Directeur de l’institut du cancer Joliot-Curie de l’Hôpital Aristide Le Dantec (Hald), le Pr Mamadou Diop est un des spécialistes très engagé dans la lutte contre la maladie. Chirurgien cancérologue, il a dénoncé l’idée que les gens se font du cancer qui, selon lui, ne signifie pas la mort. A l’occasion de la Journée mondiale contre le cancer ce mercredi, Seneweb lui a tendu son dictaphone. Entretien.
Professeur, beaucoup de gens pensent que lorsque l’on parle de cancer, la mort rode dans les parages. Qu’en pensez-vous ?
Oui, ça c’est la fatalité. Dans beaucoup de pays en voie de développement, on dit que le cancer, c’est la mort. Pourquoi ? Parce que, premièrement, les cancéreux arrivent à un stade très avancé de la maladie. Et partout dans le monde quand le cancer est diagnostiqué à un stade avancé, on en guérit rarement. Donc, c’est très facile de dire que «tous ces gens là que j’ai connus qui ont eu le cancer en sont morts, donc le cancer on en meurt, il n’y a pas de possibilité d’en guérir». Ce qui est faux. Parce que si le diagnostic est fait très tôt, la majorité des cancers est traitée et les patients sont guéris. Beaucoup de gens se disent : « On m’a dit que j’ai un cancer, donc mieux vaut aller voir le guérisseur. Il faut que j’aille voir le marabout. Je ne veux pas aller à l’hôpital». Ça crée un cercle vicieux qui entretient cette mortalité qui est très élevée. Cela s’explique aussi par le fait que la consultation se fait de manière très tardive.
Qu’est ce que vous voulez dire par là ?
Ce qu’on voit avec les malades qu’on reçoit ici, entre la première fois où la personne sent une douleur ou a un symptôme quelconque et le moment où elle vient à l’hôpital voir le médecin, il se passe un an en moyenne. C’est énorme. Pas une semaine, pas un mois, mais un an en moyenne, ça c’est la réalité dans notre pays. Les gens, ils vont aller voir le guérisseur qui va leur dire qu’il vaut mieux ne pas aller à l’hôpital qui va les retenir. Un guérisseur qui va leur faire croire que c’est du «ngélawou seytané» etc. Après tu perds beaucoup d’argent et beaucoup de temps. Nous disposons de moyens thérapeutiques larges. Il y a certains moyens qui manquent, mais nous disposons quand même de certains moyens thérapeutiques qui nous permettent de traiter et de guérir des cancers, mais à condition que le diagnostic soit fait à temps. Plus il est fait précocement, plus il y a des chances de guérir.
Quels sont les cancers les plus fréquents au Sénégal ?
Au niveau des 10 hôpitaux publics de la région de Dakar, on est, selon les estimations, à 1500 cas de cancer. Et les cancers les plus fréquents ce sont le cancer du sein, le cancer du col de l’utérus, le cancer de la prostate, le cancer de l’estomac, le cancer du pharynx. Ces 5 types de cancers font presque 80% à 90% de l’ensemble des cancers relevés. Mais sur les estimations nationales, on est à 6 600 cas et quelques par an. Mais ça, c’est des estimations. Nous allons avoir des chiffres réels. Nous avons commencé par les hôpitaux de Dakar, il faut qu’on termine. On est en train d’enregistrer tous les cas de l’année 2010. Et normalement d’ici 2 à 3 mois, on doit pouvoir publier des chiffres concernant les 10 hôpitaux de Dakar. Et il va falloir élargir aux hôpitaux régionaux et aux cliniques privées. Mais en sachant que la plupart des malades sont référés dans les hôpitaux publics de Dakar. En majorité, c’est des femmes, puisque c’est des cancers du sein et du col qui sont les plus fréquents. Et même dans les estimations, contrairement aux estimations dans le monde entier où l’homme est le plus atteint, au Sénégal comme dans beaucoup de pays en voie de développement, ce sont les femmes les plus touchées. C’est entre 60% de femmes contre 40% hommes. Mais on aura les chiffres réels très bientôt.
Quelle est la capacité d’accueil de l’institut Joliot-Curie ?
Ici, on est à 3 000 malades à peu près consultés chaque année. C’est énorme. Nous accueillons à peu près 10 à 15 malades par semaine. Et nous ne faisons pas tous les cancers. Beaucoup de cancers sont traités dans les autres hôpitaux. A l’institut du cancer, ces hôpitaux ne font pas le tiers des malades qui y sont traités. Pour vous dire qu’il est urgent aujourd’hui de faire un centre dédié uniquement au cancer où le personnel spécialisé est regroupé où les différents départements, les équipements nécessaires sont groupés. Ainsi tout est fait sur place, le malade ne va pas se déplacer comme aujourd’hui. Quand on a besoin de faire telle analyse, le malade est obligé d’aller vers tel hôpital, ensuite l’autre analyse il va le faire dans un autre hôpital ou dans un autre laboratoire, ensuite le traitement il vient le faire ici. Donc, il faut une unité de lieux pour diminuer la souffrance psychologique de la souffrance physique des patients, c’est aussi ça l’intérêt de faire un centre anticancéreux.
L’Institut de cancer de l’hôpital Le Dantec est assimilé à un mouroir. Qu’est-ce qui l’explique ?
Il n’y a pas de service de soins palliatifs au Sénégal. Donc, on est obligé, certains moments où les malades ne peuvent plus être chez eux, ils souffrent, la famille ne peut pas les prendre en charge, de les prendre chez nous. Mais on privilégie les gens qui sont programmés pour un traitement curatif. Si tu hospitalises, dans 50% des cas des gens qui sont en fin de vie, bien sûr tu vas avoir une mortalité élevée. Nous allons les accueillir pour qu’ils meurent ici, avec des perfusions, de la morphine etc. Alors si vous regardez ce côté-là et que vous vous dites que c’est un mouroir, ce n’est pas sympa. Nous, on le fait pour aider. Mais demain, on doit avoir un service de soins palliatifs pour les gens qu’on ne peut plus guérir. Mais il faut continuer à soutenir et à traiter psychologiquement et physiquement. Mais on n’a pas ça actuellement. Nous sommes le seul service. Tu suis un malade pendant des années, vous vous imaginez, on le suit, il a fait tous les traitements ici, il est arrivé qu’il a fait des métastases. Son cancer s’est généralisé. Il vient me voir en consultation. Je le connais ce monsieur ou cette dame. Je le connais depuis des années. Il ne peut plus marcher. Il a mal. Sa famille est là. Mais moi je lui offre au moins un lit et je lui donne des médicaments pour qu’il n’ait pas mal. Après, au bout d’une semaine, deux semaines, le patient est mort, on va dire ici, c’est un mouroir, cela n’est pas bien.
Peut-on avoir une idée du coût du traitement d’un cancer ?
C’est un traitement qui coûte très cher. Les médicaments de chimiothérapie coûtent très cher. Et c’est à la charge du patient. Les gens ne se rendent compte de la cherté que quand ils ont un malade ou quand ils sont malades et qu’ils arrivent ici. L’ensemble de la prise en charge coûte entre 950 000 et plus de 2 millions de nos francs. La chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie, les moyens de diagnostic, c’est en moyenne un million de nos francs. Et c’est à la charge totale du malade. Donc ça c’est un écueil. Vous vous imaginez donc qu’au Sénégal, il arrive que des gens, dès qu’on leur donne l’ordonnance pour la chimiothérapie, on ne les revoit plus. Ils n’ont pas les moyens de se traiter. Ils vont se débrouiller ailleurs ou aller mourir chez eux, après avoir essayé les guérisseurs etc.
Mais que ressentez-vous lorsque vous amputez un organe ?
Quant tu amputes le sein d’une femme, il y a le fait que tu enlèves un organe noble. Un organe qui a un rôle par rapport à la représentation de la féminité qui est extrêmement important. C’est ce qui nous allaite, qui nous donne la vie. C’est le symbole de la femme. C’est le symbole de la mère. Mais je me dis que je n’ampute pas le sein. Moi j’enlève un cancer. Psychologiquement, j’enlève un cancer, c’est quelque chose que je me dois coûte que coûte de faire, sinon la personne meurt. Ses enfants n’ont plus de mère, le mari n’a plus de femme. Moi je vois les choses comme ça. C’est cela la médecine. La première fois que j’ai vu une amputation, j’étais en 4e année de médecine. Je me suis dit après que jamais je ne vais faire cela car c’est horrible. Mais quand j’étais destiné à la chirurgie plus tard, je ne savais pas que ce serait la première intervention que j’allais faire. Mais ce que j’enlève (la maladie), c’est ça qui m’importe. Il faut l’accord de la personne. Que la personne sache que si on la laisse avec son membre affecté, on va l’enterrer. Si vous voyez un cancer du sein avancé, vous allez comprendre pourquoi il faut l’enlever vite, le plus tôt possible. Encore qu’on n’enlève pas tous le sein. Si la tumeur est petite et fait moins de 3 cm. On enlève la tumeur et les ganglions. Et la femme a toujours son sein. Nous c’est ce qu’on aimerait avoir, c’est ce qu’on aimerait faire. En France, il y a beaucoup moins d’amputation du sein parce que les gens sont diagnostiqués très tôt, sauf quelques cas.
21 Commentaires
Faya
En Février, 2015 (07:58 AM)Mabye@
En Février, 2015 (08:15 AM)Baye Mandione
En Février, 2015 (08:20 AM)Bravo
En Février, 2015 (08:22 AM)Tami
En Février, 2015 (08:36 AM)Doul Rek
En Février, 2015 (08:56 AM)Pharoah
En Février, 2015 (09:03 AM)Ami
En Février, 2015 (09:15 AM)Sarr
En Février, 2015 (09:21 AM)Boy Zig
En Février, 2015 (09:25 AM)Invité
En Février, 2015 (09:39 AM)Gy
En Février, 2015 (09:43 AM)Deva Dia
En Février, 2015 (09:46 AM)Tassimo
En Février, 2015 (09:50 AM)du café le plus intense aux boissons les plus douces, entrez dans un monde de variété et découvrez des boissons pour tous les goûts.avec la machine à café tassimo, dégustez plus de 40 boissons de grandes marques préparées à la perfection! programme de nettoyage automatique et son réservoir d’eau est amovible . vous aimez votre café dans une grande ou une petite tasse ? avec un support de tasse réglable et amovible et autant de choix de boissons délicieuses, il y a un monde de variétés de marques qui ne demande qu’à être exploré !
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Merci Docteurs
En Février, 2015 (10:00 AM)Sinon il faut vraiment un centre anti cancer a Dakar et plus tard dans les regions. Tout l'argent diapide, gaspille par les politiques, tous les detournements et autres caisses noires suffiraient a construire des hopitaux dignes de ce nom.
Bravo encore une fois au corps medical.
Merci Docteur
En Février, 2015 (10:14 AM)Pl
En Février, 2015 (13:01 PM)Tous mes remerciment au docteur DIENG qui suit ma maman depuis plusieurs années.
Zerohedge
En Février, 2015 (19:12 PM)Un Mari
En Février, 2015 (20:39 PM)Mme Fall et collègues, Adama, Henri......Merci a tous.
Sans Coeur
En Février, 2015 (22:55 PM)Theories5
En Février, 2015 (21:58 PM)Participer à la Discussion