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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ Chronique ] Au bord du chaos

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[ Chronique ] Au bord du chaos

Si mon père vous a imposé un joug pensant,
j’y ajouterai encore. S’il vous a châtié
avec des fouets, je vous châtierai,
moi,  avec des scorpions »

La Bible, Les livres des rois

Nous sommes au tout début de l’alternance. Abdoulaye Wade s’entretient avec un homme qu’il venait de rencontrer pour la première fois quelques jours auparavant. Le chef de l’Etat montre des signes d’agacement. Les bailleurs de fonds souhaitent la privatisation des chemins de fer du Sénégal, ce qu’il ne peut faire sans se préoccuper du repreneur éventuel. Sur la liste des compétiteurs figurent une société canadienne et la SDV de Vincent Bolloré. La position du président de la République sur la question est d’une remarquable pertinence. « Si je laisse faire, Bolloré va prendre les chemins de fer du Sénégal. Je pense que ce n’est pas une bonne chose. Il contrôle déjà le Port d’Abidjan, il contrôle les chemins de fer entre Abidjan et Ouagadougou. Si nous le laissons posséder la voie ferrée entre Dakar et Bamako, il prendra le contrôle de la sous-région. Il pourra décider des prix qui seront appliqués, de ce qui entrera ou non dans le pays, bloquer nos pays quand il le voudra et faire tomber n’importe quel chef d’Etat », soutient Abdoulaye Wade. A son hôte du jour, le président de la République demande ceci : « Je veux que tu te mettes avec ses concurrents directs et je vais vous soutenir. Chaque chef d’Etat doit soutenir les entrepreneurs de son pays, c’est mon devoir de le faire. Vous faites ma fierté, Serigne Mboup et toi. Je pense que je dois vous soutenir de toutes mes forces. Vous êtes partis de rien et vous êtes la preuve que n’importe qui au Sénégal peut s’en sortir par le travail ». A ces deux personnes, le chef de l’Etat ajoute une troisième. Un jeune homme d’affaires très prometteur que les Sénégalais connaissent très peu. Il a été soutenu par Serigne Saliou Mbacké, qui lui a commandé du matériel agricole pour quatre milliards de francs et l’a recommandé à Abdoulaye Wade. Son nom est Cheikh Amar.
L’homme qui écoute le chef de l’Etat avec admiration a pourtant des raisons de se montrer méfiant. Il a été catalogué « ami » de l’ancien régime et se sait surveillé par le nouveau. Mais le discours présidentiel, ce jour-là, est plein de sagesse. Abdoulaye Wade voit trop loin pour s’attarder sur de si menus détails. Sa hauteur de vue détend l’atmosphère. Son interlocuteur, vous le devinez bien, est Bara Tall, devenu patron de Jean Lefebvre grâce à un important prêt du Groupe Mimran. Avec ses partenaires étrangers, il prend Transrail au détriment de Bolloré. Les perspectives sont bonnes, avec l’exploitation des mines du Falémé et la construction du port minéralier de Bargny. Le président de la République, visionnaire, a lancé un programme ambitieux dont le but est de résorber le retard des autres régions du pays en infrastructures, à travers le programme « indépendances ». Le choix porté sur Thiès comme région pilote semblait logique. C’est la deuxième région économique du pays et aussi la plus proche de Dakar. Bara Tall profite naturellement de cette relance économique pendant ces années d’embellie économique, marquées par la rémission de la dette du Sénégal en avril 2004 et l’annulation de notre dette extérieure, une année plus tard. Environnement ne pouvait être plus propice. Tout réussit au Sénégal. Son football rayonne dans le monde, porté par la bonne humeur et l’espoir issus de l’alternance démocratique intervenue en 2000. Hélas, le patriotisme d’Abdoulaye Wade et sa passion nationaliste se sont vite dissipés. Il entreprend vite la libération des assassins de Me Babacar Sèye, fait entrer dans son gouvernement tous les socialistes accusés de détournement et s’entoure des délinquants financiers qu’il avait rencontrés pendant ses longues années d’opposition. Il va jeter son dévolu sur un autre thiessois d’origine libanaise, Abbas Jaber, qui reprendra les rails et la Sonacos. Le port sera lui aussi repris des mains de Bolloré pour les riches hommes d’affaires de Dubaï, à qui il pensera même vendre l’île de Gorée.
Tout s’est gâté pour Bara Tall quand au début de l’année 2004, il reçoit la visite inopinée de Karim Wade accompagné de Hassan Bâ, qui l’oblige à ce choix surprenant : « Il te faut choisir entre le camp d’Idrissa Seck et notre camp. » Tout a fini par un chantage répugnant, puisque pour rester un homme libre et poursuivre tranquillement ses affaires, il devait impérativement s’accuser de surfacturation de 10 milliards francs, accepter de les rembourser avec de l’argent qu’on lui mettrait dans un compte, pour que quelque chose puisse être retenu contre Idrissa Seck. Abdoulaye Wade n’a eu aucune honte à se livrer à de telles mesquineries.

On croyait cette perspective éloignée, cette sinistre page de notre histoire définitivement tournée, puisque tous ceux qui avaient été accusés dans cette affaire ont bénéficié d’un non lieu. La nouvelle accusation étant du même ordre, il faudra qu’Ousmane Diagne, qui agit sous les ordres du régime, puisse expliquer comment quelqu’un qui n’est ni administrateur ni ordonnateur, qui a fait un travail et qui n’a jamais été payé peut être accusé de faux et usage de faux. Pour mesurer le degré d’injustice d’une telle accusation, il faut se rendre compte que le montant réclamé par l’agent judiciaire de l’Etat fait la moitié des 16 milliards utilisés par l’Anoci pour son fonctionnement, c’est-à-dire les voyages et le traitement de ses employés. Qu’on demande donc à Karim Wade des comptes sur les milliards investis sur chaque kilomètre de route, la transformation de son bureau à 700 millions. Qu’il s’explique sur la « campagne de communication » dans le Golfe qui a coûté 400 millions de francs. Qu’il nous dise comment une lampe de bureau a pu coûter 8 millions de francs. Qu’il nous dise s’il est bien le propriétaire des locaux qui abritaient le siège de l’Anoci et qui servent maintenant de bureau à son ministère, au 10ème étage de l’immeuble Tamarro. Qu’il nous révèle l’état de son traitement salarial quand il était président de l’Anoci, et qu’il nous dise qui payait ses frais de déplacement en Jet privé. Mais qu’il nous dise donc comment la location d’un bateau accosté au port de Dakar pendant 48 heures a pu nous coûter 8 milliards de francs.
Mettre à genou un homme, le rouer de coups et une fois à terre, s’attacher à le piétiner est d’une lâcheté inouïe. A ce jour, malgré l’implication de l’Etat, la détermination des juges, les missions rogatoires à travers le monde, je n’ai vu aucune preuve de détournement qui ait été apportée devant les tribunaux. Le seul qui ait déclaré détenir des preuves de ce « grand » détournement est Abdoulaye Wade, qui a reconnu publiquement avoir menti. Tout ceci procède d’un acharnement injuste. Les sommes investies entre la baie de Soumbédioune et l’aéroport de Dakar Yoff sont dix fois plus importantes, pour un résultat moindre. Les tunnels sont toujours inondés, les promoteurs d’hôtels « cinquième génération » se sont révélés des escrocs qui ont utilisé le foncier mis à leur disposition pour emprunter des milliards aux banques et disparaître.  J’espérais que Karim Wade et son père feraient preuve d’un peu plus de décence.
Je croyais le président de la République revenu à de meilleurs sentiments. Trop de pauvres innocents ont été sacrifiés pour nourrir son égo et satisfaire les ambitions de son fils. Il faut que d’où il est, il mesure la gravité de la situation. Les Sénégalais n’en peuvent plus de laisser faire de telles injustices. Inéluctablement, le moment viendra où les hommes, portés par la faim, assoiffés de justice, descendront par milliers dans les rues pour dire « assez c’est assez ». La plus grande armée du monde n’y pourra rien faire. Quant à Abdoulaye Wade, il me tarde de le voir partir. Vouloir lui accorder deux ans de plus à la tête de ce pays est une intention criminelle. Si nous le laissons aller au bout de sa volonté par notre passivité, nous en répondrons devant le tribunal de l’Histoire.

SJD



1 Commentaires

  1. Auteur

    Longuevieasjd

    En Octobre, 2010 (14:53 PM)
    SJD yala nafi yague té wére !
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