Ce livre a été écrit à quatre mains, c’est-à-dire avec deux cœurs et deux têtes. Deux cœurs parce que la pauvreté est insupportable. Deux têtes parce que les vraies solutions pour la réduire sont contre-intuitives.
On ne supprime pas la pauvreté en distribuant à gauche et à droite des sous que souvent on n’a même pas en caisse, pas davantage en créant des emplois fictifs à coups de deniers publics.
Pour s’attaquer à la pauvreté, il faut produire des richesses, c’est-à-dire fabriquer ici, par l’industrie manufacturière, tout ce qu’aujourd’hui on importe, importations qui créent des emplois et des revenus ailleurs, afin d’offrir au Sénégalais des frigos, des clims, des machines agricoles ou encore des meubles « made in Sénégal », fruits du travail des Sénégalais, car il n’y a de richesses que de travail.
Pourquoi l’industrie sénégalaise est-elle atone ? Pour trois raisons, qu’il faut corriger. L’épargne du pays s’investit massivement dans la spéculation foncière et immobilière au lieu d’aller vers l’entreprise. On sait pourquoi : la rente foncière est telle au Sénégal que c’est là le placement le plus rentable et le moins risqué. Il faut rectifier les choses par une fiscalité enfin sévère sur les plus- values et les fortunes foncières et immobilières, et au contraire par une fiscalité incitative pour l’investissement industriel. Spéculation foncière qui renchérit en outre de manière dramatique le prix du logement
Pour réussir cette industrialisation, l’administration doit changer, être moins « administrante » et plus opérationnelle, en organisant, pour faire aboutir chaque projet d’investissement, des « tours de table », associant tous les acteurs, des ministères aux banques, selon un rythme soutenu. Car outre, le fait que les chômeurs n’ont pas le temps d’attendre, un investisseur qui n’obtient pas rapidement au Sénégal les réponses attendues ira les chercher à Abidjan...
Il faut ensuite former en nombre les ouvriers qualifiés, les techniciens et les ingénieurs, dans les différents métiers de l’industrie et du numérique, en lieu et place de beaucoup trop de formations générales et tertiaires.
Il faut enfin faire de l’entrepreneur industriel la figure de proue, le héros du pays.
Le deuxième secteur où les réformes sont indispensables est celui de l’agriculture. Inutile d’épiloguer sur ses difficultés, le peuple les connait, lui qui navigue entre pénuries récurrentes et prix qui flambent. Que faire ? Construire enfin une agriculture de paysans, gérant des exploitations agricoles en bonne et due forme, inscrites, paysans qui seront propriétaires de leur terre, responsables de l’achat de leurs intrants et de leurs ventes, ayant ainsi enfin accès au crédit bancaire, bref une agriculture d’entrepreneurs-fermiers, en lieu et place d’une agriculture dite communautaire, en fait de paysans sans terre, où l’Etat se mêle de tout, y compris d’acheter des semences, des engrais et des tracteurs; ce qui n’est vraiment pas son métier.
Bref, on l’aura compris, Il faut promouvoir une économie de marché dynamique où l’Etat s’en tient à son rôle de stratège, de régulateur, de garant des solidarités, et de fournisseur de services publics de qualité.
Rien de bien inaccessible on le voit, juste un peu de détermination. Le Sénégal peut d’autant mieux réussir son émergence que ces dernières années, il s’est doté de toutes les infrastructures nécessaires pour franchir cette nouvelle étape, avec ses routes et autoroutes, ses transports urbains, ses ports, ses réseaux de communication, son nouveau pôle de Diamniadio, et sa très sensible hausse de sa production électrique.
Les revenus du pétrole et du gaz vont lui permettre de réduire les effectifs dans les classes, de construire les lycées techniques qui lui manquent, de continuer à rénover ses hôpitaux, offrant ainsi aux investisseurs privés le cadre propices à l’implantation d’usines, y compris étrangères, qui feront du Sénégal une plateforme industrielle pour l’immense marché de l’Afrique de l’Ouest. Ces royalties permettront aussi d’améliorer la vie rurale, de réaliser dans l’agriculture et la pêche les travaux d’infrastructures qui lui font encore défaut, notamment pour l’irrigation et le stockage.
Une dernière chose à faire pour aller de l’avant, et qui ne coûte-elle vraiment rien, redonner au peuple la confiance dans ses pouvoirs publics, confiance qu’on acquiert par la bonne gouvernance. Qu’est-ce à dire ? Trois choses : instaurer la transparence absolue sur les marchés publics et pour les conventions passées dans les domaines miniers en premier lieu ; ensuite, crédibiliser la parole publique par des engagements réalistes et tenus ; enfin en faisant vivre la démocratie, en profitant notamment des campagnes électorales pour soumettre ses projets au peuple souverain.
Le célèbre sociologue Max Weber a montré en quoi l’éthique protestante avait joué un grand rôle dans le dynamisme économique de l’Europe du Nord et des Etats Unis, car l’économie repose toujours sur des valeurs. Et on sait comment la pensée Confucius, qui met l’éducation et la connaissance au premier plan, a dopé la croissance chinoise.
Les valeurs du Sénégal sont donc un atout pour son développement, elles sont à cultiver : la solidarité et la défense du commerce propre à l’Islam, sources d’une prospérité partagée, la laïcité, qui garantit la cohésion nationale, l’égalité entre les hommes et les femmes, qui mobilise ainsi toute l’énergie et l’intelligence d’un pays, la démocratie, qui assure la pleine participation du peuple à la construction de son destin.
Le Sénégal tient le bon bout ! Il ne faut pas le lâcher, le gâter, en mettant en cause son état de droit, qui n’est pas, dans l’environnent sous régional que l’on connait, le moindre de ses atouts.
Pr Allé Nar Diop et Yves Dalmau
Préface de Jean-Marc Daniel
Professeur émérite de l’Ecole supérieure de commerce de Paris
Avant-propos du Pr. Sidy Kane
Doyen de la faculté d’économie et de gestion de l’UCAD
3 Commentaires
Macky
En Février, 2024 (14:17 PM)Participer à la Discussion