La grève est un droit reconnu par la législation sénégalaise. Elle est un instrument qui permet de contraindre un employeur (Etat, patron) à satisfaire des revendications pour améliorer les intérêts matériels et moraux du travailleur. L’expérience a montré qu’elle est utile et a servi à conquérir beaucoup d’autres avantages pour les ouvriers et fonctionnaires. C’est une sorte d’épée de Damoclès suspendue au-dessus de la tête des employeurs. Mais le risque, c’est de lui faire perdre tout effet de persuasion ou de dissuasion si on en use et abuse. Une arme aussi fatale soit-elle peut produire un effet boomerang.
C’est le cas, aujourd’hui, notamment dans les secteurs stratégiques de la santé et de l’éducation. La grève y est tellement récurrente qu’elle relève presque d’une banalité affligeante dans ces deux maillons essentiels de la vie sociale. Une société malade et ignorante est une société bloquée et fatalement régressive.
La santé et l’éducation valent bien tous les sacrifices du monde car ce sont des sacerdoces où la première valeur réside dans le don de soi et le dépassement eu égard aux enjeux sociétaux et vitaux qui y sont attachés. Ceux qui cherchent de l’argent facile ne vont pas prioritairement dans ces métiers financièrement ingrats mais humainement exaltants. Le réconfort y est d’abord moral avant toute autre considération. Soulager la détresse et faire reculer les limites de l’obscurantisme sont plus valorisants que quelques billets de banque. Il est vrai que l’on travaille pour améliorer ses conditions de vie mais pas au prix de toutes les désinvoltures possibles.
La décision de grève est souvent prise à la légère par quelques tout-puissants leaders syndicaux. Quelques syndicalistes de la santé ont eu raison de dénoncer le dernier mot d’ordre de grève pour absence de concertation large et d’inopportunité. Pendant ce temps, du côté de l’éducation, les syndicalistes ont eu le malin plaisir d’appeler à la grève le jour de l’audience avec le Premier Ministre à qui ils avaient demandé d’aller, disent-ils, consulter leur base. Ils ont la gâchette revendicative trop facile.
Jusqu’ici le système sanitaire et éducatif sénégalais était apprécié au-delà même de nos frontières mais aujourd’hui la qualité de nos diplômes et nos soins est remise en cause, faute de quantum horaire et de présence effective au sein des structures sanitaires. L’outil de travail s’affaiblit et menace même l’emploi à terme.
Dans ce diagnostic, il serait coupable d’occulter la grande responsabilité des pouvoirs publics qui optent souvent pour la stratégie du pourrissement et de la culpabilisation de l’autre.
Si le fait de grève est devenu un sport national, c’est que l’Etat a laissé faire en procédant à des hausses salariales inconsidérées dans la magistrature et la haute administration et à d’autres dépenses non prioritaires. Point n’est besoin de les lister ici car étant de notoriété publique. Ce serait également fastidieux
Les autres agents de l’Etat, happés par la conjoncture morose, ne sont pas allés chercher loin pour se compliquer la tâche. Augmentez-nous ou nous croisons les bras !
Mais cela ne peut autoriser les excès nauséeux auxquels nous assistons dans la désertion à longueur d’année des écoles et hôpitaux. On n’a même entendu des enseignants menacer de déballage un ministre dont ils auraient enregistré les propos compromettants. Ces enseignants ne méritent pas d’avoir la garde de nos enfants, avenir de ce pays.
Aujourd’hui, même ceux qui sont dépourvus de moyens financiers importants répugnent à envoyer leurs progénitures à l’école publique, jadis fierté nationale. A plus forte raison les nantis. Ils ont tourné le dos à cette fabrique de produits médiocres Bientôt ces écoles seront désertées et les grévistes n’auront plus d’élèves hélas. C’est gravissime !
Au-delà de la caricature, nous voulons juste sonner l’alarme et dire avec Charles-Maurice de Talleyrand que tout ce qui est excessif est insignifiant. Les médias, transformés en murs de lamentations, et la société civile ont également un rôle crucial à jouer dans cette nouvelle symphonie à créer au bonheur de tous.
Maintenant, il nous faut sortir des logiques clientélistes et guerrières en instaurant le dialogue social. Parce que seule une démarche constructiviste où tous les acteurs se réunissent à temps, dès le début de l’année, pour identifier les besoins et leur proposer des solutions communes. « Rero amoul bagna waxtaanna am », dit l’adage populaire. De la discussion naît le consensus.
La lutte est certes présentée comme le moteur de l’histoire mais il faut se garder d’en faire une donnée idéologique en érigeant la grève systématique comme unique action de revendication. Il est urgent de repenser les moyens de lutte en faisant une évaluation critique de la grève à travers ses avantages, limites et perspectives. Cela pour faire de la grève, non pas un outil de chantage à travers grèves de la faim, séquestration, incinération ou détournement de bus et autres véhicules, zèle…mais un moyen rationnel et rationalisé de défense de ses droits.
La vie et l’esprit sont trop sérieux pour être laissés entre les mains d’apprentis sorciers, de quelque bord qu’ils soient. Sans rancune !
Massar Fall
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