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Le Kenya s'apprête à voir ses dirigeants jugés par la CPI

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Le Kenya s'apprête à voir ses dirigeants jugés par la CPI

Le Kenya, partagé entre soif de justice et crainte de vide institutionnel, s'apprête à voir les deux têtes de son exécutif jugées pour crimes contre l'humanité devant la CPI, avec le début, mardi, du procès de son vice-président, avant celui du chef de l'Etat en novembre.Le président Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto, élus à la tête de l'Etat sur un "ticket" commun le 4 mars, sont jugés, dans deux procès séparés, pour leur implication présumée dans les trois mois de violences sur lesquels avaient débouché la précédente présidentielle, fin décembre 2007, faisant un millier de morts et plus de 600.000 déplacés. 

Le vice-président Ruto était en route lundi pour La Haye et le président Kenyatta a répeté dimanche qu'il était prêt à coopèrer avec la Cour pénale internationale. Ce sera la première fois que des hommes d'Etat en exercice comparaîtront devant le tribunal créé en 2002 et que la justice se penchera sur les responsabilités dans ce bain de sang. Les très rares condamnations prononcées par des tribunaux kényans pour des faits liées aux violences de fin 2007-2008 n'ont visé que des exécutants de second plan, a récemment rappelé l'ONG Human Rights Watch, soulignant le risque d'un "cycle d'impunité" si justice n'est pas rendue.

Pour certains Kényans, ces procès doivent servir d'exemple, dans un pays où la justice est réputée protéger les puissants. "Aucun responsable de haut niveau ne s'est vu demander de compte comme d'habitude", constate James Owino, sirotant une bière dans un bar de Nairobi, un oeil sur le journal télévisé largement consacré aux futurs procès. "Au Kenya, la police n'arrête que les sous-fifres et les enquêtes sur les grosses légumes sont balayées sous le tapis", assure-t-il. 

La soif de justice, notamment celle de nombreuses victimes dont les milliers de Kényans toujours déplacés, près de six ans plus tard n'empêche pas les craintes de voir les procès rouvrir les vieilles blessures et resurgir les haines enfouies. Fin décembre 2007, la contestation de la réélection du président sortant, le Kikuyu Mwai Kibaki, s'était rapidement muée en affrontements entre communautés, notamment entre les Kikuyu et Kalenjin, dont MM. Kenyatta et Ruto qui soutenait alors l'adversaire malheureux de M. Kibaki sont les chefs de file respectifs. 

L'alliance entre les deux ex-ennemis, qui leur a permis de conquérir le pouvoir en mars, a scellé une réconciliation fragile entre les deux communautés, rivales de longue date autour de l'accès aux terres essentiellement. Mais "les causes profondes des violences post-électorales de 2007-2008 dans la vallée du Rift n'ont pour l'essentiel pas été traitées, en dépit des pressions des autorités locales de certaines zones pour passer à autre chose", a averti HRW.

 Et les souvenirs des atrocités réciproques comme l'incendie d'une église où s'étaient réfugiés des familles apeurées restent vifs dans la mémoire collective. Parmi les craintes de certains Kényans et observateurs figure la condamnation d'un seul des deux leaders, qui pourrait rallumer la mèche des haines entre leurs deux communautés. Durant la campagne, MM. Kenyatta et Ruto ont en tout cas tourné à leur avantage leur inculpation, initialement considérée comme un handicap, réussissant à apparaître aux yeux de leur communauté d'origine, mais aussi de nombreux Kényans, comme des victimes d'un complot colonial. 

"Les accusés vont faire tout ce qu'ils peuvent pour tourner les événements à leur avantage politiquement", explique l'ancien responsable anti-corruption John Githongo. "Nous avons donc deux dossiers, un judiciaire à La Haye et un politique devant le tribunal de l'opinion publique kényane". Les députés kényans du camp Kenyatta-Ruto, majoritaire au Parlement, ont ainsi fait adopter une motion réclamant le retrait du Kenya du Statut de Rome fondateur de la CPI. 

La justice, souhaitée par de nombreux Kényans, n'efface pas non plus les craintes de vide institutionnel, avec un président et un vice-président régulièrement et longuement hors du pays pour les prochains mois, voire années. Sans compter les risques d'isolement diplomatique ou de crise politique en cas de condamnation des deux têtes de l'exécutif, élus à l'issue de scrutins enfin pacifiques qui avaient suscité soulagement et fierté dans le pays. 

"Le Kenya est un proche allié de l'Occident et un pays extrêmement important pour l'ensemble de l'est et du nord-est de l'Afrique", souligne Richard Dowden, de la Royal African Society britannique, "le pire scénario serait qu'ils refusent de se rendre à La Haye. Les Américains et Européens seraient alors contraints de placer le Kenya sous sanctions".



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