Le nouveau Premier ministre du Liban, Moustapha Adib, est confronté à des défis gigantesques pour empêcher l’effondrement du pays.
De correspondant à Beyrouth,
Jusqu’au dimanche 30 août, l’immense majorité des Libanais n’avaient jamais entendu parler de celui qui sera nommé Premier ministre le lendemain pour succéder à Hassane Diab, démissionnaire depuis le 10 août.
Moustapha Adib est un inconnu du grand public. Cet homme de 49 ans, de belle prestance, a été convoqué en urgence de Berlin, où il occupait depuis près de 7 ans le poste d’ambassadeur du Liban en Allemagne. Avant sa carrière de diplomate, il était professeur de sciences politiques à l’Université libanaise (publique) et conférencier à l’Académie militaire de l’armée. Entre 2011 et 2013, il a occupé le poste de directeur du Cabinet du Premier ministre de l’époque, le milliardaire Najib Mikati, originaire comme lui de Tripoli, la deuxième ville du Liban dans le nord du pays.
Un profil semblable à Hassane Diab
Le profil de Moustapha Adib est proche de son prédécesseur Hassane Diab. Tous deux viennent du monde universitaire et ne font pas partie du club très fermé des personnalités sunnites de premier plan, parmi lesquelles sont généralement choisis les chefs de gouvernement. Toutefois, Adib a été adoubé par le « rassemblement des anciens Premiers ministres » (qui regroupe Saad Hariri, Fouad Siniora, Najib Mikati et Tammam Salam), lequel avait privé Diab de toute légitimité sunnite car il avait été proposé par l’entourage du président de la République chrétien, Michel Aoun, et soutenu par les partis chiites.
Le choix de Moustapha Adib ne constitue donc pas une rupture avec le système politique décrié par une partie des Libanais. Même s’il n’est pas directement affilié à une formation politique, le diplomate a reçu le soutien de 90 des 120 députés consultés ce lundi par le président Aoun, représentant l’ensemble du spectre politique, y compris le mouvement Amal et le Hezbollah chiites. Seul le parti chrétien des Forces libanaises, dirigé par l’ancien chef de milice Samir Geagea, et quelques députés indépendants, ne l’ont pas nommé.
Des voix discordantes se sont élevées aussi de l’extérieur de la classe politique. Bahaa Hariri, qui dispute à son frère Saad le leadership de la communauté sunnite hérité de leur père Rafic Hariri, a estimé que Moustapha Adib est « un autre agent de l'ancien régime du Liban ». « Il est inacceptable que les seigneurs de la guerre et les milices gouvernent notre pays. Nous avons besoin d'un changement total afin d'arriver à un nouveau Liban », a écrit l’homme d’affaires sur son compte Twitter.
Le mouvement de contestation déçu
Certains courants du mouvement de contestation, qui bat le pavé depuis octobre 2019, ne semblent pas vouloir accorder à Moustapha Adib une période de grâce. Dès l’annonce de sa candidature, dimanche soir, des dizaines de personnes se sont rassemblées sur une place de sa ville natale pour dénoncer ce choix, qui ne répond pas, selon elles, aux aspirations de changement politique réclamé par les contestataires.
Conscient de l’importance d’une adhésion populaire à son mandat, le Premier ministre désigné a sollicité la « confiance de la population » après avoir obtenu celle d’un large éventail de la classe politique. Il s’est donc rendu pour son premier contact avec la foule à Gemmayzé, l’un des quartiers les plus dévastés par la catastrophe du 4 août. Si certaines personnes ont eu de brefs échanges avec lui, d’autres ont refusé de lui adresser la parole, scandant, à son passage, des slogans pour « la révolution ».
« Nous espérons que la reconstruction se fera le plus rapidement possible et que les résultats de l'enquête sur les causes de l'explosion puissent être présentés rapidement devant l'opinion publique », a dit Moustapha Adib, dans un quartier portant encore les stigmates de la déflagration cataclysmique.
Dans une déclaration faite plus tôt au palais présidentiel, juste après sa désignation, le Premier ministre avait donné le ton. « L’heure n’est pas aux paroles ou aux promesses mais à l’action ». Il s’est engagé à former une équipe « homogène », composée d'experts et de personnes compétentes, qui mènerait des réformes exigées par les Libanais et par la communauté internationale.
« La tâche que j'ai acceptée repose sur le fait que toutes les forces politiques sont conscientes de la nécessité de former un gouvernement en un temps record et de commencer à mettre en œuvre des réformes, avec comme point de départ un accord avec le Fonds monétaire international (FMI) », a-t-il précisé.
Le Liban espère obtenir du FMI un prêt de 10 milliards de dollars pour freiner l’effondrement et relancer l’économie. Mais les négociations avec l’institution financière piétinent depuis des mois.
Un rôle central de la France
La nomination d’un Premier ministre est une petite brèche dans le mur des crises multiples qui frappent le Liban depuis des mois. Elle est le résultat d’un engagement personnel du président français Emmanuel Macron, qui s’est pleinement investi pour éviter une « guerre civile » au Liban.
De nombreux experts libanais affirment que la France a exercé de fortes pressions sur l’ensemble des acteurs politiques pour qu’un nouveau chef de gouvernement soit désigné avant l’arrivée du président français à Beyrouth, lundi soir, pour sa deuxième visite au Liban en moins d’un mois.
Certains analystes vont jusqu’à dire que le choix de Moustapha Adib, qui possède un passeport tricolore de par son épouse de nationalité française, est le fruit d’intenses concertations entre les poids lourds de la communauté sunnite et l’Élysée.
Les chantiers qui attendent le nouveau chef de l’exécutif sont gigantesques. La priorité ira à la reconstruction de Beyrouth, comme l’a dit Saad Hariri, qui a offert à Moustapha Adib une couverture sunnite refusée à son prédécesseur. Le lancement de réformes économiques et financières sont un passage obligé avant toute aide internationale, vitale pour éviter une crise alimentaire dans les prochains mois.
Mais le dossier le plus complexe reste les réformes politiques. Dans un discours commémorant le centenaire de la proclamation du Grand Liban, dimanche, le président Michel Aoun a lancé une petite bombe en annonçant qu’il souhaitait l’établissement d’un « État civil ». Cela implique le démantèlement du système du confessionnalisme politique, basé sur le partage du pouvoir et des postes administratifs entre chrétiens et musulmans. Un système accusé d’avoir favorisé le clientélisme, le népotisme, qui ont encouragé la corruption endémique. Il a été rejoint en cela, lundi, par le président chiite du Parlement, Nabih Berry. Dimanche matin, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’était prononcé en faveur d’un « nouveau pacte politique », qu’Emmanuel Macron a appelé de ses vœux.
Les prochains jours diront si Moustapha Adib sera à la hauteur des attentes des Libanais et des défis existentiels qui guettent le Liban, menacé de « disparition », selon le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves le Drian.
Si les partis politiques facilitent sa tâche dans la formation du gouvernement, un processus qui traîne pendant des mois au Liban, ce sera alors un bon signe. Dans le cas contraire, cela voudra dire que les promesses des dirigeants politiques ne sont que des paroles creuses.
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