Illustration de ce que proclamait Euripide : "Parle si tu as des mots plus forts que le silence", un cercle de silence se réunit une fois par mois sur une place de Marseille.
Ce 7 novembre, à midi trente, ils forment un rond sur la place de la Joliette, au milieu du vacarme des automobiles et des klaxons habituels de Marseille. Le ciel est gris pour une fois, mais on aperçoit quand même le port et ses grues.
Sur un panneau est affichée une carte des centres de rétention en Europe et au Maghreb, elle ressemble à s’y méprendre à la carte des camps de concentration durant la Seconde Guerre mondiale. Le Cercle souhaite "éveiller les consciences sur des actions indignes" faites aux sans-papiers, dans un silence qui serait plus fort que les mots.
"La forme bouleverse les manifestations classiques"
Marie-Thérèse Fantasia n’est pas plus haute qu’un bananier d’un an mais, comme la plante, elle semble avoir plusieurs vies. Elle distribue des tracts autour du Cercle.
Catholique à la Pastorale de migrants et syndicaliste CFDT, elle explique les motivations du cercle :
"Chacun est à égale distance du centre et cette forme permet de bouleverser les manifestations classiques."
Elle trouve que la hiérarchie catholique est trop silencieuse sur la question des expulsions de sans-papiers, "mis à part l’archevêque Pontier qui a écrit à Hortefeux", précise-t-elle. A part, elle ajoute que certains d’entre eux hébergent des sans-papiers.
Volontaire à la Cimade, association qui assiste les sans-papiers dans les centres de rétention et à qui le gouvernement souhaiterait retirer cette responsabilité, Julian raisonne en philosophe kantien :
"Le silence, c’est la possibilité de penser par soi-même ; les débats, on les suit..."
Il vient de Fribourg, en Allemagne, et du haut de ses vingt ans détonne parmi les taciturnes retraités, adeptes de Thoreau et de sa théorie de la désobéissance civile, qui composent le gros du bataillon.
"C’est notre propre humanité qui est en jeu"
Iris Reuter a initié cette action à Marseille après avoir reçu un e-mail des frères franciscains toulousains : "le silence, ça interpelle, et permet à chacun de réfléchir". Pasteure dans les quartiers Nord, elle raconte que déjà soixante villes ont leur cercle de silence.
"Le silence permet de mieux s’y retrouver que dans des manifestations où l’on n’est pas toujours en accord avec les slogans."
A Toulouse, immobiles et muets, ils prient sur le Capitole tous les mardis en fin d’après-midi. Alain Richard, frère franciscain imprégné de non-violence gandhienne, estime que le silence est une riposte au bla-bla quotidien, tandis que "c’est la question de notre propre humanité qui est en jeu".
Certains franciscains ont déjà participé a des actions de désobéissance en ex-Yougoslavie et contre le nucléaire. Alain Richard ajoute avec humour : "Nous avons l’habitude de dire que notre cercle de silence a fait beaucoup de bruit."
Les nouveaux "agitateurs"
Pour la Ligue des droits de l’homme de Toulon, cette réponse sied parfaitement à un président bling-bling. Devant tant d’agitation et de travestissement du langage au sommet de l’Etat, des opposants font le choix de se taire et de rester immobile.
A Lyon à l’initiative de Marcel Durand, curé de Saint-Polycarpe, ils sont une bonne centaine à se réunir. Ces nouveaux "agitateurs" sont plus âgés et peu habitués aux manifestations, c’est pourquoi Marcel Durand parle plutôt "de présence".
Malgré une forte proportion de "parpaillots", les papistes ne sont pas en reste. Des militants de RESF sont aussi dans le cercle, eux qui ont plutôt l’habitude d’entonner des slogans dans des cortèges et de s’engager physiquement.
"Contre l’Europe forteresse"
Marcel Siguret, militant d’Attac arbore un badge de la nouvelle plateforme d’opposition à l’Europe forteresse Des Ponts pas des murs, mais il ne fait pas silence :
"L’expression de sans-papiers est caricaturale, c’est l’asphyxie des pays tiers, le pillage des ressources, de l’agriculture, tous ces domaines doivent être revus."
Seraient-ils des rousseauistes qui s’ignorent ? Le philosophe genevois protestait en silence, comme une forme de désobéissance civile. Les passants sont interloqués par cette forme de protestation. Mais le travail ne s’arrête pas là pour la poignée de militants qui luttent contre la politique d’immigration du ministre de l’Intérieur, Brice Hortefeux.
Le 22 octobre une alerte pour un jeune maçon nommé Moussa Moussatem n’a pas empêché son expulsion par le port de Sète où, malgré les appels aux passagers, il a été embarqué. Sa famille vit pourtant à Sarrians dans le Vaucluse. Depuis l’accident de son père, ouvrier agricole, il l’aidait. Sur le bateau, "les participants à un rallye râlaient contre le retard pris à l’embarquement", raconte Marie-Thérèse Fantasia.
D’aucuns pourraient dire : "Bien plus que le bruit des bottes, je crains le silence des pantoufles". Ces protestataires laïcs et religieux sont bel et bien chaussés de leur opinion.
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