Les Etats-Unis ont envoyé dans les pays d’Afrique affectés par l’épidémie du virus Ebola du matériel médical composé du sérum, le Zmapp, qui aurait déjà fait ses preuves chez trois ses ressortissants contaminés. Préparé à partir de cellules de souris infectées (par la société Mapp Bio), son efficacité a été testée sur des singes, et serait due à l’action combinée des trois anticorps différents.
Aucun vaccin ou traitement antiviral homologué n’est disponible. Des essais sont en cours, et la date du probable vaccin dépend du respect scrupuleux du protocole de recherche (souvent très long). Et c’est là où se situe le problème.
II faut saluer la réactivité de la communauté internationale, car un réseau de surveillance épidémiologique a été mis en place par l’OMS, dès l’apparition de la maladie, en 1976. Les Américains ont débloqué 100 millions de dollars pour arrêter l’épidémie de cette année (Ebola fait partie du lot des «maladies réémergentes»). L’envoi de sérum et de vaccins en phase test répond au souci de sauver des milliers de vies, et peut être vu comme une mesure d’urgence. Mais n’est-ce pas précipité ? Bien que jugés probatoires sur des singes et des humains, en sait-on suffisamment pour les appliquer de façon massive ?
Ceci pose de toute évidence un écueil éthique. La bioéthique nait à Nuremberg (1945), suite aux dérives des médecins nazis sur les juifs et les prisonniers tziganes. Le code de Nuremberg fournit aux médecins des recommandations strictes pour encadrer la recherche, et veiller à l’intérêt bien compris des patients.
II sera complété, en 1964, par la Déclaration d’Helsinki (plusieurs fois revisitée) et la Déclaration de Manille (1981), avec l’OMS, qui insiste sur le respect des règles éthiques dans les pays en développement, maillons faibles des recherches biomédicales. En 1997, l’Unesco adopte la Déclaration universelle sur le génome humain, et en 2005, elle organise, à Dakar, une rencontre sur cet aspect de la législation internationale, peu maitrisé encore par nos pays.
En gros, le protocole des essais cliniques stipule que ceux-ci doivent être menés d’abord sur les animaux, en évitant, si possible, de les faire souffrir. A l’issu des résultats rigoureusement analysés, les barrières interspécifiques peuvent être franchies (de la souris au singe puis à l’homme, par exemple), à la condition que les risques sur ce dernier soient suffisamment calculés et maitrisés.
En 1996, une firme pharmaceutique occidentale avait mené des essais dans un grand pays d’Afrique ravagé par la méningite. Mais les antibiotiques servis aux enfants pour les prémunir de la maladie avaient créé un drame médical sans précédent, car le protocole devant guider rigoureusement les tests cliniques n’avait, de toute évidence, pas été respecté. Près de 11 enfants en sont morts, et des dizaines d’autres sont devenus handicapés, selon des degrés assez variables. Condamnée par les tribunaux, la firme avait commencé à indemniser les familles des victimes à partir de 2011.
Les doutes d’Obama avant l’envoi du matériel vers le continent africain se comprennent. II estimait, comme beaucoup de spécialistes, que les effets du sérum sont encore mal connus pour être appliqué à l’homme. II fait usage, de ce qu’on appelle, dans le milieu biomédical, du « principe de précaution ». Mais il semble que le « principe d’action » l’ait emporté sur les scrupules éthiques. C’est le premier enseignement important de l’épidémie.
L’OMS a donné son onction pour ces traitements expérimentaux. II faut prier pour qu’on ne se retrouve pas, plus tard, avec des effets encore mal maitrisés. L’échantillonnage (de trois sujets) est encore faible pour être un gage de succès chez des populations vivant dans des niches écologiques différentes, avec une histoire (réponse ?) évolutive, forcément différente, et liée à la pression de la sélection naturelle.
Par exemple, les individus souffrant de la drépanocytose (anémie falciforme) ont peu de chance d’être mortellement affectés par la malaria, car la forme arquée de leur hémoglobine empêche le développement du parasite dans leur organisme. Cette maladie est quasi raciale et touche davantage les Africains (Noirs américains compris). La Thalassémie (autre forme d’anémie, en version Alpha et Beta), qui sévit autour de la Méditerranée, affecte plus les Européens. La maladie neurodégénérative de Tay-Sachs touche plus les populations juives américaines. Dernière chose enfin: face à un médicament, tous les sujets ne réagissent pas physiologiquement de façon analogue. C’est pourquoi le processus d’homologation d’un vaccin ou d’un médicament est long (10 ans).
Le deuxième enseignement est plutôt un avertissement à ceux qui croient que l’industrie pharmaceutique est là pour « sauver » les Africains. Devant le coût extrêmement lourd des recherches, certaines firmes ne misent que sur des maladies assurant un retour sur investissement. Autrement dit, face aux « maladies rares » en Occident, ou celles des pays pauvres (paludisme, maladie du sommeil), elles préfèrent investir sur celles touchant à l’obésité ou aux troubles de la sexualité, par exemple, dont le marché est immense et les patients disposant de revenus assez appréciables.
Qui peut dire, aujourd’hui, avec certitude, que Mapp Bio va investir sur une « maladie tropicale » en étant sûre que la plupart de ses futurs patients ont moins de deux dollars par jour ? Pourquoi n’a-t-on pas encore un vaccin contre le paludisme (qui tue un million d’Africains par an), alors qu’on dispose suffisamment de moyens pour boucler (pas mener) les recherches ?
Enfin, Ebola offre un troisième enseignement capital. Certains leaders de l’extrême-droite, comme Jean Marie le Pen, évoquent, avec malice, l’épidémie pour la conjuguer avec l’immigration. Ce qui rappelle le spectre de l’eugénisme.
Armés du darwinisme social, certains idéologues pensaient en effet que la morale et l’humanisme allaient à contre-courant de l’évolution, en soutenant les plus faibles, alors qu’il fallait laisser la sélection naturelle faire son travail d’épuration. D’où le recours à une sélection « artificielle », soit positive, par l’élévation d’enfants génétiquement « parfaits », soit négative, par le génocide. Hitler a tenté l’expérience avec les juifs, pendant la Guerre. Dans d’autres pays, des pauvres et handicapés mentaux étaient stérilisés ou enfermés, parce que « génétiquement inférieurs », et les déviants, « génétiquement criminels ». Ces pratiques souvent raciales sont les causes lointaines des sciences bioéthiques.
Aux Etats-Unis, par exemple, les Noirs servaient souvent de cobayes aux expérimentations médicales, avec l’exemple de Tuskegee, en 1933, sur le traitement contre la syphilis. Le fameux Docteur Marion Sims, précurseur de la science gynécologique, au XIXe siècle, et fondateur de la « New York Women’s Hospital », menait ses essais sur les femmes esclaves noires. Pour améliorer ses techniques de chirurgie vaginale, il lui arrivait de charcuter (sans anesthésie) certaines esclaves, jusqu’à 30 fois, et la technique, une fois maitrisée, était appliquée aux femmes blanches.
En somme, derrière Ebola, se profilent les atrocités et les drames de l’histoire des sciences. Notre douillet confort médical bien moderne (par le progrès de la médecine) est adossé aux souffrances de nos lointains ascendants. L’humanité a souvent emprunté des chemins si tortueux d’où le bonheur n’a pas paru toujours évident. Ce qui amenait Hegel à écrire que « les (rares) périodes de bonheur sont les pages blanches de l’histoire ».
*Professeur de philosophie et de sciences politiques.
*Ancien chargé de programme à Amnesty International.
*Ancien consultant à l’Unesco.
12 Commentaires
Sosie
En Septembre, 2014 (09:00 AM)fr.wikipedia.org/wiki/Mutaz_Essa_Barshim
Intello
En Septembre, 2014 (09:11 AM)Goor
En Septembre, 2014 (09:14 AM)Copie Collé
En Septembre, 2014 (09:19 AM)Merci
Panafricain_sn
En Septembre, 2014 (09:43 AM)Atypico
En Septembre, 2014 (11:53 AM)Korsiga
En Septembre, 2014 (13:13 PM)Toto2
En Septembre, 2014 (15:00 PM)Mais quand on n a pas de choix comme les malades d Ebola on s accroche a n importe quel bouee de sauvetage.
Les ameriains ont testes leur medicament sur deux medecins et une infirniere avec des resultats probants pour le moment,seul Dieu sait s,il y aura des effets secondaires a long terme
Mahamadoul
En Septembre, 2014 (16:08 PM)Des médicaments qui n'ont pas subi la batterie de test necessaires peuvent se révéler etre de vritables poisons
Gallap
En Septembre, 2014 (16:24 PM)EBola peut être guéri si vous allez dans un centre se santé dès les premiers signes. Démystifions ces oiseaux de mauvais augure qui cherchent des projet et des salaires.
Comme vous le dites il faut 10 ans pour valider un vaccin pourquoi devons nous servir de cobaye pour enrichir des laboratoires pharmaceutiques.
Des médicaments sont validés au Japon et au Canada, bon dieu prenons les et oublions ceux qui veulent faire de nous des cobayes.
L'OMS aura à assumer une grande responsabilité si ces traitements expérimentaux ont de effets graves su le cours ou long terme alors qu'elle sait que le traitement symptomatique existe et donne des résultats probants .
Peut t'on demander à un malade ou à ses parents de faire un choix avisé pour un vaccin expérimental.
Wane Oumar
En Septembre, 2014 (18:07 PM)Mercie pour cela.
Zembele
En Septembre, 2014 (04:59 AM)Participer à la Discussion