Une polémique monumentale est actuellement en cours autour du Monument dit de la renaissance africaine. D’emblée, je tiens à préciser que je suis opposé à ce monument. Pour plusieurs raisons. D’abord, cette statue géante est inopportune car des priorités plus urgentes sont légion. Point n’est besoin d’en faire la comptabilité. Tous ceux qui vivent au Sénégal et même ailleurs en connaissent la triste réalité. La renaissance ne se décrète pas à travers des objets mais se réalise par un changement de comportement. Le tigre n'a pas besoin de crier sa tigritude, il bondit sur sa proie, comme le disait le prix Nobel Wolé Soyinka. Ensuite, le coût du monument est exorbitant : officiellement, plus de 9 milliards de FCFA. Le troc d’Etat qu’il y a eu entre le président Wade et l’homme d’affaires Mbackiou Faye, sans autorisation parlementaire, est d’une nébulosité effarante. Last but not least, le choix sans appel d’offres qui s’est porté sur des Nord-Coréens pour la construction est proprement scandaleux. Mais chez nous on voue quasiment un culte au scandale. Passons.
Les imams et beaucoup de gens qui s’opposent à l’ « œuvre d’art » de l’homme fort de Dakar ont le droit de s’insurger contre l’érection de cette statue mégalomane que rien ne semble justifier même pas les hypothétiques retombées financières annoncées. Le Chef de l’Etat a été, par conséquent, très peu inspiré de traiter sans égard les imams d’ « ignorants qui ne s’informent pas ». Mais il nous rétorquera qu’il n’a fait que répondre à une attaque de ces dignitaires religieux contre son « idée de génie ». Légitime défense ou contre-attaque pour utiliser le jargon du football. L’imam politique Mbaye Niang a par la suite repris la balle au rebond pour le défier et en le conviant à un face-à-face. Cela nous rappelle nos années de prime jeunesse. Face-à-face, corps à corps toujours chanté jamais réalisé entre Diouf et Wade.
Mais plus fondamentalement, je crois que la débauche d'énergie passionnelle et l’escalade verbale que nous constatons à propos de ce débat laisse perplexe et dubitatif. L’islam, religion que professent la majorité des Sénégalais prohibe les statues et autres représentations humaines susceptibles d’être vénérées, idolâtrées comme de fausses divinités. Les références tirées de la vie du patriarche Ibrahim (Paix sur lui) jusqu’à son descendant Mouhamed (Paix et Salut sur lui) font florès. C’est clair comme l’eau de roche.
Cependant, au-delà de la vague d’émotion, raisonnons fermement. Creusons. Dans quel cadre vivons-nous ? Un pays où des personnes humaines sont adorées et à la limite divinisées, la désunion religieuse sacralisée, les fêtes musulmanes démultipliées à l‘infini, les dépenses extrêmement somptuaires dans les lieux de culte, la criminalité en nette croissance, la prostitution légalisée, l'homosexualité banalisée, la mendicité notamment des enfants encouragée, la pédophile et le viol quotidiens, l’alcool légalisé, la corruption et les détournements massifs à tous les niveaux, la pauvreté endémique, la faim et la soif répandues, les maladies chroniques, l'analphabétisme criant....J’en passe.
La liste des maux qui gangrènent notre société est loin d'être exhaustive. Ces combats qui sont ceux de l’islam reçoivent-ils le même engagement des imams que celui de la lutte contre le monument de Wade ? Je ne le pense pas sincèrement. Corrigez moi si je délire. Nous avons mal partout, du sommet à la base ! Même en matière de stratégie, on est en panne ! Et quelle thérapie proposons nous ? De gommer simplement quelques symptômes trop visibles du mal profond dont nous souffrons ! Quant à la racine, elle peut attendre. Cela est un leurre spirituel et pratique. Si l'on gratte un peu, c'est le désert car nos comportements collectifs et individuels cadrent parfaitement avec ce que nous dénonçons vaillamment dans le monument. Qui veut-on abuser ? Nous-mêmes. Et la pire des tromperies est celle qui est faite contre soi-même.
Entendons-nous bien. Je le réitère pour éviter tout amalgame, cette statue me choque comme je l’ai amplement expliqué plus haut. Mais je ne suis ni partisan de la critique facile ni adepte de l’indignation sélective en en faisant le mal absolu du Sénégal. A titre d’exemple, observez bien, beaucoup de nos concitoyens et coreligionnaires affectionnent les statuettes qu’ils trouvent très design et les hébergent chez eux ou dans leurs lieux de travail, font des offrandes à des génies sans que cela ne gêne outre mesure. Cela est-il permis par l’Islam ? Combien d’entre nous, musulmans, ne sont pas pressés d’aller visiter et contempler, une fois aux Etats-Unis ou en France, la statue de la liberté à New York ou le Musée du Louvre à Paris avec ses nombreuses statues ? Allez savoir.
Et puis, si l’on retourne à l’histoire de l’Islam, on se rend compte que le Prophète Mouhamed (PSL) n’a pas commencé par détruire les idoles. C’est à la conquête de la Mecque (retour d’exil) qu’il l’a fait, après un travail d’éducation pédagogique et d’action sur les consciences et les comportements. Il était aisé par la suite d’effacer ces symboles du paganisme dont la substance avait, en réalité, disparu. Nous, nous prenons allègrement le chemin inverse. Pour se donner bonne conscience. Arrêtons les solutions politico-médiatiques qui relèvent plus de la cosmétique que du débat de fond et de l’action efficace.
Le monument, malgré sa visibilité affligeante, n’est qu’un avatar de la décrépitude éthique et morale dans laquelle nous vivons. Cherchons ensemble et rigoureusement les voies et moyens d’assainir notre espace commun. Il s’agit, je crois, de refonder les bases vacillantes sur lesquelles nous sommes inconfortablement assis. Les élites musulmanes, entre autres, ont un rôle Monumental à jouer à ce niveau, par la réflexion, al solidarité et l’action afin de faire émerger une voix et une voie de conviction mais aussi de raison, au milieu de ce vacarme collectif. Dieu reconnaîtra les siens.
Massar FALL
Observateur autonome
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