Les suites de l'attentat de Charlie Hebdo continuent d'agiter le Sénégal. Ce samedi 24 janvier, une contre-marche aura lieu à Dakar pour « dire halte aux caricatures » de l'hebdomadaire satirique et condamner « un comportement multirécidiviste, prompt à écorner l'image de l'islam », selon Sambou Biagui, le coordinateur de la Plateforme africaine pour le développement et les droits humains, une des organisations à l'initiative du rassemblement.
Après l'interdiction par le ministère de l'Intérieur sénégalais de la diffusion « tout moyen » dans le pays du « numéro des survivants » et de l'édition datée du 14 janvier du quotidien Libération reprenant en une la caricature du Prophète, des milliers de fidèles musulmans avaient spontanément marché le 16 janvier, à l'issue de la prière du vendredi, de la grande mosquée de Dakar jusqu'à l'ambassade de France. Pancartes « Touche pas à mon Prophète », « Je ne suis pas Charlie, je suis Mohamed », tags hostiles aux athées, drapeau français brûlé : les manifestants avaient notamment exigé des excuses publiques du président de la République sénégalais Macky Sall, qui s'était rendu à Paris pour l'hommage républicain du 11 janvier aux victimes des tueries du journal satirique et du supermarché casher.
Le Président a répondu, le 16 janvier, à ses détracteurs de tous bords : « À travers cette présence, j'ai voulu indiquer que le Sénégal s'indignait face à ces méthodes barbares, intolérantes et inacceptables. […] C'est ça le sens de la présence, ce n'est pas "d'être Charlie" ou de "ne pas être Charlie". Maintenant, la question de la liberté de la presse, elle se pose partout dans le monde. Nous sommes des partisans de la liberté de la presse. Mais elle ne doit pas, de notre point de vue, entraîner vers ce qu'on peut considérer comme une provocation, tout à fait inutile. »
Au Sénégal, près de 94% de la population est musulmane, très majoritairement affiliée au soufisme. Les fidèles sont regroupés au sein de quatre grandes confréries, parmi lesquelles celle des mourides (environ 35% des 13,5 millions d'habitants du pays). À l'occasion du Grand Magal, le pèlerinage annuel qui a eu lieu le 11 décembre dernier dans la ville sainte de Touba, à 200 km de Dakar, Le Monde des Religions est allé à la rencontre de cette communauté. Trois questions à Abdoul Ahad Mbacké, président de la commission communication et culture du Grand Magal 2014 [cette interview a été réalisée le 9 décembre 2014, ndlr].
On voit dans les rues de Dakar, depuis quelques années, des femmes entièrement voilées, que l'on ne voyait pas avant. Assiste-t-on au Sénégal à l'apparition d'une forme d'islam plus rigoureux, cela peut-il être un danger ?
Tout dépend de l'évolution de nos confréries. Au Sénégal, nous avons longtemps été immunisés contre les phénomènes que vous décrivez. Même si je suis un peu gêné quand vous parlez d'un « islam rigoureux » : il n'y a qu'un seul islam, avec des lectures différentes. À partir du moment où la personne respecte les cinq piliers, il peut ensuite y avoir des variantes. Notre chance, dans ce pays, a été la présence de ces grands saints soufis, à commencer par cheikh Ahmadou Bamba, qui ont été le rempart à l'extrémisme que l'on observe ailleurs.
De tout temps, la société sénégalaise a connu cette tendance ; mais le monde a évolué et avec l'exposition médiatique, certains phénomènes marginaux prennent des proportions insoupçonnées. Aujourd'hui, au Sénégal, 99% des musulmans appartiennent aux confréries soufies et respectent les préceptes des guides religieux qui ont créé ces confréries. >>L'État a également une part de responsabilité : si on fragilise nos confréries, pour différentes raisons, notamment politiques, c'est la porte ouverte à l'extrémisme. Le président Macky Sall a compris cela, car dans son discours, il parle d'islam sénégalais, de nos anciens qui ont été un rempart. Il n'y a pas besoin d'aller ailleurs pour y trouver des enseignements non conformes à nos valeurs africaines. On est sur la bonne voie.
Pendant le Magal, à la résidence officielle, vous trouvez toutes les associations islamiques représentées, c'est toute la oumma (la communauté) qui est là. Nous organisons une conférence durant laquelle la parole est donnée à tout le monde, et ça, on le trouve uniquement ici à Touba, ici au Sénégal. Par ailleurs, cette maison, où nous nous trouvons, dans laquelle je suis né, appartient à une grande dame de la famille de cheikh Ahmadou Bamba. J'ai vécu à ses côtés pendant plus de trente-cinq ans et je ne l'ai jamais vue dévoilée. Jamais. C'est vous dire.
C'est dans notre tradition. Et c'est le cas de toutes les filles de cheikh Ahmadou Bamba. Ce qu'il faut reconnaître, c'est que l'islam recommande à la femme de se voiler. Maintenant, certains ont voulu instrumentaliser cela en se l'appropriant et ça choque certaines personnes. On peut être voilée et être pour l'islam d'ouverture. Il s'agit d'un détournement : le voile intégral, c'est une question de tradition — et la tradition n'est pas la religion. Dans la tradition arabe, même avant l'islam, certaines se voilaient intégralement. C'est une compréhension malheureuse, mais les gens sont libres de le faire.
Le mouridisme, le soufisme, peuvent-il entrer en conflit avec une autre lecture de l'islam plus rigoriste?
Il ne faut pas avoir peur. Je ne veux pas employer le terme de confrontation, en tous cas, il ne faut pas avoir peur d'exprimer ses opinions et si on est conscient que le soufisme charrie un certain nombre de valeurs positives contenues dans l'islam, si on y croit quand on le dit, on va pouvoir apporter la bonne parole. C'est important que les gens puissent au moins savoir que ça existe, qu'ils aient la possibilité de choisir. Ce qui fait le terreau de l'extrémisme, c'est justement d'abandonner, de laisser la voie libre à d'autres valeurs.
Nous lançons au monde entier un message de paix, d'ouverture, de tolérance. Cheikh Ahmadou Bamba s'est dressé avec bravoure, tout seul, face à l'autorité coloniale, qui avait son armada militaire. Face à ces moyens démesurés, il était seul. Il a été injustement arraché à sa famille et aux siens, à son terroir, à son pays, exilé au Gabon, en 1895, dans ces forêts denses, où même aujourd'hui, vous avez énormément de difficultés à vous rendre, où il pleut douze mois sur douze. Puis il fut emmené en Mauritanie, dans le désert, mis en résidence surveillée jusqu'à son procès. Malgré tout cela, il a pardonné. Non seulement il a pardonné, mais il a prié le Bon Dieu pour qu'il répande sa miséricorde sur le monde entier. C'est pour cela que nous le considérons comme un patrimoine de l'humanité. Des personnes de cette trempe, il n'y en a pas beaucoup et c'est pour cela que nous faisons tout pour le faire connaître.
Quel rapport le mouridisme entretient-il au pouvoir politique au Sénégal ?
Nous sommes dans un État laïc, dans une République, avec des valeurs importées pas toujours conformes à nos traditions. Si vous allez dans la rue, vous ne trouverez même pas 10 à 20 % de Sénégalais capables de vous parler de la Constitution du pays. Cela dit, la confrérie mouride joue un rôle important sur le plan politique, religieux, social, avec des acteurs politiques de premier plan, dans le gouvernement — le Premier ministre est mouride, le Président se dit mouride. Chacun a le droit de se dire mouride. Le Président est venu ici la semaine dernière [début décembre], il a fait un discours devant le calife général des mourides, disant : « Je remercie Serigne Touba [autre nom de Ahmadou Bamba], je suis votre fils, je suis votre talibé [disciple]. » Chacun se vit mouride comme il l'entend, c'est une question de sensibilité personnelle.
12 Commentaires
Bario
En Janvier, 2015 (15:59 PM)Adar
En Janvier, 2015 (16:23 PM)Hooooo !!
En Janvier, 2015 (16:25 PM)Deug
En Janvier, 2015 (16:27 PM)Yeet
En Janvier, 2015 (16:58 PM)Sorry
Ah Oui
En Janvier, 2015 (18:07 PM)Ah Oui
En Janvier, 2015 (18:11 PM)Cedric
En Janvier, 2015 (18:12 PM)Bayefaal
En Janvier, 2015 (18:34 PM)Atypico
En Janvier, 2015 (22:21 PM)Guitou
En Février, 2015 (07:22 AM)Totene
En Février, 2015 (22:11 PM)Nègre arabe, xamal sa bopp. Tu es un esclave par essence dans l’islam depuis le baqt/bakt (652), soit 14 siècles, un esclave heureux d’emprunter la particule du maître (ibn, ben, bint, al, etc.), mais le djihad et la charia remettront la chaîne à ton cou. FATALEMENT. Comme au Nigeria, Soudan, Mali…
Participer à la Discussion