d’argile, c’est bien peu pour nourrir les vignes. « Le sol n’est pas particulièrement adapté à la viticulture, admet François Normant. Mais les analyses que nous avons effectuées montraient qu’en ajoutant des matières organiques on pouvait y arriver. » Ce manque de matières organiques est caractéristique dans cette zone sahélo-soudanienne, où les vents emportent l’humus qui devrait nourrir la terre.
Lutter contre les termites et les singes
De gros investissements – sur lesquels les deux amis restent discrets – ont été nécessaires pour faire vivre les plantes fruitières. Un système d’irrigation goutte-à-goutte permet d’arroser efficacement chaque pied de vigne au niveau de ses racines. Et pour la « ferti-irrigation » – le fait de charger l’eau en nutriments –, c’est Abdoulaye Ndiaye qui est aux commandes. Ancien professeur d’équitation, il a été formé dès le début du projet et est devenu le chef des cultures. Aujourd’hui, il gère seul le domaine lorsque les deux gérants sont absents, de la taille à la vendange, en passant par le désherbage à la charrue tirée par des chevaux, pratique qui revient dans les domaines les plus prestigieux. « C’est le meilleur d’entre nous à présent », affirme fièrement Philippe Franchois.
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Des insectes comme les termites mettent aussi en danger les vignes, « mais il y a beaucoup moins de champignons qu’en France, indique François Normant. Là-bas, c’est une plaie. » Ce que ne connaissent pas les vignerons français en revanche, ce sont les singes. En 2017, la veille de la vendange, la presque totalité des raisins a été avalée par les primates. Inutile de chercher une bouteille de ce millésime, il n’en existe aucune. Une présence humaine est donc nécessaire nuit et jour dès que les raisins grossissent au mois de mai.
Mais en cette mi-janvier, l’heure est à la taille. Armés de leurs sécateurs, François, Philippe et Abdoulaye sont accroupis au chevet des pieds de vigne. Ils s’occuperont de ce champ de deux hectares seuls, « car la taille est une manœuvre délicate et très technique, dont dépendront la quantité et la qualité du raisin », souligne François. En France, « le moment de la taille est imposé par les saisons, explique-t-il. C’est fait l’hiver pour que les vignes bourgeonnent au printemps. » Pas au Sénégal. Les viticulteurs ont choisi cette période la moins chaude de l’année, idéale pour les fragiles bourgeons et fleurs à venir.
Un goût boisé
A la fin de la taille, les robinets seront ouverts et les pieds de vigne seront enfin irrigués. Depuis les dernières pluies de la saison de l’hivernage, en octobre 2019, ils n’avaient plus reçu d’eau. « Après ce stress hydrique, les bourgeons vont sortir en quelques jours, c’est spectaculaire », savoure déjà l’informaticien. D’après leurs expérimentations, 140 jours après ce « coup de peps », il sera temps de vendanger.
Mais avant cela, les cultivateurs vont tenter de relever un nouveau défi. Celui de planter un nouvel hectare sans ce qu’on appelle des « porte-greffes ». En Europe, depuis la grave crise du phylloxéra qui a ravagé les domaines à la fin du XIXe siècle, tous les pieds de vignes sont greffés sur des pieds nord-américains résistants aux pucerons. « Normalement, le sol d’ici n’est pas contaminé, explique François Normant, serein. On veut tenter car, théoriquement, sans porte-greffes, le vin porte plus d’arômes. »
Déjà goûté par des œnologues et apprécié pour son goût boisé, le vin du domaine du Clos des baobabs est destiné à une clientèle d’élite et avertie. Produit en quantités très limitées – un petit millier de bouteilles pour le millésime 2019 –, il sera distribué seulement dans quelques hôtels de Dakar et peut-être à l’aéroport international Blaise-Diagne, à un prix supérieur à 25 000 francs CFA (près de 40 euros) la bouteille.
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