Il ne faut jamais s’étonner d’Abdoulaye Wade. Le personnage a toujours été ainsi, colérique et imprévisible. Ce trait de caractère prend du relief avec l’âge, mais il a toujours été là. Il a toujours parlé aux responsables de son parti comme il l’a fait mercredi : avec condescendance. Il n’arrivait jamais qu’un seul d’entre eux élève la voix. Ils s’en sont toujours accommodé en voyant en lui « le père ». Il le leur rend bien. Ce qu’il ne sait pas, et il n’a jamais réussi cette transition dans sa propre vie, c’est qu’il y a une caméra qui le regarde, qu’il y a tout un peuple derrière cette caméra. Au fond, la conférence de presse d’hier, publicisée à souhait, avait des allures d’une réunion de famille. Croyez-moi, il y en a eu de plus cocasses.
Ce qui a changé, c’est cette caméra que le président de la République ne voit plus, qui lui fait passer de la sphère privée à l’espace public. Ce qu’il disait en privé, il le dit maintenant devant la caméra, comme un homme de théâtre, comme un clown. Il n’est pas maître de lui-même, il ne l’a jamais été. Il n’a jamais agi, il a toujours été agi. Nous découvrons malheureusement cette réalité grotesque, mais n’importe quel homme de son âge aurait été ainsi soumis à ses nerfs. Quand il a voulu se battre avec le directeur général adjoint de Rfi, en septembre 2003, nous étions bien là. Quand il s’en est pris violemment à Babacar Justin Ndiaye, au début de son mandat, nous étions bien là. Nous avons pensé qu’il était un président « spécial ». Eh bien, il est anormal, cet homme. Gardez vos cœurs bien câblés, parce qu’il y en aura de plus en plus, des scènes de ce genre. A moins que sa famille décide enfin, comme elle a été tentée de le faire, de le garder cloué au lit, pour ne pas qu’il s’offre en spectacle. Il est arrivé que, comme à l’occasion du décès de Babacar Niang, il se lève, s’habille, contre l’avis de son médecin, de sa famille, pour mettre sa sécurité en ordre de mouvement. Il est le président de la République, le père. Tout le monde lui obéit, et basta.
Tout l’intérêt de la rencontre entre les proches d’Idrissa Seck et le président de la République réside dans la déclaration de Nguirane Ndiaye. On aurait dit quelque chose à Idrissa Seck, il l’aurait appris lui-même, l’aurait constaté, et c’est la raison pour laquelle il a demandé à ses lieutenants d’aller répondre au président de la République. Mais quoi donc, qui puisse précipiter de telles retrouvailles ? Les discussions entre Wade et son ancien Premier ministre étaient le secret le moins bien gardé du village. En réalité, le limogeage de Macky Sall et son remplacement par Adjibou Soumaré était le premier jalon vers ces retrouvailles. Depuis un mois, le président de la République a posé, un à un, les termes de cette entente avec son ancien Premier ministre. En prenant ses distances avec Djibo Kâ, qu’il a muté vers un autre ministère à son insu. Et, chose curieuse, à la veille de l’officialisation de leurs discussions, le palais de la République a insidieusement diffusé des rumeurs sur un possible limogeage de Me Ousmane Ngom. C’est d’autant plus injuste pour le ministre de l’Intérieur, que personne, dans l’entourage du président Wade, n’ignore que la sécurité du président de la République dépend de son aide de camp, et la sécurité du palais dépend de la gendarmerie, et non de la police.
Idrissa Seck n’a jamais dit non à ces retrouvailles. La seule nuance qu’il a apportée à ce propos, c’est qu’il agit « dans l’intérêt supérieur de la nation ». Pour l’intérêt de la nation, il est prêt à manger son chapeau et son froc, comme son « père » Abdoulaye Wade l’a fait avant lui. Il y a quelques semaines, j’ai été pris à partie par les « seckistes », pour avoir évoqué une jonction avec la « génération du concret », et la possibilité que la présidence du Sénat revienne à Idrissa Seck. Le parti Rewmi agrémentait ses sorties de quolibets contre le fils du président de la République et la mise en place du Sénat. Mais Wade l’a dit, c’est parce qu’Oumar Sarr ne savait pas. Ou alors, et c’est la thèse la plus plausible, Idrissa Seck l’a laissé dans une ignorance totale, comme il l’a fait avec tous ses lieutenants. Ils sont bons pour « aller écouter », pas pour donner leur avis.
S’il n’était pas président de la République, notre rencontre avec cet homme serait la plus belle. Il y a une joie immense à avoir, tous les soirs, à l’écran, un homme aussi drôle, sautillant comme s’il voulait sortir de son costume. Le problème, c’est que la République en pâtit. Il embarque toujours sur une histoire. Il n’observe pas la moindre trêve, le moindre deuil. Tout est finalement prétexte pour une nouvelle voilure, une nouvelle plongée dans le creux de la vague. Et nous avons cette impression qu’il arrive toujours quelque chose avec lui, alors qu’il ne se passe rien. Dans moins d’un mois, il va remanier un gouvernement qui a été formé il y a moins de deux mois. Des règlements de compte vont s’engager, les vaincus feront allégeance aux vainqueurs. La loyauté, la fidélité de Macky Sall ne lui auront finalement été d’aucun secours. A chaque fois que le président de la République parlait des ennemis intelligents, il se tournait vers Oumar Sarr, des amis « bêtes », il se tournait vers le président de l’Assemblée nationale. Presque sans discontinuer, et son numéro deux était raide sur son fauteuil, toujours prêt à acquiescer après chaque interpellation du président de la République. Pas une seule fois, le président de la République ne l’a associé à ses paroles, comme s’il n’était qu’un figurant.
L’autorité qu’il n’arrive plus à asseoir sur ses propres hommes, c’est elle qu’il va chercher chez Idrissa Seck, quitte à le blanchir une énième fois. Il faut voir la scène humiliante qu’il a faite à Macky Sall et sa clique mercredi matin. Il les a littéralement envoyé promener, quand ils lui ont exprimé « quelques » réserves quant au retour d’Idrissa Seck. Il les a traité de bande d’incapables ! Wade n’a pas le choix. Au-delà de leur aspect loufoque, les propos du président de la République valent un testament politique. Au fond, qu’importe le soutien qu’ils pourraient lui apporter. Seule la mort va le séparer du pouvoir. Il a une Assemblée nationale sous sa coupe, et il aura des sénateurs qu’il va nommer. Que le pays marche n’est en aucune façon un enjeu de pouvoir pour lui, il s’en fout. Il cherche à protéger sa famille, et il faut l’entendre au sens large. Or, son fils, qu’il a tenté d’imposer contre vents et marées, fait face à une résistance réelle des populations. L’intérêt du pays vient bien après. Il faut sauver le clan, sauver la famille, et conserver le pouvoir pendant des décennies encore. C’est le véritable enjeu de ces retrouvailles, et ils le comprennent bien. Si tout se passe bien, un d’entre eux sera désigné successeur, et ils le suivront comme des moutons. Ils sont déjà habitués à la bêtise.
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