« L’homme de qualité exige tout de soi.
C’est un souverain. L’homme sans qualité
exige tout des autres. C’est un despote »
Louis PAUWELS
Il faudra une plus grande hauteur à nos historiens du futur, pour comprendre dans quelles circonstances des imams dévoués à la prière ont été poussés hors des mosquées, pour adhérer au parti de la révolte. Mais on ne peut pas ne pas y percevoir, dans l’immédiat, ce que tout le monde s’imaginait déjà, l’effondrement de notre classe politique. Tout le monde craignait le « mouvement ». Le pouvoir parce qu’il n’en voulait pas du tout. Il croyait garder la haute main sur les mosquées. L’opposition craignait plus que tout, un déchaînement incontrôlé. C’est le cas avec ce mouvement de révolte : pas d’armes, pas de programme, pas d’intérêt partisan. Une révolution aux mains nues. Même le Coran a été rangé dans les placards. Le discours programmatique se limite à dire non au « Shah » sur l’électricité.
Ce sont pourtant tous ces défauts qui font la force de ce nouvel activisme populaire. Personne ne pourra le récupérer. Le pouvoir ne pourra surtout pas accuser ces septuagénaires d’être à la solde de l’opposition. Ce serait la pire des insultes et le meilleur moyen d’ajouter à leur chapelet de revendications, la tentation de la radicalisation. Je ne dis pas qu’il n’y en aura pas qui ne vont pas échanger leur rigorisme affiché contre quelques liasses de billets. Mais il serait illusoire pour le pouvoir de penser qu’en corrompant quelques uns, il peut corrompre tout le monde. Ce serait prendre les conséquences pour la cause.
Depuis le lancement de la lutte, la waderie est prise entre la tentation d’amadouer les leaders du mouvement et l’obligation de punir ceux qui leur obéissent. Contre la vie chère et les repas « sautés », Hassan Bâ et ses ouailles avaient imposé les tapis de prière, en s’assurant la génuflexion des esprits dociles. Leur travail n’a pas été vain. Il y en a qui font encore l’impossible pour s’accrocher à leurs illusions.
Mais les plus âgés ne peuvent plus se nourrir de promesses, parce qu’ils ne peuvent pas attendre. Ils ont vécu, la plupart d’entre nous enfants, les promesses d’un kilogramme de riz à soixante francs. Ils ont à leur charge les enfants perdus du Sopi, ceux qui ont porté le vent du changement dans leurs ventres vides. Abdoulaye Wade leur promet un avenir, mais c’est d’un présent qu’ils veulent. C’est ce qui fait la différence entre les jeunes qui manifestaient il y a trois mois et les aînés qui marchent aujourd’hui. Les premiers n’ont pas d’avenir, alors que les seconds manquent de présent. Le président de la République leur promet un futur plus acceptable, mais il ne leur dit pas ce qu’ils doivent faire de leur présent insupportable.
Les mollahs de Guédiawaye ont investi les rues parce que la misère les a chassés des mosquées. Ils n’ont pas un programme politique, leurs revendications ne sont pas articulées, mais gardons-nous des préjugés et des stéréotypes. Ce sont pour la plupart de grands commis qui ont connu la fonction étatique quand elle avait encore quelque chose de valorisant. Ils ne sont pas l’Etat, mais ils connaissent la structure des prix. Ils ne sont pas la Senelec, mais ils connaissent le prix de revient du kilowatt/heure. C’est pourquoi leur colère se justifie. Nous sommes le port d’entrée de nombreux pays d’Afrique de l’ouest, mais nous sommes les plus chers en tout. Il est devenu insupportable qu’à chaque fois que l’économie nationale est affectée, les plus pauvres supportent les caprices des plus riches. Malgré la crise économique, les pontes du régime rivalisent de belles villas tout le long de la bordure maritime qui va des Almadines au Cap Manuel. Tandis qu’à l’autre extrémité de la péninsule, des millions de personnes croupissent dans la misère absolue. Cet enrichissement éhonté est une insulte à tous ceux qui font face à la précarité quotidienne. La colère que ces guides religieux expriment est la supplique intime de chaque sénégalais. S’ils brandissent les factures de courant, c’est que ces bouts de papier sont devenus le symbole d’un acharnement financier aveugle. Mais ils pouvaient ajouter à leur liste l’huile, la viande et même le poisson, hors de portée des ménages. La mer en face, à force d’être sollicitée, ne rejette plus que les cadavres de ceux qui tentent d’échapper à la misère terrestre.
C’est une malédiction qui s’abat sur Abdoulaye Wade. Après avoir théorisé, célébré, magnifié les vertus de la résistance populaire, le voilà qui se débat pour ne pas en être la victime. Il n’y a que la cupidité qui peut expliquer cette déroute monumentale. Cette terrifiante phrase lâchée en présence de Me Sidiki Kaba et de Me Madické Niang, « nos ennuis d’argent sont terminés ». C’est à ce moment précis qu’il s’est obstiné, pour ne jamais s’arrêter. Si Iba Der Thiam veut avoir une idée exacte des injustices subies en huit ans de wadisme, qu’il se rappelle à quoi se limitaient ses possessions en 2000, près de vingt ans après sa première collaboration avec le gouvernement Diouf. Et qu’il nous révèle l’étendue de sa fortune d’aujourd’hui. Il n’y a pas meilleur instrument de mesure que la Peugeot rouillée qui gisait au devant de son domicile de la Liberté 4, investie par les souris et les rats. Il doit se rendre compte que les 400 000 francs mensuels et les sacs de riz alloués aux membres de la « Cap 21 » avaient de meilleurs destinataires. Malgré les nombreux signaux d’alerte, le pouvoir a persévéré dans la provocation, avec un président de la République que rien n’arrête. Les Sénégalais vont boucler une année d’intenses déceptions avec l’impression, la quasi certitude dois-je dire, que le pire les attend pour 2009. Et bien, nous ne ferons pas le procès du Duché sans faire celui de ses suppôts. J’ai connu la plupart de ces hommes. Leur reddition sans condition face à la puissance de l’argent est effrayante. Personne d’entre eux n’ignorait que le je-m’en-foutisme érigé en système de gouvernement conduirait à la catastrophe. Ils sont les complices de cette grande entreprise de prévarication, avec un degré de frivolité jamais atteint par le passé. L’Etat, nous l’avons vu, a engagé les agriculteurs dans une fête de la moisson digne des kolkhozes et des sovkhozes russes. Maintenant que les paysans ont assuré leur part de récolte, l’Etat n’a rien prévu pour leur acheter leur production. Un véritable suicide assisté. En plus de refuser les soins au monde paysan malade, il lui retire la perfusion qui le maintenait en vie.
La situation est si grave qu’après les mollahs, le pays entier doit trouver les moyens de faire face. Si nous laissons les religieux faire la loi, ils se croiront obligés de nous imposer leurs lois.
Mais nous vivons dans un pays étrange. Pendant que les imams s’opposent dans la rue, la classe politique s’en remet à Dieu, l’éternel coupable. J’en trouve, même dans l’opposition, qui se soumettent à la sémantique de compromis : le peuple doit savoir qu’il doit en faire son affaire ». Ils ne parlent pas de la misère sociale, ils parlent des prochaines modifications de la loi électorale ! C’est comme si tous les politiciens avaient comploté ensemble contre le pays. Abdoulaye Wade est sans doute inexcusable, et seul responsable de ce qui nous arrive. Mais ses adversaires lui ont rendu la tâche trop facile, il faut avouer. A bien des égards, les politiciens pourraient, comme les avocats, s’appeler des « confrères ». Quand ils plaident leurs causes, ils peuvent devenir les pires ennemis. Dès qu’ils finissent leurs plaidoiries, ils deviennent les meilleurs amis. Les députés connaissent cette forme de dépravation sous une autre forme. Après s’être insultés devant les caméras de la télévision nationale, ils se retrouvent à la buvette de l’Assemblée nationale pour se congratuler. Ils ont fait de nous des athées de la politique. C’est pourquoi les mollahs font recette, pardi !
SJD
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