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Mai 1976. Le Premier ministre Jacques Chirac cherche un énarque sachant écrire. On lui présente un jeune homme mince au front déjà dégarni, venu des Landes.
Leur premier entretien dure cinq minutes: "On me dit que vous voulez faire de la politique ? J'espère au moins que vous savez tâter le cul des vaches". Commentaire ultérieur d'Alain Juppé : "Je m'attendais à tout, sauf à ce genre de questions.
Mais j'étais heureux".
"Je me suis vite aperçu qu'il était à la hauteur", dira Chirac à propos de ce jeune normalien, sorti de l'ENA 5e sur 72, appelé à devenir son "fils préféré". Lorsqu'il rompt avec le président Valéry Giscard d'Estaing en claquant la porte de Matignon, Juppé l'accompagne dans l'aventure du RPR, créé fin 1976.
Il s'installe au coeur du système chiraquien, devient indispensable. Il est tour à tour conseiller au cabinet du maire de Paris, directeur des finances de la ville, secrétaire général puis président du RPR, ministre et Premier ministre de 1995 à 1997.
Un de leurs rares points communs est la pudeur. A part ça, ils sont aux antipodes. "Chirac ne pouvait pas être cérébral et cultivé. Juppé l'était pour deux. Juppé ne pouvait pas être sympathique. Chirac l'était pour deux", écrit la journaliste Anna Cabana dans un livre sur le maire de Bordeaux (2011).
Ils vont pourtant entamer un compagnonnage politique de près de 40 ans, l'un au service de l'autre, en dépit d'inévitables bouderies et tensions. Une rareté en politique.
En 1989, Juppé ne participe pas à la fronde des rénovateurs que mènent d'autres quadras au sein du RPR, et l'année suivante, il contribue à repousser l'offensive lancée par Philippe Séguin et Charles Pasqua pour renverser la direction du parti. Jacques Chirac lui en sait gré.
En 1995, il soutient Chirac à la présidentielle, alors que beaucoup à droite, comme Nicolas Sarkozy, se pressent chez Edouard Balladur. Et, malgré l'échec de la dissolution de 1997, largement dictée par la volonté élyséenne de "sauver le soldat Juppé", le président continue à ne pas lui économiser sa confiance.
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Cet homme-là est différent”
En 1993, Chirac désigne Juppé - une des plus belles mécaniques intellectuelles de la droite - "probablement le meilleur d'entre nous", lors de journées parlementaires du RPR pour en faire son successeur à la tête du parti. La formule va faire florès et Juppé susciter de la jalousie!
Le cadet n'est pas en reste. En 1994, il revient sur l'émotion qui l'a envahi lors de la création du RPR, bien des années avant : "J'écoutais cette voix qui ne m'était pas encore familière: la vôtre. Je me suis dit: +cet homme-là est différent. Son verbe communique l'enthousiasme+. Je vous ai suivi, je ne l'ai pas regretté".
Leur relation père-fils - d'ailleurs, Juppé n'a jamais pu tutoyer son aîné, même si seulement 13 années les séparent - est assombrie par sa condamnation en appel en 2004 à 14 mois de prison avec sursis et une année d'inéligibilité.
Adjoint aux Finances lorsque Chirac était maire de Paris, il assume devant la justice un système opaque d'emplois de complaisance, payés par la municipalité au profit du parti présidentiel. Il paye seul. Il est meurtri mais sa fidélité au président ne se dément pas.
"Chirac aurait pu revendiquer la responsabilité des faits. Il a choisi de se taire", a écrit le journaliste Alain Duhamel selon lequel Juppé "se sent abandonné par son chef de file". De son côté, le président, très affecté, lui renouvelle alors "son amitié, estime et respect".
Dans ses Mémoires (2011), Chirac enlève l'adverbe "probablement", prononcé en 1993, et écrit: "Il reste pour moi, quoiqu'il arrive, le meilleur d'entre nous".
En 2011, Chirac, déjà affaibli, déclare qu'il votera François Hollande à la présidentielle de 2012, "sauf si Juppé se présente". En 2014, le vieux lion le soutient à nouveau pour la présidentielle de 2017: "J'ai toujours su qu'il serait au rendez-vous de son destin et de celui de la France".
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