Souvent, lorsqu’il s’agit de la science, les dispositifs les plus simples se révèlent les meilleurs. Celui présenté dans l’étude publiée mardi 28 avril par la revue Environmental Health Perspectives, afin de démontrer les effets de la pollution de l’air sur la croissance des fœtus, entre indiscutablement dans cette catégorie. Une équipe associant des chercheurs américains et chinois a entrepris d’examiner le poids à la naissance de bébés nés à Pékin après les Jeux olympiques et paralympiques de 2008, période au cours de laquelle les autorités avaient entrepris de faire baisser la pollution. Elle a ensuite comparé les résultats à ceux enregistrés à la même époque en 2007 et 2009. Résultat : les bébés dont la mère a profité d’un air moins vicié naissent plus gros.
Le résultat était prévisible. D’abord parce que l’effet de nombreux polluants sur la gestation a déjà été établi. Des travaux ont montré que le poids à la naissance était, par exemple, sensible à la consommation de tabac par la mère. « Une femme qui fume quinze cigarettes par jour accouchera, en moyenne, d’un bébé plus léger qu’une femme qui en fume cinq », rappelle François Goffinet, chef de service à la maternité Port-Royal, à Paris, et épidémiologiste à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale.
Plus spécifiquement, une étude conduite sur 14 sites situés dans 9 pays, publiée en 2013, a établi un lien direct entre le niveau de pollution de l’air et le poids à la naissance. Mais la complexité de la méthode et la nature des comparaisons mises en œuvres pouvaient laisser le profane dubitatif.
Programme drastique de lutte contre la pollution
Cette fois, aucune difficulté pour comprendre. Il suffit de se rappeler que pour accueillir l’événement le plus médiatisé du monde, les autorités chinoises avaient mis en place un programme drastique de lutte contre la pollution. Pour tenter de transformer la capitale chinoise, championne de la pollution atmosphérique, en ville propre, les autorités avaient pris des mesures particulièrement agressives. L’usage des camions et des voitures avait été sévèrement restreint, des usines avaient vu leur activité stoppée, des projets urbains avaient été interrompus. Les scientifiques avaient même fait en sorte de faire tomber la pluie pour nettoyer l’atmosphère, avant de s’employer à éloigner les nuages le jour des cérémonies d’ouverture.
Ces décisions eurent un effet indiscutable. Pendant les six semaines que durèrent les deux compétitions, entre le 8 août et le 16 septembre 2008, la concentration de dioxyde de soufre dans l’air fut diminuée de 60 %, celle de monoxyde de carbone de 48 % et celle de dioxyde d’azote de 43 %. De même, le niveau de microparticules enregistra une baisse notable. « Cela nous a donné un terrain d’expérimentation naturel particulièrement précieux, indique David Rich, chercheur à l’université de Rochester, aux États-Unis, premier signataire de l’étude. Pour une fois, nous avons pu regarder ce qui se passait avant, et après cette fenêtre d’amélioration. Comparer 2008 avec la même période en 2007 et 2009. Et le résultat est indiscutable. »
23 grammes de plus
Il apparaît ainsi que les femmes dont le 8e mois de grossesse s’est déroulé intégralement pendant la période d’embellie ont accouché de bébé plus gros de… 23 grammes. C’est peut-être un détail pour vous, mais pour les épidémiologistes, ça veut dire beaucoup. « C’est une moyenne, précise David Rich, calculée sur un échantillon de 83 000 femmes. » François Goffinet abonde : « Cliniquement, pour un bébé, ça n’est évidemment pas significatif. Mais sur un plan épidémiologique, avec un tel échantillon, c’est tout à fait notable. »
David Rich poursuit : « La période d’amélioration de la qualité de l’air est relativement courte : six semaines. Même si la fin de la grossesse constitue le moment où le fœtus prend le plus de poids, il y a fort à parier qu’un air pur pendant les neuf mois aurait eu un effet plus fort. Et encore, quand je dis pur… Pékin pendant les Jeux restait largement plus polluée que la plupart des villes européennes ou américaines. »
Troubles du développement fœtal
Dans leur étude, les chercheurs écartent divers biais méthodologiques. Dans leur souci de présenter une ville « propre », les autorités auraient-elles également écarté les pauvres et les plus fragiles, qui statistiquement donnent naissance à des bébés moins lourds ? « Non, répond David Rich, le taux de diplômé est certes plus fort en 2008 qu’en 2007, mais il est plus élevé encore en 2009. » Un effet saisonnier aurait-il pu intervenir ? Là encore, le fait de disposer des mêmes périodes d’observation en 2007 et 2009, évite ce piège. Aurait-on assisté à davantage de 2e ou de 3e naissance, susceptible d’augmenter le poids moyen ? La politique de l’enfant unique, très stricte en zone urbaine, interdit cette perspective.
Et le bonheur, alors ? L’euphorie olympique aurait-elle pu doper moral de la mère et, par ricochet, le poids du bébé ? « Rien ne nous porte à penser que ce facteur ait pu être dominant, réplique David Rich. D’autant qu’un suivi plus fin des cohortes a clairement associé le 8e mois de grossesse et le niveau de pollution. »
Le 8e mois, donc. La fin de la grossesse, en vérité – le 9e étant rarement complet, les chercheurs l’ont écarté. Essentielle pour la croissance pondérale du bébé, cette période correspond aussi à l’accélération du développement des systèmes nerveux, cardiovasculaires et musculosquelettiques. Pour cette raison, David Rich et ses collègues suspectent la pollution de jouer également un rôle dans d’autres troubles du développement fœtal. Ce qui devrait faire l’objet de nouvelles études.
De nouveau, les chercheurs vont tenter de déterminer les mécanismes par lesquels la pollution de l’air agit sur l’enfant à naître : syndrome inflammatoire maternel, altération de la fonction du placenta, réduction des nutriments apportés au bébé… De futurs articles sont attendus. Mais leur gestation pourrait prendre quelques années.
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