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Un an après : l’Alliance des États du Sahel entre promesses d’intégration et opportunisme (Bah Traoré)

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Un an après : l’Alliance des États du Sahel entre promesses d’intégration et opportunisme (Bah Traoré)
En septembre 2023, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont décidé de créer l’Alliance des États du Sahel (AES), un pacte de défense commune pour faire face aux menaces extérieures. Cette initiative est née en réaction à la menace d’une intervention militaire de la CEDEAO, après le coup d’État de juillet 2023 qui a renversé le président nigérien Mohamed Bazoum. En formant l’AES, ces trois pays cherchaient à affirmer leur souveraineté, à se protéger des ingérences étrangères et à tracer leur propre chemin. Cependant, l’AES a rapidement élargi ses ambitions. Au-delà de la défense commune, les dirigeants militaires des trois États ont progressivement tenté de donner à l’AES, l’image d’un symbole de résistance face aux influences extérieures, notamment celles de la France et d’autres puissances occidentales. En juillet 2024, la création d’une confédération politique et économique a marqué un tournant décisif. Ce projet d’union, bien que symbolique, soulève d’importantes questions quant à sa viabilité et ses implications géopolitiques.

La mutualisation des forces entre les pays du Sahel n’est pas un phénomène nouveau. Dès 1970, l’Autorité de développement intégré de la région du Liptako-Gourma (ALG) a été créée par le Mali, le Niger et le Burkina Faso pour promouvoir la coopération économique et la gestion des ressources partagées dans cette zone transfrontalière. Cependant, avec l’intensification des menaces terroristes au cours des dernières décennies, la coopération a pris une dimension sécuritaire plus marquée, menant à la création du G5 Sahel en 2014, une initiative qui inclut également la Mauritanie et le Tchad. Le G5 Sahel s’est doté d’une force conjointe pour lutter contre le terrorisme et les trafics transfrontaliers, mais son efficacité a été limitée en raison du manque de moyens financiers, des rivalités politiques, et de la complexité des opérations transfrontalières. 

L’AES se présente aujourd’hui comme une alternative aux modèles traditionnels d’intégration régionale, dominés par la CEDEAO, perçue par les nouveaux régimes militaires comme un outil d’influence des anciennes puissances coloniales. En effet, les trois pays partagent un sentiment d’isolement face aux sanctions économiques et diplomatiques imposées par la CEDEAO après les coups d’État, et voient dans l’AES une opportunité de redéfinir leur souveraineté régionale. La décision de former une confédération politique et économique reflète aussi une volonté d’intégration plus profonde, au-delà du cadre strictement militaire.

Pourtant, ce projet pose la question de la solidité de l’alliance. Les relations entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger ont récemment été marquées par des rivalités et des tensions diplomatiques, et la rapidité avec laquelle ces pays ont convergé vers l’AES peut être perçue comme une stratégie de survie, plutôt qu’un réel engagement à long terme. Un des obstacles majeurs auxquels l’AES doit faire face est l’enclavement géographique de ses membres. Sans accès direct à la mer, ces pays sahéliens dépendent de leurs voisins côtiers pour accéder aux marchés internationaux, ce qui fragilise leur capacité à véritablement s’autonomiser. Le Maroc, bien que géographiquement éloigné, a proposé son aide pour faciliter leurs échanges commerciaux, mais cette solution reste difficile à mettre en place sans la coopération d’autres pays de la région. L’idée de construire une confédération économique est audacieuse, mais la réalité géopolitique complique sa mise en œuvre. Malgré les grandes annonces de la création d’une banque d’investissement, d’un fond de stabilisation, ces trois pays sont dans une situation économique difficile.


Comment la sortie de la CEDEAO pourrait libérer les régimes du Sahel de la contrainte démocratique?

En janvier 2023, les régimes militaires du Mali, du Burkina Faso et du Niger ont annoncé leur retrait conjoint de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette décision marque un tournant dans les relations entre ces pays sahéliens et l’organisation sous-régionale, révélant une volonté des dirigeants militaires de se libérer des contraintes imposées par cette dernière. Si la CEDEAO a souvent été critiquée pour son inefficacité à prévenir les crises politiques et son manque de leadership, ce retrait semble surtout être une stratégie pour se défaire de la seule structure régionale capable d’exercer une pression réelle sur ces régimes militaires.

Depuis le coup d’État au Mali en 2020, la CEDEAO a essayé, à plusieurs reprises, de contraindre les militaires à respecter un calendrier de transition vers un retour au pouvoir civil. Elle a imposé des sanctions économiques et diplomatiques, visant à forcer les autorités à organiser des élections dans des délais raisonnables. Cependant, ces sanctions n’ont pas réussi à faire fléchir durablement les juntes militaires. Bien que l’impact économique ait été lourd pour ces pays déjà fragiles, les militaires sont restés fermes, prolongeant les périodes de transition au-delà des échéances initiales. Aujourd’hui, le rétablissement de l’ordre constitutionnel dans ces pays ne semble pas être envisagé à court ou moyen terme par les autorités militaires.

Si les dirigeants de l’AES ne reviennent pas sur leurs décisions, ce qui semble peu probable, ils auraient les mains libres pour maintenir leur contrôle sur le pouvoir. Certains signes montrent d’ailleurs qu’ils ont l’intention de prolonger leur séjour au pouvoir même après les transitions en cours. Tous les textes qui les empêchaient de se présenter aux futures élections présidentielles ont été modifiés.

Au Burkina Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, au pouvoir depuis septembre 2022, reste à la tête du pays pour cinq ans de plus, bien au-delà des engagements de transition annoncés lors de son arrivée au pouvoir. Cette prolongation avec la possibilité de se présenter à la présidentielle laisse penser que les militaires cherchent à se maintenir au pouvoir à long terme, au-delà d’une simple période transitoire.

La situation au Mali est similaire. Initialement, la transition malienne devait s’achever en mars 2024, avec l’organisation d’élection présidentielle. Toutefois, aucune nouvelle date n’a été annoncée, et le Conseil National de Transition (CNT), mis en place par les militaires, a modifié les lois pour permettre au président de transition, le colonel Assimi Goïta, de se présenter à la future présidentielle s’il le désire, ce qui va à l’encontre des principes de la CEDEAO. Au Niger, la situation est tout aussi floue. Un an après le coup d’État, les institutions de transition promises par le général Abdourahamane Tiani ne sont toujours pas mises en place. Aucune avancée significative n’a été réalisée en termes de dialogue national, ce qui alimente le doute quant aux véritables intentions des militaires.

Si les critiques formulées par les dirigeants de l’AES à l’égard de la CEDEAO sont légitimes, notamment sur son manque de réactivité, elles auraient été plus pertinentes si elles avaient été dirigées contre l’Union Économique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA), en charge du franc CFA. Cependant, remettre en question cette organisation impliquerait des risques économiques majeurs pour des pays dont les économies sont déjà très fragiles. En se retirant de la CEDEAO, les régimes militaires du Sahel s’isolent davantage sur la scène internationale, mais ils gagnent en liberté d’action pour prolonger leur contrôle du pouvoir, sans avoir à rendre de comptes à une organisation qui exigeait des calendriers de transition vers un retour à l’ordre constitutionnel.

Une confédération face à ses propres fragilités

Le climat d’instabilité marquée par des coups d’État et tentatives de coups d’État depuis 2020 fait planer un risque constant de nouvelles tentatives de prise de pouvoir, même au sein de ces régimes militaires, comme cela a été observé au Mali en mai 2021 et au Burkina Faso en septembre 2022. Depuis lors, les deux régimes installés ont subi des tentatives de déstabilisation par d’autres militaires.

L’une des questions centrales aujourd’hui est de savoir ce que deviendra l’Alliance des États du Sahel (AES), si de nouveaux coups d’État venaient à se produire. Cette interrogation est d’autant plus pertinente que, quelques mois avant le renversement du président Mohamed Bazoum, la région était marquée par des tensions très fortes entre le Mali et le Niger. Cette situation rend d’autant plus surprenant le rapprochement actuel qui a abouti à la création de l’AES. Ces exemples montrent que même les militaires au pouvoir ne sont pas à l’abri de tentatives de déstabilisation de la part d’autres militaires. Le Niger, récemment considéré comme un îlot de stabilité relative dans une région troublée, a rejoint ce cercle vicieux en juillet 2023. Ce coup d’État a non seulement bouleversé la situation interne du pays avec la naissance le Front patriotique de libération (FPL) un mouvement rebelle qui demande la libération de Bazoum toujours détenu par les militaires, mais a rebattu les cartes des alliances régionales. Cependant, l’AES est fondée sur une base politique extrêmement fragile.

La région est en proie à une insécurité galopante, marquée par l’expansion de groupes djihadistes liés à Al-Qaïda et à l’État islamique. Bien que la coopération sécuritaire entre les membres de l’AES soit censée renforcer la lutte contre le terrorisme, les divergences dans les approches notamment, le recours aux supplétifs russes au Mali et l’utilisation de volontaires civils au Burkina Faso pourrait rendre difficile la coopération au sein de l’alliance. Enfin, l’AES devra également faire face à la pression internationale. Les sanctions de la CEDEAO, combinées aux critiques occidentales, pourraient isoler encore davantage cette alliance, ce qui pourrait exacerber les tensions internes. L’absence de perspectives claires en matière de développement économique et de gouvernance démocratique dans ces trois pays pourrait également affaiblir le soutien populaire dont bénéficient, pour l’instant, les régimes militaires.

Bah Traoré, Chargé de Recherche Sahel au Think tank WATHI


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