Un ouvrage de 1978 qui reste d’actualité. La publication de « La parole aux Négresses » d’Awa Thiam a marqué un tournant dans le mouvement féministe de l’époque, jusque-là dominé par des voix occidentales. Cette anthropologue sénégalaise, née en 1950, a choisi ce titre pour symboliser la prise de parole des femmes africaines et redéfinir les contours du féminisme.
Bien que l'ouvrage ait disparu des librairies francophones dans les années 1980, il a continué à circuler sur le marché de l'occasion et a trouvé une nouvelle vie dans les universités américaines grâce à sa traduction anglaise, rappelle le quotidien français "Le Monde". Le vendredi 24 mai, le livre est enfin réédité en France par les éditions Divergences et au Sénégal, le 31 mai, par les éditions Saaraba.
Mame-Fatou Niang, préfacière de cette réédition et professeure à l’université de Pittsburgh, considère ce livre comme fondamental dans son parcours intellectuel. Elle parle de l'impact profond et personnel de sa lecture en évoquant des émotions intenses et un sentiment de renaissance après chaque lecture. L’autre préfacière de cette réédition, Ndèye Fatou Kane, écrivaine et doctorante en sociologie du genre à l’université de Paris, partage ce sentiment, décrivant le livre, dans les colonnes du "Monde", comme un « legs précieux » qui renouvelle constamment son engagement féministe.
« La parole aux Négresses » se veut un témoignage des défis que rencontrent les femmes africaines. L’auteure y donne la parole à des femmes originaires de divers pays d'Afrique de l'Ouest, qui décrivent les réalités oppressives de la polygamie, des mutilations génitales et du blanchiment de la peau. Awa Thiam ne se contente pas de documenter ces pratiques ; elle appelle à une action collective et internationale pour changer le statut des femmes, une perspective qui résonne encore aujourd'hui.
Awa Thiam a été à la fois célébrée et critiquée pour son approche hétéroclite, mêlant témoignages personnels et analyse scientifique. D’après Mame Fatou Niang, la féministe française Benoîte Groult, par ailleurs signataire de la préface de 1978, elle « reconnaîtra la contribution [d'Awa Thiam] sur le volet de l’oppression patriarcale et la soumission des corps, mais manquera [sa] proposition de systèmes imbriqués : sexisme, racisme, classe et colonialisme, passant sous silence l’horizon radical et révolutionnaire de [son] essai ». L’anthropologue évoquait déjà l'oppression multiple subie par les femmes noires, bien avant que ce terme ne devienne courant.
La réédition du livre est le moment de faire le point sur la situation des femmes sur le continent. Kani Diop, sociologue, note dans "Le Monde" des progrès comme le recul des mutilations génitales grâce aux efforts conjoints des gouvernements et de la société civile.
Cependant, les problèmes soulevés par Awa Thiam restent pertinents, comme le montre l'actualité en Gambie où une loi interdisant l'excision est menacée d'abrogation.
Ndèye Fatou Kane dénonce avec véhémence la persistance de ces pratiques et « l'invisibilisation » des femmes dans le discours public. Elle espère que la reparution de « La parole aux Négresses » relancera le débat et dissipera l'accusation d'occidentalisation du féminisme sénégalais.
Pour la doctorante, il est clair que l'engagement féministe en Afrique trouve ses racines dans les écrits d'Awa Thiam, indépendamment de l'influence occidentale.
1 Commentaires
Madiakhèr
En Mai, 2024 (19:18 PM)Niraa
En Mai, 2024 (20:33 PM)Participer à la Discussion