Le problème des chasses aux sorcières est récurrent dans les régions tribales du nord et de l’est de l’Inde. Des groupes d’hommes assassinent des femmes voire parfois des familles entières sous couvert de superstitions. Les autorités locales et des associations tentent de lutter contre le phénomène alors que le nombre de ce genre de crimes est en croissance.
Le 24 janvier dernier au soir, à Sundargarh, un hameau reculé et tribal de l’Etat de l’Odisha, à l’est de l’Inde, un groupe d’hommes entre dans la maison de Mangri Mundi. Ils assassinent cette femme, ainsi que ses quatre enfants âgés de 1 à 12 ans, à coups de bâton et de hache, avant de jeter leurs corps dans un puits. Ces assaillants accusaient la mère d’être une sorcière et d’avoir jeté un sort sur ses deux filles récemment décédées. La police a rapidement arrêté quatre membres de cette famille endeuillée, ainsi qu’un guérisseur, qui les aurait convaincus de la culpabilité de Mangri Mundi.
Premier déclencheur : le manque d’accès aux soins
Ce genre de crime est malheureusement courant et en apparente croissance dans cet Etat de l’Odisha : 99 attaques contre de prétendues sorcières y ont été enregistrées par la police en 2017, entraînant la mort de 18 personnes, contre 85 assauts pour 25 décès en 2016. Ces assauts sont comptabilisés comme des délits à part entière depuis que l’Odisha a édicté, en 2013, une loi spécifique qui punit de trois ans de prison toute personne qui accuse quelqu’un d’être une sorcière, pourchasse ou entraîne un groupe à se lancer dans une chasse aux sorcières. Ce fléau frappe de nombreuses régions tribales du nord et de l’est du pays, et d’autres Etats comme le Bengale-Occidental, le Jharkhand ou l’Assam ont également adopté des lois pour réprimer ces actes.
La première cause de ces violences est le manque d’accès à des soins de qualité dans ces zones reculées, ce qui entraîne la dépendance de ces populations envers des guérisseurs locaux. Ces derniers, faute de pouvoir diagnostiquer ou soigner les maladies ravageuses comme le paludisme ou la typhoïde, vont, comme dans l’assassinat de la famille de l’Odisha, jouer sur les superstitions des personnes affligées. Et les manipuler. Avec une constante motivation : accuser des femmes d’être responsables des maux de la communauté, dans le but de les rabaisser dans une position de dominée et/ou de leur saisir leurs terres.
« Les chasses aux sorcières sont souvent le résultat de conflits entre les veuves et sa belle-famille à propos du contrôle des terres », résume la sociologue Soma Chaudhury dans son ouvrage Witches, Tea Plantations and Lives of migrant laborers in India (Lexington books, 2013). « Dans les Etats du Jharkhand et du Bengale-Occidental, par exemple (est de l’Inde, ndlr), le droit d’une veuve à hériter des terres de son mari défunt peut lui être refusé si l’on prouve qu’elle est une sorcière. »
Une arme misogyne
Cette chercheuse de l’université américaine du Michigan y analyse les études menées sur le sujet depuis 20 ans dans différentes parties de l’Inde et montre à quel point, dans ces sociétés patriarcales, les accusations de sorcellerie ont servi à résister à l’émancipation des femmes. « Les femmes des tribus des Santhals, Ho ou Munda luttent pour que, si elles n’ont pas de fils, les terres de leur mari défunt aillent à leurs filles. Mais la résistance à briser le modèle patrilinéaire est très forte et ces problèmes fonciers sont l’une des premières raisons derrière les accusations de sorcellerie dans cette région » du nord-est de l’Inde, explique Soma Chaudhury.
De manière générale, la chasse aux sorcières apparaît comme une arme profondément misogyne : les femmes célibataires, veuves ou divorcées sont perçues comme sauvages, libres et donc menaçantes. Il devient alors facile de les accuser de sorcellerie et « acceptable » de les tuer pour récupérer leurs terres. Pour beaucoup, ces chasses aux sorcières sont plus courantes dans les régions tribales, car ces communautés dépendent des terres pour vivre et que les tensions pour leur appropriation y sont donc plus exacerbées.
Des pièces de théâtre pour exorciser le problème
L’association Anandi, basée du Gujarat (ouest), lutte contre ces pratiques par l’intermédiaire, entre autres, de pièces de théâtre : des femmes victimes de ce harcèlement montent sur les planches des villages de cet Etat pour raconter leur histoire. « Le message que nous essayons de transmettre aux communautés est que l’affirmation des femmes n’entraîne pas la destruction de la famille, contrairement aux chasses aux sorcières, qui mettent ces femmes et les familles en danger », explique Jeevika Shiv, co-directrice d’Anandi.
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Ces représentations brisent également le silence qui entoure souvent cette question et permettent à d’autres victimes de s’exprimer, tout en sensibilisant les forces de l’ordre à ce problème. L’association se bat à présent pour que cet Etat du Gujarat adopte également une loi contre les chasses aux sorcières, ce qui permettra de donner une meilleure visibilité à ce fléau tout en mettant la pression sur la police pour agir.
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