Certaines font deux fois la taille d’un adulte, d’autres arrivent à la cuisse ou la dépassent. Les plus modestes sont à même le sol. Il faudra d’ailleurs faire attention pour ne pas marcher dessus. Tous égaux à la naissance et devant la mort sont des expressions qui perdent leur sens une fois que la dépouille dépasse le portail du cimetière de Yoff. Vendredi, jour béni et privilégié afin de venir formuler des prières pour les disparus. Dans les allées du cimetière, un ballet de visiteurs. Ça marmonne des prières dans des mains mises côte à côte, lorsque celles-ci n’égrènent pas un chapelet. Nul besoin de trop observer pour se rendre compte que la « distanciation sociale » est maintenue… jusque dans les tombes. Du moins, jusque dans leur construction. L’appellation «dernière demeure», souvent attribuée aux sépulcres, n’est pas que littérature quand on l’applique à quelques tombes. Grands espaces bien carrelés, calligraphie arabe ou française soigneusement incrustée dans du marbre, décor et architecture rappelant le design d’une mosquée constituent le lieu de repos éternel pour bon nombre d’âmes qui ont franchi la ligne rouge. En passant, des bouquets de fleurs, pour une dernière touche d’ornement. Un visiteur nous précisera que les « bancs » aperçus dans certaines « demeures » sont installés pour mettre à l’aise ceux qui y entrent en vue de prier pour les parents.
Balai à la main gauche, Mame Faye s’assoit sur les rebords d’une tombe déjà carrelée, face à deux hommes qui, plus loin, finissent la construction d’une autre. S’il n’en balaie pas, M. Faye en construit. Et la tombe a un prix. Le jeune homme semble bien avoir l’habitude de déambuler dans le coin. Aller d’une première tombe à une troisième en survolant une deuxième avec l’écart de jambes ne provoque en lui le moindre frisson. Il est quasi impossible d’atteindre certaines tombes sans se déplacer de la sorte. L’entassement des maisonnettes qui rivalisent de finesse scripturale et de raffinement architectural encombre le déplacement. Et, peu importe : d’aucuns ne se privent pas de se mettre sur un « mur », la tête baissée, les mains recueillant la bénédiction du Ciel. Ils sollicitent l’apaisement de la « tombe-maison » de ceux qui sont arrachés à leur affection.
Le prix du « repos éternel »
Bien à l’aise, M. Faye montre du doigt un caisson de carreaux blancs. Il est assez modeste et est d’un prix à la hauteur de sa modestie. M. Faye d’en donner le prix : « cette tombe se construit à 80.000 FCfa, élévation des rebords et carrelage compris ». M. Faye est interpelé quelque part : quelqu’un veut qu’on lui coupe un petit arbre qui prend de la hauteur devant la dernière demeure d’un proche. Sur la route, il précise que l’on peut réserver une partie de la terre du cimetière musulman de Yoff : « les 4 m2 sont à 100.000 FCfa et peuvent contenir jusqu’à cinq personnes ». Sa précision vient éclairer une interrogation à propos d’un espace dont le sol est dallé mais qui, apparemment, n’abrite pas de cadavre. La confirmation sera donnée par El Hadji Abdoul Aziz Diène qui officie dans le bureau situé en dehors du cimetière. Selon lui, les choses sont simples puisqu’au bureau, on ne demande que le permis d’inhumation. La décision de décorer revient aux familles. Une décoration au coquillage muni d’une pierre tombale ne dépasse pas 50.000 FCfa, selon le responsable. M. Faye, qui s’apprête à répondre à une autre interpellation, annonce qu’il réalise la « chambrette » à 480.000 FCfa. « Ça peut aller jusqu’à un million de FCfa », soutient El Hadji Abdoul Aziz Diène qui précise que tout dépend des familles.
Juste un tas de sable
Au cimetière de Yoff Bélélane, le décor est tout autre, aussi bien dans l’apparence que dans l’âge des visiteurs. Dans ce cimetière du village lébou, tonne l’écho du prêche de la mosquée d’en face. Une dame s’active à épurer le sable sur lequel beaucoup d’enfants déambulent. L’imam parle des méfaits de l’ostentation. Et la sobriété des lieux paraît comme une pratique de la litanie que distillent les haut-parleurs qui inondent le silence du lieu de repos des âmes. Les enfants murmurent entre eux. Les plus âgés implorent le pardon pour les silencieux sous terre avant d’aller rejoindre les rangs de la prière qui ne va pas tarder. Ici, aucune construction, aucun mur, pas l’ombre d’un carreau et nul marbre. « Nous sommes tous égaux », dit Aly Fall Niang. Rien ne distingue l’une et l’autre tombe en effet. Tous ont en commun un tas de sable d’à peine quelques centimètres. Un tableau en bois ou en ciment vient préciser le nom et la date de décès. Ainsi, les tombes se font-elles à l’intérieur du village, à la différence de « Dakar ». Dans la bouche d’A. F. Niang, Dakar, c’est le grand cimetière musulman de Yoff où l’apparence des tombes suggère le statut social du défunt. L’absence de construction s’explique aussi par le besoin de créer plus d’espace, ainsi que souligné par l’imam Mamadou Ndoye après la grande prière du vendredi. Ça fait au moins six ans qu’à Yoff Bélélane, le sable est devenu la seule matière pour ériger les tombes.
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