L’Inserm travaille actuellement sur des données fournies par Orange sur ses abonnés mobiles : une aubaine pour adapter ses modèles épidémiologiques aux mesures de confinement.
Nos données téléphoniques peuvent-elles aider à lutter contre la propagation du coronavirus ? C’est le pari de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), dont certains chercheurs collaborent ces jours-ci avec l’opérateur téléphonique Orange. L’entreprise a transmis à l’Inserm des données issues de l’activité de ses abonnés téléphoniques, dans l’espoir d’améliorer les modèles épidémiologiques utilisés pour comprendre la pandémie de Covid-19.
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Les modèles statistiques destinés à prédire et comprendre la propagation des épidémies existent depuis près d’un siècle. Ils ont été progressivement affinés et sont aujourd’hui cruciaux pour comprendre et anticiper la pandémie. Mais ils peinent encore à prendre en compte de manière fine un facteur crucial : les déplacements de la population.
1,2 million de personnes ont quitté l’Ile-de-France
« Les résidents d’une ville peuvent se déplacer – pour le travail, l’école ou une autre activité – et attraper la maladie dans une autre ville et la rapporter. Ou vice versa : ils peuvent arriver dans une ville en étant infecté et propager la maladie dans la population locale », explique au Monde Vittoria Colizza, directrice de recherches à l’Institut Pierre-Louis d’épidémiologie et de santé publique (Inserm-Sorbonne Université), qui travaille depuis plusieurs semaines sur le Covid-19.
Grâce aux informations reçues des smartphones de ses abonnées, qu’il a compilées et anonymisées, Orange estime que plus d’un million de personnes ont quitté la région parisienne lorsque les mesures gouvernementales de confinement ont été annoncées, entre le 13 et le 20 mars. Ces déplacements rendent caduques les données usuelles des modèles épidémiologiques. Ils ont aussi un effet direct sur le taux de reproduction du virus, le nombre de personnes qu’un contaminé infecte, lui-même déterminant incontournable de l’ampleur de la pandémie. Mme Colizza explique :
« Dans une pandémie de ce type, il y a une forte perturbation de la mobilité : les gens s’adaptent et ne voyagent plus à cause du confinement et de la restriction des déplacements, les trains circulent moins, les vols sont annulés. Il y a de très fortes perturbations de la mobilité : les modèles issus de la vie normale ne sont plus applicables et auraient donné des prédictions erronées. Il est important d’informer nos modèles avec des données qui suivent en temps réel ces changements. »
La chercheuse va aussi pouvoir, sur la base de ces données, intégrer l’impact des mesures de confinement dans son modèle et évaluer l’ampleur des déplacements résiduels. Il ne s’agira pas de vérifier le respect au sens légal des mesures de restriction de la mobilité, puisque certaines personnes peuvent continuer à se déplacer pour certains motifs précis, par exemple pour se rendre sur leur lieu de travail.
Du reste, l’Inserm n’a accès à aucune donnée permettant l’identification d’une personne. « Dans les données que je livre, je n’ai aucun moyen d’aller à l’individu. On n’est pas du tout sur de la donnée personnelle », insiste Mari-Noëlle Jégo-Laveissière, directrice de la recherche et du développement d’Orange. « On travaille directement sur des indicateurs agrégés et anonymisés », confirme Vittoria Colizza. Il lui est donc impossible de savoir si untel est allé plusieurs fois faire ses courses dans la journée ou si unetelle s’est réfugiée sur une île bretonne pour se rendre le confinement plus agréable. Mme Jégo-Laveissière précise :
« Nous sommes capables de dire quelle est la densité de mouvement sur un territoire. On leur donne l’évolution entre le jour et la nuit pour savoir s’il y a encore des villes où les gens viennent travailler et repartent le soir ; ça leur donne une idée de la densité de mouvement, qu’il soit autorisé ou non, car selon qu’une ville est immobile ou non il y a des risques de propagation plus ou moins importants. »
Vittoria Colizza compte cependant intégrer l’évolution des comportements globaux des Français au fil d’un confinement qui vient d’être prolongé jusqu’au 15 avril par le premier ministre, Edouard Philippe : « Est-ce que la première semaine tout le monde a respecté les mesures avant, peut-être, de moins les respecter ? Est-ce que la mise en place de mesures plus strictes [lundi 23 mars] a changé la donne ? Tout ça, on peut le voir », explique la chercheuse.
Le partenariat entre l’Inserm et Orange n’est pas isolé. La Commission européenne a récemment demandé à des opérateurs téléphoniques de toute l’Europe de leur fournir des agrégats de données anonymisées afin, là aussi, de mieux comprendre l’évolution de l’épidémie.
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