La crise du coronavirus a aggravé la situation de la communauté LGBT dans un pays où l’homosexualité est taboue et passible de prison.
Moustapha* raconte son histoire, un léger sourire aux lèvres. Une histoire qui lui a pourtant valu l’exclusion de sa famille, dès le début de la crise du coronavirus. « Mon grand frère et ma grande sœur m’ont accusé d’avoir apporté la pandémie au Sénégal, une punition de Dieu pour mon homosexualité », raconte le jeune Dakarois de 25 ans.
Au Sénégal, un pays pourtant cité en exemple d’Etat de droit en Afrique, l’article 319 du Code pénal prévoit de un à cinq ans de prison pour des actes qualifiés de « contre nature ». L’homosexualité reste taboue dans cette société majoritairement musulmane, qui exclue les personnes de la communauté Lesbiens, gays, bisexuels et transsexuels (LGBT).
Longtemps, Moustapha a vécu son orientation sexuelle en cachette de sa famille, jusqu’à cette « journée horrible » qui a changé sa vie il y a quatre ans. « Nous fêtions l’anniversaire d’un ami. Mais un voisin a averti le quartier qu’un mariage homosexuel était célébré. Ils sont venus avec des couteaux, des bâtons, ils ont forcé la porte et saccagé l’appartement. J’ai été frappé violemment et blessé à l’arme blanche », se souvient le jeune homme, qui en porte encore les cicatrices sur le flanc droit et sur le crâne. « A partir de là, toute ma famille était au courant. A la maison, plus personne ne me parlait », se souvient-il douloureusement.
Campagne de haine
Des années durant, sa situation est précaire. Seule sa mère l’accepte tel qu’il est. Mais l’arrivée du nouveau coronavirus début mars, au Sénégal, a anéanti le fragile équilibre trouvé à la maison. « Un marabout a mis publiquement la faute de la pandémie sur le dos des homosexuels, ma famille avait peur d’attraper la maladie. On m’a alors imposé de quitter la maison, mon frère a même menacé de me tuer », se rappelle Moustapha. Le garçon a fui, une petite valise à la main. Il a passé trois nuits sur la plage, où il raconte avoir été victime « d’une agression et d’un viol par trois hommes ». Des crimes qu’il n’a pas dénoncés à la police, par peur de la police de son quartier.
Cette succession d’épreuves n’est pas propre à Moustapha. L’épidémie a aggravé le sort des minorités sexuelles au Sénégal, comme en témoignent les difficultés de l’association Prudence Plus, organisation de défense des droits et de la santé des LGBT, où le jeune homme a tenté en vain de se réfugier. « D’habitude, toutes les chambres sont occupées, même le garage est aménagé pour loger les personnes de la communauté en détresse. Mais, avec le coronavirus, nous ne pouvons plus accueillir personne », regrette son président, Djamil Bangoura, en déambulant dans les pièces vides de la grande maison, en bord de mer, d’un quartier populaire de Dakar.
« C’était déjà compliqué d’ouvrir nos portes depuis le début de l’année 2020 », explique le militant, racontant avoir été la cible d’une campagne de haine contre les homosexuels. Djamil Bangoura a lui-même dû fuir le Sénégal plusieurs mois, et change régulièrement l’adresse de l’association pour échapper aux menaces des voisins. Depuis le début de l’épidémie, il a constaté une recrudescence des appels à l’aide de personnes expulsées de chez elles ou qui perdent leur emploi et se retrouvent démunies. Sans revenus, elles ont du mal à payer leur loyer et de quoi se nourrir, mais ne peuvent regagner le foyer familial.
« J’ai l’habitude de me cacher »
Moustapha, lui, a décidé de se réfugier en lointaine banlieue, chez un ami qui ignore son orientation sexuelle. Au sein de cette famille d’accueil, il partage une modeste chambre avec un matelas au sol, mais dort plus souvent sur le toit-terrasse pour être tranquille. Une situation qui dure depuis quatre mois. « J’ai peur que la famille qui me loge apprenne la réalité de ma situation. J’ai l’habitude de me cacher, mais je ne peux pas le faire pour l’éternité », explique Moustapha, qui a justifié sa présence par des travaux dans sa maison. S’il est logé, Moustapha doit tout de même trouver de l’argent pour se nourrir, se déplacer ou payer le crédit de son téléphone. Sa mère, vendeuse de fruits et légumes, lui envoie de temps en temps de quoi manger.
Son rêve est de trouver du travail pour louer une petite chambre et être autonome. « Mon frère a raconté ma situation à mon ancien patron, qui ne veut plus me reprendre », se désespère-t-il. Les yeux dans le vague, Moustapha se souvient avoir envisagé de se suicider après avoir été chassé de chez lui. « Mais j’ai pensé à ma mère. Et je suis fier de moi et de ma vie, c’est Dieu qui décide de mon destin et qui m’a fait comme je suis », lance Moustapha, qui espère malgré tout pouvoir fonder, un jour, une famille avec un homme.
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