C’est un véritable "No Men’s Land". À 300 km de Nairobi, le village d’Umoja est devenu un refuge pour les femmes du nord du Kenya victimes de mutilations génitales, de mariage forcé ou encore de viol. Alors que l’on célèbre ce 8 mars la Journée des droits des femmes, J.A. vous emmène à la découverte de cette société matriarcale qui tente de faire souche.
« Non, ça ce n’est pas bien, ce n’est pas bien ». « Une femme ne peut pas diriger. C’est aux hommes de le faire, ça a toujours été comme ça ». Aux alentours du village, il ne fait pas bon poser trop de questions sur Umoja. Pour certains hommes de l’ethnie Samburu, majoritaire dans la région, la petite communauté de femmes dérange.
À 800 mètres à peine d’Archer’s Post, la ville la plus proche, les huttes d’Umoja se dressent en cercle au milieu de la savane aride, entre buissons et acacias. « Dans la communauté Samburu, on a l’habitude de dire que les femmes sont le cou et les hommes la tête », explique doucement Naguei, une des fondatrices du village. « Une femme ne peut pas être debout quand un homme est assis. Elle ne peut pas prendre la parole avant lui. Et si son mari veut la tuer. Eh bien il peut le faire », continue-t-elle en puisant tranquillement de l’eau.
Il y a près de trente ans, elle a été à l’origine d’Umoja, avec une petite dizaine d’autres femmes. La plupart d’entre elles avaient été violées par des soldats britanniques dans les années 90. De retour au foyer, elles ont été battues et répudiées par leur mari pour avoir apporté la honte sur leur communauté. Depuis, Umoja est un lieu de refuge. Mariages précoces, violences conjugales, mutilations génitales, le village abrite aujourd’hui une quarantaine de femmes qui ont fui le domicile familial.
Naguei a été l'une des fondatrices d'Umoja. Elles est assise sur le banc de la place centrale du village.
Une marche vers l’autonomie
C’est le cas de Saguia, récemment arrivée à Umoja. « Mon père a voulu me forcer à épouser un homme beaucoup plus âgé que moi. Il en avait 48, j’en avais 15 » se souvient la jeune fille en secouant nerveusement son collier de perles. « Ma belle-mère m’a aidée à préparer mes affaires et je suis partie en pleine nuit. » Depuis maintenant deux ans, elle accompagne les femmes d’Umoja dans les villages environnants pour sensibiliser les populations Samburu aux conséquences néfastes de l’excision et des mariages forcés. Les mutilations génitales sont interdites depuis 2011 au Kenya, mais dans la communauté Samburu, 80% des femmes sont encore excisées.
Dans la région, l’excision est l’une des conditions sine qua non pour espérer trouver un mari
Dans la région, cette pratique est l’une des conditions sine qua non pour espérer trouver un mari. À Umoja pourtant, on hausse les épaules en riant. « Pourquoi s’embarrasser d’un mari quand on est indépendante financièrement ? » En quelques années d’existences, le village a su conquérir les moyens de son autonomie. Grâce à des activités traditionnellement masculines, comme l’élevage, mais surtout grâce à l’artisanat puisque les femmes tirent l’essentiel de leurs revenus des bijoux qu’elles produisent et revendent aux touristes de passage. Des bénéfices qui ont ainsi permis la construction d’une école pour les enfants du village.
La plupart des femmes d'Umoja vivent de l'artisanat. Elles créent des bijoux qu'elles vendent aux touristes de passage. Des bénéfices qui ont notamment permis la construction d'une école.
Car si les hommes n’ont pas droit de cité à Umoja, les relations charnelles ne sont pas pour autant proscrites. Chaque femme est libre d’entretenir une relation avec un homme à l’extérieur du cercle de la communauté. Une fois arrivé à l’âge adulte, les jeunes garçons issus de ces unions devront en revanche quitter d’eux-mêmes l’enceinte du village.
Un matriarcat en quête de modèles
En swahili, « Umoja » signifie « unité ». Pourtant, au sein d’un village exclusivement féminin, des dissensions ont inévitablement vu le jour. Dans la lignée d’Umoja, trois autres communautés de femmes ont été créées dans la région, entre continuité et rupture par rapport à leur premier modèle. Les hommes y sont ainsi parfois tolérés pour des travaux à l’intérieur du village, la répartition des tâches est asexuée ou inversée…
Si j’ai envie de garder les bêtes, c’est à mon mari de s’occuper des enfants à la maison
À environ 3 kilomètres d’Umoja, le village de Nang’ida a préféré le patronyme de « bonheur » à celui « d’unité ». Après la défection de leurs épouses, certains maris repentis ont pris le parti de supplier leurs femmes de revenir vivre avec eux. Un retour toléré… sous certaines conditions. Rose, la fondatrice de Nang’ida, reste inébranlable. « Ils peuvent revenir. Mais uniquement s’ils acceptent de vivre sous nos règles. Si j’ai envie de garder les bêtes, c’est à mon mari de s’occuper des enfants à la maison ». Derrière elle, son époux est en train de préparer le repas du soir près de la case. Une image presque impensable dans le système foncièrement patriarcal de l’ethnie Samburu.
Ces communautés de femmes posent-elles les bases d’un « féminisme » kényan ? Selon l’Agence des États-Unis pour le développement international, 45 % des Kényanes âgées de 15 à 49 ans ont déjà subi des violences physiques ou sexuelles.
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