Le coup d’Etat de mardi est parti d’un camp militaire près de Bamako. Il s’est achevé dans la capitale, mercredi matin, par le renoncement d’«IBK».
Il est 3 h 40, dans la nuit de mardi à mercredi. Au lendemain d’une folle journée qui a vu le Mali ouvrir un nouveau chapitre de son histoire tourmentée, les visages des principaux responsables du putsch militaire apparaissent sur la première chaîne nationale du pays, l’ORTM. Cinq hommes en tenue militaire, béret sur la tête, sont assis devant une table. Au micro, celui qui est présenté comme le porte-parole du Comité national pour le salut du peuple (CNSP), le colonel-major Ismaël Wagué. Et à sa gauche, un homme assis droit, silencieux, portant lunettes et béret vert. Un inconnu pour la majorité des Maliens, «un véritable soldat, un colonel très respecté, un homme de terrain courageux, un véritable guerrier» pour ceux qui ont servi sous ses ordres, décrit une source sécuritaire : le colonel Malick Diaw. Commandant de la région militaire de Kati, il est considéré comme le «stratège», la tête pensante du coup d’Etat de mardi. Ce haut gradé n’en est d’ailleurs pas à sa première fois. En 2012 déjà, il était un acteur clé du putsch déclenché par le capitaine Amadou Haya Sanogo.
Salaires
Mardi matin, le colonel Diaw et le colonel Sadio Camara prennent avec leurs hommes le contrôle du camp Soundiata-Keita à Kati, puis organisent l’arrestation d’hommes politiques et de généraux. Parmi eux, le président de l’Assemblée nationale, Moussa Timbiné, le ministre de l’Economie et des Finances, Abdoulaye Daffé, le chef d’état-major de la Garde nationale, Ouahoun Koné. Même le ministre de la Défense, Ibrahima Dahirou Dembélé, pourtant proche du colonel mutin qui lui avait permis de sortir du placard qu’était le Cemoc (une structure militaire d’état-major regroupant des forces armées de plusieurs pays du Sahel sous l’égide de l’Algérie) pour le ramener au Mali, est mis aux arrêts. Le colonel Diaw pose aussi un ultimatum au Président, Ibrahim Boubacar Keïta, sommé de démissionner avant 14 heures. Il n’obtempère pas. La suite est connue : aux alentours de 16 heures, «IBK» est arrêté à son domicile en compagnie de son Premier ministre, Boubou Cissé. Peu après minuit, il est contraint de démissionner devant les caméras de l’ORTM.
Ces dernières années, décrivent ceux qui l’ont côtoyé, le colonel Diaw n’a cessé de monter au créneau pour ses hommes, dénonçant les dysfonctionnements et les mauvaises conditions dans lesquelles l’armée opère sur le terrain. Une attitude qui ne lui a pas valu que des amis dans la hiérarchie militaire, où on a très vite cherché à l’écarter. «C’est quelqu’un qui a un tempérament très fort, il est très aimé des hommes sur le terrain en opération, très craint des soldats aussi. Il n’a pas froid aux yeux et ne pratique pas la langue de bois, il dit ce qu’il pense. Il considérait souvent les chefs comme trop laxistes, il souhaitait que les choses aillent de l’avant», dit de lui, sous couvert d’anonymat, un officier de l’armée malienne.
Ce sont ces soldats, jeunes pour la plupart, qui l’ont suivi ce 18 août, cette génération écœurée par les scandales, comme celui des hélicoptères Puma livrés à l’armée malienne puis tombés en panne peu de temps après. Des soldats qui, mobilisés sur le territoire national et pourtant souvent ennemi, doivent faire face aux groupes armés avec un équipement rarement à la hauteur, pour des salaires dérisoires.
Depuis le déclenchement de la guerre, en 2012, des centaines de soldats maliens ont été tuées dans des affrontements, des embuscades, des attentats à la voiture piégée, des explosions de mines, des assassinats ciblés, notamment dans le nord du pays. Une litanie macabre et anonyme, sans données vérifiables et sans hommages nationaux pour répondre à la peine des familles. L’an dernier, des centaines d’épouses et d’enfants de militaires tués avaient manifesté à Ségou et Séparé pour dénoncer la mort de leurs proches, et réclamer plus de moyens pour l’armée.
«Il y a un problème de ressource humaine et de logistique dans l’armée malienne. Il y a un décalage total entre ce qui est dit et ce qui doit être fait», commente le haut gradé auprès de Libération. Il conclut : «Il y avait un ras-le-bol, une lassitude chez nombre de ces jeunes soldats désireux de montrer qu’on peut compter sur eux, désireux de changer l’image de l’armée, souvent déplorable. Et ce sont eux qui, finalement, ont fait ce que la société civile et l’opposition ne parvenaient pas à faire depuis plusieurs mois.»
Massacre
Outre ce ras-le-bol profond, d’autres éléments plus récents ont pu alimenter «le processus de frustration au sein de l’armée» et servir de catalyseur à ce coup d’Etat, estime Baba Dakono, chercheur à l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité à Bamako. Il cite notamment la mise en cause, il y a quelques jours dans un rapport de l’ONU, d’un ancien haut responsable de l’armée malienne, accusé de n’avoir pas agi pour empêcher le massacre d’Ogossagou (près de 160 civils tués par des miliciens dogons en mars 2019), ainsi que le limogeage du chef de la sécurité présidentielle, la veille du putsch. «L’armée bouillonnait et cela a peut-être fait pencher certains responsables militaires du côté de ceux qui réclamaient le départ d’IBK», estime le spécialiste.
0 Commentaires
Participer à la Discussion