« L’humain déborde de résignation et possède,
enfuie dans ses fibres les plus secrètes,
la vocation de la douleur »
André LANGEVIN
Les ministres qui étaient présents au Conseil présidentiel de mercredi savent déjà pourquoi ils y étaient. C’est pour l’annonce. Pour que l’on dise après, dans toutes les chaînes de radio et de télévision, que le président de la République a tenu un « Conseil présidentiel sur les inondations ». Après cette messe eucharistique avec leur gourou, quand vous les interrogés, les ministres vous disent tous avec la conviction d’un nouveau repenti que « ça ne sert à rien ». C’est la première fois, depuis l’avènement de ce que nous appelons l’alternance, que je vois des ministres avoir honte de leur gouvernement et des responsables du Pds avoir honte de leur parti. C’est une grande avancée qu’il faut saluer. Ce n’est pas l’avenir qui leur fait peur : ils attendent tous l’apocalypse avec sérénité. C’est le présent qui leur fait peur. Ils sont dans la situation de goujats surpris par la lumière du jour, alors qu’ils ont passé la nuit à s’empiffrer avec leurs cannettes de bière. Depuis qu’il s’est débarrassé de ses scrupules, Abdoulaye Wade gère le pays comme un casino, son parti comme un bistrot de quartier. Il a trafiqué les caisses de l’Etat comme des machines à sou.
Ce que nous aurons beaucoup de mal à digérer un jour, ce sont les années de mensonge sur l’Etat de notre économie. Abdoulaye Diop continuait à nous assurer que ses caisses étaient pleines, et que l’économie se portait bien. Mais il n’a convaincu personne. Il alertait lui-même les représentants des institutions de Bretton-Woods et le lendemain, s’empressait de les démentir dans les médias « par devoir ». L’Etat paie les salaires tous les mois, c’est son argument de défense. Mais ce que cet homme espiègle ne dit pas, c’est que si l’Etat payait ses dettes, il ne paierait plus ses fonctionnaires. L’Etat paie les salaires parce qu’il ne paie pas les entrepreneurs qui ont pris le risque de s’endetter auprès des banques. Il a souvent emprunté pour payer.
Ce ne sont pas des dépassements budgétaires qui ont causé la ruine de l’économie. Ce sont des détournements budgétaires. Il est stupéfiant que le gouvernement avance comme seul argument concernant les milliards dépensés dans le cadre du plan Jaxaay, que les 15 milliards ont servi à l’aménagement de trois bassins de rétention. Ca voudrait dire que chaque bassin de rétention a coûté cinq milliards au contribuable. C’est pourquoi je ne comprends toujours pas les sanctions imposées à Ibrahima Sarr, qui a servi d’agneau, alors que son patron Abdoulaye Diop trône au ministère des Finances, le Directeur du Trésor, qui faisait sortir l’argent impunément, promu ministre. L’ancien ministre du Budget a trouvé des solutions clé-en-main pour des braqueurs de métier. Il a poursuivi une pratique que son Premier ministre Adjibou Soumaré connaît très bien. Cette magouille n’a pas cessé parce que quelqu’un est parti du gouvernement. Elle se poursuivra tant que le chef de l’Etat foulera aux pieds les règles élémentaires en matière budgétaire. Il a été le premier à engager des dépenses hors budget. Ses ministres ont appris à son école. Il y a des procédures parce qu’il faut une traçabilité de l’argent du contribuable. C’est ce qui permet de situer les échelles de responsabilité. En les violant, Wade a fait de tous les fonctionnaires de l’Etat des fraudeurs potentiels. L’argent est mis dans des sacs, acheminé à la présidence de la République sans la moindre gêne. Ce qui donne à ces opérations un caractère légal et les différencie d’un braquage, c’est qu’elles sont menées en toute impunité. Trop c’est trop. Nous avons toujours éprouvé de la sympathie pour les grands caïds, mais nous n’avons pas élu Bouba Chinois à la présidence de la République.
Notre économie va mal. Si nous étions aussi riches que le prétend le ministre des Finances, nous ne serions pas là à emprunter sur le marché financier international. 90 milliards de recettes mensuelles permettent de couvrir les salaires des fonctionnaires. Mais si l’Etat payait ses dettes, assurait correctement ses dépenses en investissement, il n’y en aurait plus pour payer les salaires.
Nous vivons une situation qui ne s’était jamais produite depuis l’indépendance. C’est la dette extérieure qui plombait l’économie nationale. C’est maintenant la dette intérieure qui est la cause de son effondrement. Le chef de l’Etat avait fait de l’annulation de la dette son cheval de bataille, ce que j’avais troublé noble et bien pensé. Je me rappelle encore de ses plaidoiries dans l’oreille sourde de James Wolfenson. Ce que j’ignorais, c’est que cette annulation de la dette se ferait au profit de Wade et de ses hommes, au détriment de la population. Quatre années après, la dette intérieure fait à elle seule la moitié du budget de l’Etat. Pour faire face aux inondations, Adjibou Soumaré n’a pu dégager que 300 millions. Ce n’est même pas assez pour acheter du carburant pour les motopompes. Parce qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses de l’Etat, il faut se rendre à l’évidence.
Le Fmi est arrivé à Dakar avec la détermination de sauver une économie à la ruine. Mais c’est un de ses fonctionnaires qui soutenait il y a quelques mois que ceux qui tiraient la sonnette sur la dette intérieure de l’Etat faisaient de la « confusion ». Ce n’est pas seulement dans les techniques de maquillage financier que l’Etat-Pds excelle. Ses représentants attitrés savent recevoir les « missionnaires » des institutions internationales. Les envoyés spéciaux sont inondés de cadeaux en tout genre et dans bien des cas, ont droit à des séances de massage dans leurs chambres d’hôtel. C’est pourquoi ces experts en économie ne voient depuis huit ans qu’une économie en parfait état. Les « auditeurs » arrivés en début de semaine promettent de ne pas se limiter aux hauts fonctionnaires des ministères. C’est peut-être ce qu’il y a de rassurant. Ils promettent d’interroger des experts de la société civile et des inspecteurs d’Etat.
Abdoulaye Wade à la substitué à la puissance publique, sa puissance personnelle. A la force de la loi, il a substitué la loi par la force. Ce n’est pas par méconnaissance. C’est par mépris total pour le pays. Quand il a besoin d’argent, il ne s’embarrasse pas des procédures inutiles. Il se croit permis de le prendre où il y en a. Quand on lui signale que « ce n’est pas ce que prévoit la loi », il répond indigné : « C’est moi qui fais la loi. » Il y a deux ans, au moment de convoyer des centaines de « fils de marabouts » à la Mecque, il avait demandé aux responsables des impôts la somme d’un milliard et demi. Ces fonctionnaires avaient passé des nuits blanches pour lui trouver les sommes demandées. Cet argent a été distribué aux « fils de marabouts » à la Mecque. Ils devaient prier devant la Kaabah pour que Karim Wade succède à son père, « le vénéré Abdullah ». C’est pourquoi, au-delà des larmoiements sur notre sort, nous devons bénir le ciel d’avoir fait tomber sur nous cette pluie de malheurs. A quoi servirait l’argent, si Wade en disposait assez dans les caisses du Trésor ? A corrompre les mœurs ! Il aurait mis un prix sur chaque sénégalais et entrepris de l’acheter. Il fuit maintenant le pays comme s’il lui devait une facture impayée.
Cette situation est en tout détestable. Mais si ses initiatives désordonnées et sans lendemain avaient produit quelque chose de bon pour le pays, le président de la République les aurait attribuées à son fils immortel. Nous serions peut-être en plein dans les préparatifs pour son intronisation. Mais il ne peut accuser personne d’avoir été à l’origine de ce désastre. Cette ruine économique, Abdoulaye Wade l’architecte, et Karim Wade le maître d’œuvre. Il a chassé tout le monde des sphères de décision pour confier les commandes du pays à son fils. Ce n’est pas une erreur de pilotage, encore une fois. C’est une erreur de sabotage.
SJD
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