« On n’attèle pas au même timon
le cheval fougueux et la vache craintive »
Ivan TOURGUENIEW
Quand le moment vient de tuer un des leurs, les « libéraux » excellent dans la mauvaise foi. Ils viennent de servir un sombre prétexte à Macky Sall pour le canarder : « insubordination au frère secrétaire général ». La chasse à l’homme a duré trop longtemps. Ils ont cherché partout les prétextes pour l’abattre. Ils lui reprochent maintenant de ne pas se laisser abattre. Puisque dans les motifs à lui envoyés pour que Macky Sall signe sa propre mort, ils oublient un principe de droit élémentaire. Même quand on doit être coupé, on a le droit de savoir de quoi on est coupable. Mais la justice de Wade, qu’elle s’exerce dans son Etat ou dans son parti, n’a pas besoin de prétexte. Elle s’exécute à la parole du sheriff. Macky Sall est toujours en train de pousser sa masse corporelle : un jour à Québec, un autre à Paris. Mais il a déjà trop de plomb dans les jambes. Il ne peut plus échapper à la meute. L’ancien fidèle allié, le travailleur silencieux, calme et respectueux, pour reprendre les mots d’Abdoulaye Wade, est cerné comme un vulgaire gibier dans les bois, prêt à être abattu.
S’il est chanceux, Macky Sall sortira de la salle Soweto les mains en l’air. C’est le moins qu’on lui souhaite. S’il ne s’exécute pas, ses frères ennemis jurent de l’exécuter proprement. Dans le peloton de tête, il y a un revenu et un revenant : Sada Ndiaye et Modou Diagne Fada. Qu’elle est sinistre, la politique !
Sada Ndiaye avait, au milieu des années 90, planifié et obtenu l’exclusion de Modou Diagne Fada de l’université de Dakar, sous le prétexte qu’il était « un dirigeant de grève ». L’ancien directeur du Coud est arrivé au ministère de l’Education grâce à Djibo Kâ, qu’il n’a pas hésité à abandonner pour se soumettre à Ousmane Tanor Dieng quand la crise a éclaté au Ps. Quand l’alternance a sonné, il s’est engouffré dans les souliers de Macky Sall pour prendre le chemin du palais. Il doit sa liberté à celui qu’il vilipende aujourd’hui. Abdoulaye Wade voulait gagner les législatives au Fouta. Il a réhabilité les deux plus grands prévaricateurs économiques de l’histoire de ce pays, Adama Sall et Sada Ndiaye. Arrivé à la Primature, Macky Sall a « pulaarisé » son gouvernement en repositionnant des fidèles comme Bacar Dia, Adama Sall, avec l’arrivée d’Abdourahim Agne et Djibo Kâ, qui lui ont tourné le dos depuis. Il s’était servi d’un vulgaire type que tout abandonnait, même ses cheveux, pour combattre son ennemi Modou Diagne Fada. Thierno Lô s’est acquitté de cette tâche avec l’engouement d’un benêt, avant de sombrer dans l’histoire. C’est cela le propre de cette tragi-comédie. Modou Diagne Fada se sert aussi d’un proche du président de l’Assemblée nationale pour se venger. Macky Sall avait été plus loin que lui. Il avait monté le commissaire Ndoye, qu’il avait fait venir de Fatick pour le promouvoir à la tête de la Dic, pour casser tout ce qui ressemble à Idrissa Seck. Il paie la rançon de ce qui a fait sa gloire par le passé. Il devait une dette de sang.
On ne peut pas reprocher à Modou Diagne Fada de se venger. Mais il ne se venge pas. Il venge Karim Wade. C’est ce qui donne à cette histoire toute sa singularité. Ce n’est pas une affaire de parti. C’est une affaire d’Etat. Ceux qui assistent à cette tuerie avec une curiosité jouissive ont tort de le faire. Abdoulaye Wade est en train de tuer un à un ses successeurs potentiels pour qu’à la fin ne survive que son héritier biologique. Ces grands caïds de la politique sont tous du même sang. Ca ne nous empêche pas de qualifier cet acte de ce qu’il est : ignoble. Cette affaire ne regarde pas seulement le Pds, elle regarde l’avenir du pays puisque dans la tête de ceux qui organisent cette sale besogne, celui qui survivra au carnage succédera nécessairement à Abdoulaye Wade. Il n’y a dans ce peloton d’exécution qu’un seul ambitieux, Modou Diagne Fada. Les autres sont des exécutants de première classe payés à la tâche. Ils sont tous à la solde de Karim Wade. S’il le demandait, ils s’aplatiraient pour lui laisser le chemin. C’est pourquoi l’opposition a tort, une fois encore, de ne pas s’intéresser de près aux comptes que les libéraux règlent « en famille ».
Ce n’est pas le règlement Intérieur du Pds qui est modifié, c’est le règlement Intérieur de l’Assemblée nationale. Ce n’est pas le Pds qui change de statut, c’est la Constitution. Ils prétexteront qu’il ne s’agit pas d’une nouveauté. Mais ce qui rend inique cette modification, c’est qu’on ne peut pas, dans un même pays, énoncer un principe qui soit valable pour l’Assemblée nationale et qui ne soit pas valable pour le Sénat. On ne peut pas inventer une loi pour le président de l’Assemblée nationale, élu pour un an, et une autre pour le président du Sénat, élu pour cinq ans, alors qu’il s’agit du même Parlement. Un des motifs inscrits dans la proposition de loi est que le reste du bureau de l’Assemblée est élu pour un an. Mais le reste du bureau du Sénat est élu pour un an, alors que le mandat de Pape Diop prend fin dans quatre ans ! C’est une grosse forfaiture qui nous attend. Puisqu’après avoir modifié la Constitution pour y inscrire la rétroactivité de la loi votée, il faudra une loi pour enlever la même disposition, sans quoi nous serions la seule Constitution au monde à avoir de telles dispositions. Cette proposition n’est pas dangereuse parce qu’elle est injuste. Elle est dangereuse parce qu’elle est anticonstitutionnelle. Une loi est par essence générale et impersonnelle. Ce que Wade et son fils veulent faire voter n’est pas une loi, c’est un vouloir. Abdoulaye Wade a sans doute été de tous les crimes contre la République. Mais le sabotage ne peut pas continuer. La Constitution n’est pas faite pour régler des comptes, elle est faite pour régler un pays.
Comme pour ce qui concerne la convocation de Karim Wade à l’Assemblée nationale, c’est un catalogue de prétendus qui a conduit à ce jugement par contumace. C’est Iba Der Thiam et Mamadou Seck qui avaient rédigé la lettre convoquant Karim Wade, pour la porter à la signature de Macky Sall. Pour le voyage de Paris, le président de la République a envoyé des félicitations à Macky Sall à travers son Directeur de cabinet « politique », avant de le conspuer à Paris. Macky Sall avait à ses côtés Doudou Wade, qui va ordonner la mise à mort du président de l’Assemblée nationale la semaine prochaine. C’est trop de lâcheté.
Le plan de mise à mort date du début de l’année. Karim Wade et ses sbires n’osaient pas, ils osent maintenant. Voilà toute la différence. L’insubordination caractérisée n’est qu’un prétexte fallacieux pour liquider Macky Sall. L’homme ne fait que se laisser humilier. Jamais un homme n’a autant loué son bourreau. Mais on ne peut pas lui demander de se laisser tuer. Il n’a jamais été du vrai Pds. Il n’a jamais eu du rouge sur les lèvres.
Pour survivre à Wade, il ne faut pas lui être fidèle. Il faut lui être infidèle. On ne peut pas jurer fidélité au mensonge et espérer durer, même en politique. Les seuls qui soient restés avec le président de la République sont ceux qui l’ont une fois trahi. Abdoulaye Faye avait déjà négocié sa transhumance au Ps contre la couverture de tous ses soins médicaux à Paris. Pape Samba Mboup s’était déjà proposé d’être la taupe d’Ousmane Tanor Dieng au retour d’Abdoulaye Wade de Paris. Babacar Gaye a été des plus virulents contre Abdoulaye Wade, quand il est parti avec Ousmane Ngom pour se soumettre à Abdou Diouf. Le dernier en date est Baïla Wane, qui a déjà traité Abdoulaye Wade de chèvre, et qui solde le pays en toute impunité. Djibo Kâ est le ministre le plus félicité en Conseil des ministres. Il garde ceux qui ont l’échine la plus souple pour les soumettre à ses « courberies ». Doudou Wade avait juré que c’était fini, il jurera que ce n’était jamais fini. Macky Sall n’a jamais appris cette leçon pendant ses années d’école chez Wade. Le président de la République vient de vendre sa peau aux sinistrés de Pikine et Guédiawaye. Dans les jours et les semaines à venir, il ne sera question que de Macky Sall et de la guillotine qui l’attend. Après avoir menti aux 50 000 sinistrés en leur promettant des logements, il faut du gros fait divers pour couvrir leurs cris de détresse. Ainsi va la République sous Wade. Au lieu d’éteindre le feu dans la banlieue, il en allume un autre pour détourner les regards, jusqu’à l’embrasement total. C’est ou la tragédie, ou la comédie de mauvais goût.
SJD
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