Le franc CFA reste un sujet de débats passionnés, abordé sous diverses perspectives selon les sensibilités : néocolonialisme, souverainisme, immobilisme économique, monétaire et financier etc…
Dans cette complexe équation à multiples variables, il demeure désormais une constante : dans un contexte de fragmentation idéologique et politique croissante dans la région, aucun État responsable ne peut s’accorder le luxe d’éluder la question de la monnaie; au risque de subir des événements hors de son contrôle, avec des conséquences économiques et sociales potentiellement désastreuses. Dans le contexte macroéconomique actuel, une sortie du Franc CFA, précipitée ou pas, des États de l’AES ou de tout autre état de la zone UEMOA, entrainera une reconfiguration inédite non encore étudiée.
Le débat général est certes passionné dans la mesure où la monnaie affecte la vie de chaque citoyen, celui des économistes et acteurs des marchés financiers devrait se focaliser sur la quête du système monétaire optimal pour l’activité économique, sans influence politique ou idéologique. Compte tenu des indicateurs macroéconomiques des états de la zone UEMOA et le processus d’intégration, il est dangereux de faire la promotion d’une fragmentation monétaire. Celle-ci ne pourrait être plus bénéfique pour les économies, surtout sur les aspects de la monnaie qui me paraissent essentiels : la masse monétaire, le développement de marchés des capitaux et le financement des économies avec des risques maitrisés.
Mon propos n'est pas de remettre en question la capacité d'un État membre de la zone UEMOA à sortir avec succès du Franc CFA, mais plutôt d'argumenter que les avantages macroéconomiques seraient plus importants au sein d'une union monétaire réformée et modernisée. La France, omniprésente autour de la question du Franc CFA, est elle-même au cœur d’un débat national sur la persistance d’un déficit public élevé, d’une dette publique dépassant les 110% du PIB et d’une dégradation prochaine de sa note souveraine par les agences de notation. Cependant, elle ne subit pas les effets négatifs procycliques sur sa monnaie, grâce à l’euro, dont les fondamentaux sont soutenus par une communauté d'États.
L’actuel risque de fragmentation de l’union monétaire du Franc CFA a ceci de positif qu’il est difficile de concevoir que le statu quo puisse perdurer. En ce sens, la position du programme du nouveau régime au Sénégal est à saluer pour son pragmatisme : réformer ou sortir!
L’Eco, la supposée future monnaie unique des pays de la CEDEAO a des relents de tentative de perpétuer un immobilisme que les pays de la zone UEMOA ne peuvent se permettre. Étant donné la rigueur et l'ampleur des étapes nécessaires à sa mise en place, il est utopique de croire à l'adoption de l'Eco dans un délai de cinq à dix ans, surtout dans un contexte où la CEDEAO même est remise en cause par plusieurs États.
Il serait irresponsable de mettre en berne les réformes indispensables du franc CFA sous prétexte que la transition vers l’Eco traitera ces questions. Du reste, la voie la plus réaliste vers une concrétisation éventuelle de l'Eco repose sur une réforme réussie du franc CFA dans un premier temps. Par la suite, il appartiendrait aux autres pays de taille moyenne de la CEDEAO de prendre une décision souveraine quant à leur adhésion à l'union monétaire élargie avec les pays de l'UEMOA, s'ils jugent cela bénéfique pour leur économie. Une fois une masse critique atteinte, des discussions sérieuses pourraient alors être envisagées avec le Nigéria en vue d’une union monétaire englobant tous les pays de la CEDEAO.
Les aspects de souveraineté et l’influence de la France ont jusqu’ici cristallisé les débats sur le Franc CFA. Les pouvoirs publics ne peuvent désormais ignorer l’injonction de leur jeunesse : des mesures claires de rupture doivent être implémentées dans le court terme sur la question de la souveraineté; afin de réduire ce sentiment de défiance, regagner de la crédibilité pour permettre un recentrage de la réflexion autour des réels enjeux de la monnaie : la convertibilité et le régime de change, une politique monétaire en phase avec les politiques économiques des états, le développement d’un marché des capitaux et la maitrise des flux financiers pour un financement endogène des économies et le rôle crucial de la banque centrale.
Évacuer en urgence le débat sur l’emprise de la France sur le Franc CFA
Évacuer en urgence le débat sur l’emprise de la France sur le Franc CFA
À court terme, des mesures courageuses de rupture doivent être mises en œuvre sur les aspects symboliques de la souveraineté monétaire : le changement du nom du Franc CFA et l’émission des signes monétaires (billets et pièces).
L'annonce faite en 2019 concernant la suppression de l'obligation pour la BCEAO de déposer 50% de ses réserves de change au Trésor français, tout en conservant la "garantie" d'une parité fixe entre le Franc CFA et l'euro, ne peut être interprétée par un expert des marchés financiers que comme une contradiction avec les principes de la finance quantitative. S’il est difficile de croire en l’extrême générosité de la France qui rendrait gracieusement un service si important à la communauté de la zone UEMOA, c’est bien dû au fait que la valeur réelle de cette garantie est négligeable. En effet, si les fondamentaux macroéconomiques et le niveau des réserves de devises nécessitaient de faire appel à cette garantie, il deviendrait inévitable de procéder à un ajustement de la valeur de la monnaie, comme cela s’est produit avec la dévaluation de 1994.
Par ailleurs, les mécanismes de stabilisation monétaire des états font partie des prérogatives du FMI, et la persistance de l’implication de la France est contreproductive à bien des égards. Il constitue un sujet important pour les pays africains en général, dont le Président sortant du Sénégal Macky SALL pourrait être le porte-voix du continent dans son nouveau rôle en tant qu’envoyé spécial au Pacte de Paris pour la Planète et les Peuples (4P) sur les réformes nécessaires de la gouvernance financière internationale.
De mon point de vue, cette ‘’garantie’’ représente l’un des coûts les plus significatifs infligés aux économies des pays de la zone franc. En externalisant l’une des fonctions primordiales de la banque centrale, les nations de l’UEMOA se sont privées de décennies d’expérience cruciale pendant lesquelles la responsabilisation des pouvoirs publics sur la coordination des politiques économiques et monétaires aurait sans doute abouti à de meilleurs acquis de développement économique dans la région. Combiné à un renforcement des compétences de la BCEAO en ressources humaines sur les marchés financiers internationaux, les pouvoirs publics devraient acter dans les meilleurs délais la suppression de cette garantie, qui touche tant à l'économie qu'à la question de la souveraineté.
De mon point de vue, cette ‘’garantie’’ représente l’un des coûts les plus significatifs infligés aux économies des pays de la zone franc. En externalisant l’une des fonctions primordiales de la banque centrale, les nations de l’UEMOA se sont privées de décennies d’expérience cruciale pendant lesquelles la responsabilisation des pouvoirs publics sur la coordination des politiques économiques et monétaires aurait sans doute abouti à de meilleurs acquis de développement économique dans la région. Combiné à un renforcement des compétences de la BCEAO en ressources humaines sur les marchés financiers internationaux, les pouvoirs publics devraient acter dans les meilleurs délais la suppression de cette garantie, qui touche tant à l'économie qu'à la question de la souveraineté.
The D… word
La sanctification de la garantie de la parité repose sur une perception erronée des autorités publiques concernant la dévaluation, un sujet qu’elles préfèrent éviter à tout prix. Allez expliquer au consommateur que sa perte impressionnante de pouvoir d’achat depuis 2022 n’est que de l’inflation, surtout pas une dévaluation!
La théorie monétariste sur laquelle s’appuie cette obsession à la répression monétaire et à un régime de change fixe a montré ses limites dans l’environnement macroéconomique mondial des deux dernières décennies, marqué par la globalisation du commerce et du système financier. Un ajustement de la valeur de la monnaie est de toute façon inévitable dans le long terme, et il est beaucoup plus coûteux quand il est forcé par des chocs externes. Plusieurs études de cas montrent que des transitions forcées vers un régime de change flexible à la suite de chocs externes s’accompagnent souvent de crises économiques pluriannuelles sévères. Comme l’attestent les cas de l’Inde et du Mexique au début des années 1990 et récemment l’Égypte, qui vu le pound égyptien souffrir une dévaluation de plus de 200% depuis 2021 et qui finira éventuellement par adopter un régime de change flexible.
Les divergences entre les réalités macroéconomiques et l'importance des échanges commerciaux entre l'Union Européenne et la zone UEMOA ne soutiennent pas le maintien d'une parité fixe du franc CFA avec l'euro à long terme. Adopter une gestion prudente de la question monétaire implique nécessairement d'entamer une réforme majeure, à savoir le lancement d'un processus de transition vers un régime de change flexible.
Masse monétaire et profils d’endettement des états de la zone UEMOA
L'analyse de la dynamique et des risques liés au profil de la dette publique des pays de la zone UEMOA souligne l'urgence de redéfinir la politique monétaire pour promouvoir un financement interne des économies. Ces dernières années, on a observé une réduction notable de la part de l'endettement concessionnel, issu des programmes et projets des institutions multilatérales de développement, laissant place à une augmentation significative de la dette de marché. Par ailleurs, la convergence accrue des États vers le marché sous-régional depuis 2021, après s’être vu restreint l’accès aux marchés financiers internationaux, a mis en évidence sa capacité d'absorption restreinte. Cette tendance a également amplifié de façon significative les risques de refinancement à court terme des États.
La limitation de la capacité d'absorption est attribuable à une masse monétaire insuffisante, conjuguée à la libre circulation des capitaux vers l'Union Européenne et à l'existence de flux financiers illicites, lesquels portent préjudice tant au développement des activités économiques locales qu'à l'accumulation de l'épargne domestique. Face à une orientation structurelle de l'endettement vers les marchés financiers, il devient impératif d'instaurer des réformes du système monétaire qui s'alignent sur une stratégie de renforcement du marché des capitaux sous-régional. Cette démarche s'inspire des réussites observées au sein des pays de l'ASEAN, qui, suite à la crise de la dette de 1997, ont su dynamiser leurs marchés financiers locaux combinée à des réformes des monnaies locales, leur permettant ainsi d’avoir mieux résister aux pressions inflationnistes des années 2022-2023.
La banque centrale et l’orthodoxie des politiques monétaires
La nature cyclique et l'absence de maîtrise des pays de la zone UEMOA sur les financements externes exigent une introspection sur le rôle de la banque centrale. L’orthodoxie des politiques monétaires imposées par le FMI aux banques centrales africaines ne correspond plus aux cycles économiques actuels ni aux spécificités macroéconomiques des pays de l'UEMOA. Entre la crise financière de 2008 et la crise du Covid-19, les banques centrales des pays développés ont adopté des mesures inédites pour soutenir leurs économies, contraires à l’orthodoxie prescrite.
Il est impératif que la question du financement direct des économies de la zone UEMOA par la BCEAO soit réévaluée par les économistes et les professionnels des marchés financiers, sous l'impulsion d'une volonté politique affirmée. À tout le moins, cela faciliterait une coordination plus efficace entre les politiques budgétaires et monétaires des États, et pourrait même considérer l'utilisation des ressources naturelles comme levier pour le financement de projets d'intégration économique et le développement des marchés au sein de la zone UEMOA.
Mouhamadou DIOP
Directeur général ELIXIS CAPITAL
Expert des marchés financiers internationaux
Diplomé École Polytechnique – Ponts et Chaussées – Columbia University
Directeur général ELIXIS CAPITAL
Expert des marchés financiers internationaux
Diplomé École Polytechnique – Ponts et Chaussées – Columbia University
11 Commentaires
De La Part De Didi
En Avril, 2024 (20:34 PM)Merci de le mettre stp cher ami, un ancien. De Faidherbe et de paris.
Ohhhhhhh l'ami est vivant.
Reply_author
En Avril, 2024 (21:31 PM)Reply_author
En Avril, 2024 (21:36 PM)Reply_author
En Avril, 2024 (21:40 PM)Le culte du diplôme c'est vraiment la bêtise occidentale. Les ricains visent la compétence.
Reply_author
En Avril, 2024 (21:44 PM)De La Part De Didi
En Avril, 2024 (20:38 PM)Reply_author
En Avril, 2024 (20:59 PM)@mdiop
En Avril, 2024 (21:22 PM)Cependant, il ya deux arguments lies aux marches de capitaux que je nai pas retrouve dans votre post. Je me demande donc sils sont pour vous des arguments valables ou pas?
- Le premier Cest celui du non arbitrage.
Le fait que les taux dienteret des zones EUR et CFA soient tres differents imposent un taux de change Forward qui necessairement secarte du taux de change actuel. Par un facteur lie dune certaine facon aux taux dinteret.
Pour resumer nya til pas donc juste un arbitrage favorable a la zone au taux dinteret le plus faibe? Comme par hasard lEUR.
Ensuite un autre argument que je nai pas retrouve nest til pas que cette situation de taux de change fixe permet aux entreprises europeenes de beneficier de la croissance des pays africains via leur invertissement et par la suite de rapartirer leur profits sans aucun risque de change?
Kalkulart
En Avril, 2024 (23:12 PM)Au senegal , on a 18 millionq de specialistes tous domaines confondus, et le pays est a la traine.
La Flexibilité du Franc CFA : Un Virage à Négocier avec Prudence
Dans un contexte économique mondial en constante évolution, la question de l'adaptation de la politique monétaire des zones utilisant le Franc CFA se pose avec acuité. La proposition de rendre la monnaie plus flexible, c'est-à-dire d'ajuster sa valeur en fonction des fluctuations économiques et financières mondiales, soulève à la fois espoirs et inquiétudes. Si la flexibilité peut théoriquement offrir une marge de manœuvre plus importante pour répondre aux crises et stimuler le développement économique, elle n'est pas sans dangers.
1. Volatilité des taux de change : Un des risques principaux d'une monnaie flexible réside dans l'accroissement de la volatilité des taux de change. Cela peut rendre les économies plus vulnérables aux chocs extérieurs, tels que les fluctuations des prix des matières premières, sur lesquelles se basent largement les économies de la zone CFA. Une telle instabilité peut décourager l'investissement étranger direct, essentiel pour le développement économique.
2. Impact sur l'inflation : La dévaluation potentielle de la monnaie peut entraîner une hausse des prix des importations, contribuant ainsi à l'inflation. Dans des économies où l'accès aux biens de première nécessité dépend fortement des importations, cela peut avoir des répercussions directes sur le coût de la vie et éroder le pouvoir d'achat des ménages.
3. Défis de gestion monétaire : La transition vers un régime de change flexible exige des institutions monétaires fortes, capables de mener des politiques monétaires indépendantes et efficaces. Or, le renforcement des capacités institutionnelles et la mise en place de cadres de politique monétaire adéquats représentent des défis majeurs pour les pays de la zone CFA.
4. Risques de spéculation : Une monnaie flexible peut être sujette à des attaques spéculatives, surtout dans des régions où la confiance dans la stabilité économique est fragile. Ces attaques peuvent conduire à de brusques sorties de capitaux, exacerbant les problèmes de liquidité et de financement externe.
5. Dilemmes politiques et sociaux : La flexibilité monétaire pourrait également exacerber les tensions politiques et sociales. Les ajustements nécessaires pour stabiliser la monnaie en cas de dépréciation (comme la hausse des taux d'intérêt) peuvent être impopulaires, car ils peuvent freiner la croissance et augmenter le chômage à court terme.
Une transition vers un régime de change plus flexible pour le Franc CFA est une question complexe qui nécessite une analyse minutieuse et une préparation rigoureuse. Si elle offre des opportunités de renforcer l'autonomie et la résilience économique des pays utilisateurs, elle comporte également des risques significatifs. Une approche équilibrée, impliquant un renforcement des institutions financières, une coopération régionale accrue et un dialogue inclusif avec toutes les parties prenantes, sera cruciale pour naviguer avec succès dans cette transition délicate.
Ngoor Dieng
En Avril, 2024 (01:57 AM)Reply_author
En Avril, 2024 (03:40 AM)Le texte est certes long mais dans l'ensemble la suite logique du sujet a ete bien developper.
J'encourage Mr Diop a y mettre un peu plus de voix car vous avez une bonne experience fixed income/rates a partager avec qui de droit. Mabouba Diagne a aussi une excellente experience credit/fixed income. Autant de savoir faire pour beneficier le senegal.
Je connais bien la pertinence a avoir une monnaie stable supporter par une economie solide et une masse monetaire assez dense pour ne pas subir les affres des volatility chasers ou autre distressed debt vultures.
Des senegalais ont eu a travailler avec ceux en charge de la question du fcfa a la banque de france / acpr et autres integrer maintenant au niveau de la banque centrale europeenne. Donc l'experience est la pour orienter quand a la meilleure approche pour innover la structure de la monnaie sous regionale.
Mon opinion que j'ai deja partager est qu'il est inadequat et meme pas realiste a songer a creer notre propre monnaie. Notre economie a l'heure actuel ne peut simplement pas le faire. Les francais offrent cette guarantie par rapport a l'interet de leur propre entreprise et l'interet geostrategique a maintenir le statut quo.
Maintenant Mr Diop l'a tres bien resumer que l'on devrait developer un marche financier et un savoir faire endogene pour supporter nos emprunts (en lecture rapide) et besoin de nos economies. Cette propension a aller vers les marches eurobond et autres sous l'egide du FMI est soul bouki souli bouki -- d'ailleurs c'est une theorie de Olivier Blanchard economiste au FMI (a lire d'ailleurs) permettant sous certaines conditions au pays a revenu faible/intermediaire a acceder au marche internationaux pour leur besoin en financement.
Pour aux exemples de Mr Diop sur l'egypte (avec le gouvernment egyptien on les oblige a signer en $), on peut en citer a la pelle melle dont l'argentine, le ghana, l'afrique du sud, le Nigeria, et meme le Japon/Australie (parfait example de pays dont l'economie est quand meme mature). Tout cela pour dire que la question de la monnaie qui n'est qu'un des nombreux pilliers pour batir une economie competitive doit etre planifier et meme aspects strategiques fait dans le secret.
Quantbusiness
En Avril, 2024 (06:52 AM)Quantbusiness
En Avril, 2024 (00:54 AM)Ce n'est pas une expertise des marches financiers internationaux qui manque dans les pays qui composent l'umoea mais plutot une solide economie basee sur la technologie et l'innovation avec une industrie solide Bref la maitrise du processus de production qui nous permet de minimiser notre dependence vis a vis de l'exterieur et de maximiser nos exportations. C'est ce qui va donner a la banque centrale une marge de manoeuvre pour defendre la parite de la monnaie en intervenant sur le marche monetaire. C'est la meilleure position pour les economies qui composent la zone cfa de parer aux turbulences conjoncturelles liees a l'evolution de l'economie mondiale.
Participer à la Discussion