Rasmus Lerdorf est le créateur de PHP, le principal langage utilisé pour créer des pages Web dynamiques, utilisé par la plupart des sites internet. A l'occasion du 10e Forum PHP, qui se déroule à la Cité des sciences de la Villette, à Paris, les 9 et 10 novembre, il revient sur l'évolution du Web et de ses technologies.
PHP a eu quinze ans cette année. Comment se porte votre projet ?
C'est aujourd'hui un projet stable, qui fonctionne presque tout seul. Ce n'est plus l'excitation des débuts : PHP a atteint la maturité. De plus, la plupart des utilisateurs n'utilisent pas PHP directement, ils passent par des systèmes de gestion de site comme Wordpress ou Drupal. Et c'est une bonne évolution.
C'est un peu comme les premières heures de Linux : au tout début, il se passait tout le temps des choses étranges, les périphériques ne fonctionnaient pas... A l'époque, j'avais l'habitude de recompiler mon kernel [le noyau fondamental du logiciel, à l'époque très instable] chaque semaine. C'est une bonne chose que ça ne soit plus le cas aujourd'hui !
Il y aura, bien sûr, de nouvelles versions de PHP à l'avenir : une version 5.4, dans le futur proche, et plus tard une version 6. A un moment, il y aura une solution pour gérer les caractères Unicode [un problème présent depuis l'origine du langage].
Le Web a évolué très vites ces dernières années, avec l'apparition du HTML 5, le renouveau du Javascript, les applications Web riches comme les traitements de texte en ligne ou les jeux
... Quel regard portez-vous sur ces changements ? Vont-ils dans la bonne direction ?
Du point de vue de la sécurité, non, ils ne vont pas vraiment dans la bonne direction. Il y a beaucoup de choses qui posent problème ; les vulnérabilités de type "cross-site scripting", par exemple, n'auraient jamais dû être un gros problème. Mais le fonctionnement du Javascript, qui fait que tout a accès à tout, l'a rendu très dangereux. En parallèle, la richesse des fonctionnalités disponibles est aujourd'hui gigantesque. L'élément canvas du HTML 5, notamment, permet de faire des choses fantastiques.
Il est difficile d'avoir à la fois un environnement très sécurisé et très riche. Mais ce n'est probablement pas très grave : historiquement, le Web n'a jamais été très sécurisé.
Historiquement, Internet a en revanche toujours été "neutre", c'est-à-dire que toutes les données qui y circulent sont traitées de la même manière. Plusieurs grandes figures de l'évolution d'Internet expliquent aujourd'hui qu'elles craignent que cette neutralité soit remise en cause.
Ce n'est pas quelque chose qui m'inquiète, à titre personnel. Toutes les grandes entreprises qui font d'importants profits grâce au Web n'ont pas intérêt à ce que leur audience diminue. Et même dans le cas de figure inverse, quel serait leur intérêt à limiter l'accès à d'autres services que le leur ? Les gens ne vont pas sur Google simplement parce qu'ils aiment Google, mais parce que c'est une porte d'entrée vers le reste du Web. Si vous les empêchez d'accéder à d'autres sites, ils ne reviendront pas... Je comprends les inquiétudes, mais je suis convaincu qu'à terme, tout s'équilibrera naturellement.
Le succès des smartphones a popularisé les applications. Certains craignent qu'une fragmentation se développe, avec deux réseaux différents : un monde ouvert, celui du Web, et un monde très cloisonné, celui des applications...
Oui, il peut y avoir une fragmentation des interfaces d'accès, mais ce n'est pas vrai au niveau des infrastructures. Vous pouvez avoir une application et un site Web, mais les deux auront toujours besoin d'accéder aux mêmes informations sur le serveur. Et c'est justement là où PHP vit et se développe.
De fait, cette fragmentation existe déjà à l'échelle du Web. Vous pouvez choisir de développer dans Flash ou en HMTL 5 ; mais dans les deux cas, votre application aura probablement besoin de PHP pour accéder aux données.
Lorsque vous avez créé PHP, le logiciel libre, dont le code source est librement distribuable et modifiable, était très peu connu. Quel regard portez-vous sur l'évolution du logiciel libre ?
Pour moi, la bataille entre le logiciel libre et le logiciel propriétaire appartient au passé : le logiciel libre a gagné. Au niveau de l'infrastructure, il n'y a quasiment que des logiciels libres ; il n'existe pas de logiciel propriétaire pour les serveurs de noms de domaine, par exemple. Environ neuf serveurs sur dix tournent sous Linux. Et il serait quasiment impossible de créer aujourd'hui une alternative propriétaire au logiciel de gestion de sites Web Drupal.
C'est l'une des forces du logiciel libre : plus il s'adresse à un grand nombre d'utilisateur, plus il bénéficiera d'une communauté importante, d'évolutions, de mises à jour, qui le rendront nettement supérieur à un concurrent propriétaire. Le logiciel propriétaire continue de bien fonctionner pour les utilisations de niche, les logiciels spécialisés d'entreprise...
Je pense que les deux types de logiciels continueront à coexister : ni le logiciel libre, ni le logiciel propriétaire ne feront totalement disparaître l'autre. Mais il n'y aura jamais d'alternative propriétaire à PHP !
Propos recueillis par Damien Leloup
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