« C’est toujours l’âne qui brait le plus fort
qui est le plus racé ; la bêtise est tonitruante »
Malcolm de CHAZAL
Il parait que Wade survit à tout. La légende raconte que dans le pire des cas, il se transforme en enfant. Un lecteur m’a même interpellé, cette semaine, sur cette étonnante « immortalité » de Monsieur le président de la République. Mais c’est le propre de tous les grands hommes, qu’ils se soient distingués par leur sagesse ou par leur cruauté. On leur en prête plus qu’ils en ont. Même quand sa défaite devenait évidente, les agents de liaison d’Hitler ont cru leur Führer invincible. Jusqu’à ce qu’ils découvrent, un jour, sa main gauche qui tremble, puis son pied droit, signe d’un Alzheimer précoce. Ils ont commencé à le désobéir. C’était un appel de la nature.
Les Wadistes vont encore s’arracher ma peau. C’est un crime de comparer notre président de la république élu à un dictateur abominable, soit-il, lui aussi, élu. Excusez-moi, mais c’est ce à quoi me fait penser cette fin de règne abominable. Enfermé dans un bunker, avec toutes ses commodités, un homme, que la sagesse devait pourtant côtoyer tous les jours, s’abandonne à la déchéance politique qui présage une fin humiliante. Observez bien ces porteurs de brassard rouge qu’on pourchasse, dans tout le pays, pour les interpeller ou les envoyer en prison. Ca fait quand même penser aux rafles systématiques. Mêmes les employés de Bara Tall n’y échappent pas ! Mardi, ils ont gardé l’épouse de Babacar Touré toute la journée à la Division des investigations criminelles (elle est directrice de l’environnement). Si Madické Niang n’avait pas paré ce coup de folie, ils l’auraient envoyée en prison, juste pour atteindre Modou Diagne Fada.
La sortie de l’ancien ministre de l’Environnement sur l’état de son parti est courageuse, pour une fois que Wade voudrait un vrai diagnostic, depuis qu’il leur a dit, lui et Idrissa Seck, « je veux reprendre en main mon parti ». Mais il faut s’attendre à ce que, dès les prochaines semaines, il soit cueilli par la police politique et traîné devant les tribunaux, pendant que Adama Sall et Assane Diagne sont à leurs séances de massage. Dans ce pays qui a envoyé un cahier de doléances aux états généraux de 1789, toutes les pensées différentes sont devenues des pensées dissidentes, par la force d’un facho de fagot.
La formation du dernier gouvernement donne cette impression d’un front qui se délite, et d’une armée en fuite. Le chef n’a d’autre solution que de faire appel à des mercenaires de la parole qui l’ont vigoureusement combattu hier, et de compter sur eux pour sa survie. J’écoutais ce matin encore, la bande sonore d’une émission de Walf-Fm, dans laquelle El Hadj Diouf, le nouveau Goebbels du régime accusait Wade d’assassinat, à mots à peine couverts. C’est un homme lourd qui se conduit légèrement. J’ai surtout retenu le passage dans lequel il disait que tout le monde peut gagner les élections de 2007, sauf Wade. Je ne parle pas d’Abdourahim Agne, qui comparait le gouvernement Wade à la galerie Lafayette, pour dire qu’on y trouve du tout. Je me rappelle encore de ses points de presse de 1999, à la maison du Parti socialiste, au cours desquels il tentait de nous convaincre que monsieur « Vade » ne participerait pas aux élections, parce qu’il était « malade ». Je trouve que ces nominations que le président de la République vient d’effectuer, de son bon vouloir, sont un hymne à la lâcheté, et une insulte à notre conscience collective. Nous ne savions certainement pas, le 19 mars 2000, que le beau scénario que nous venions d’écrire allait nous échapper, et tourner en un film de King Kong.
La déclaration de Macky Sall est de ce point de vue édifiante : « Si on ne les met pas dans le gouvernement, ils parlent beaucoup, et ça coûte plus cher », pour faire l’économie de sa bonne parole. C’est ça le raisonnement des libéraux. Ils se sont dit que la foudre frappe trop, et que tous ces gens mis ensemble, pourraient constituer un bon paratonnerre. Ca nous vaut des départements avec 5 ministres, et d’autres sans ministre, dans un gouvernement de 41 ministres et 85 ministres conseillers. Le gouvernement, que Wade jurait de réduire à 25, juste après sa victoire en 2000, est devenu un vrai marché Sandaga, au point où le président en oublie certains.
En six ans, voilà tous les rebuts du dioufisme lavés et recyclés, comme du neuf. Tout ce zeste en bikini pour donner quoi ? Un lifting manqué et du botox au visage de ceux qui en ont le sourcil froncé, à force d’attendre une « nomination ». Avant les décrets de répartition des services, la mise en place des cabinets, nous serons déjà en février 2007. C’est ça le plus écoeurant. C’est qu’ils auront juste le temps de promener partout, pour s’enorgueillir d’avoir été ministres un jour de leur vie. Je comprends la colère des combattants d’hier. Ce n’est pas payant de rester avec Wade. Il faut l’insulter, lui rappeler ses crimes passés, pour figurer dans son gouvernement. Je vous promets qu’il y aura un autre remaniement avant les élections. Il a découvert, dès le lendemain de ce remaniement, quand il a serré la main de certains de ses ministres, que sa locomotive folklorique aura du mal à démarrer. Les responsables de la Cap 21, comme pour ne rien arranger, se plaignent encore. Ils ont servi de premier étage à la fusée, jetés après le décollage. Le seul néo libéral qui a réussi une entrée en force est Khoureichi Thiam, qui a donné la leçon, en s’opposant vigoureusement à Wade, jusqu’à voter contre la loi Ezzan.
J’ai guetté mercredi, la loi rectificative des Finances. J’ai découvert que nous avons, cette année encore, reçu plusieurs milliards de francs Cfa en prêts et en remise de dette. Ce n’est pas ce qui m’intéressait. Je voulais y voir les traces des 15 millions de dollars, soit 7 milliards de francs Cfa, que le président de la République dit avoir obtenu d’un de ses amis. Que ce soit de l’argent de Taïwan, offert au peuple sénégalais ne fait aucun doute. Que le président de la République nous dise que c’est un don d’un de ses amis n’est pas non plus un problème. Je trouve sage, même s’il l’a fait contraint, qu’il ait décidé de verser dans les finances publiques cet argent. Mais de bout en bout, dans cette loi rectificative, il n’y a aucune trace de ces 7 milliards. C’est à cause de ces milliards que depuis bientôt un an, Abdoulaye Wade refuse systématiquement de s’exprimer sur les questions nationales, quand il fait face à la presse. Il est convaincu que les journalistes lui demanderont où est passé cet argent, et qui est le généreux donateur.
Le passage du ministre des Finances devant les députés aura au moins été un cinglant démenti aux assurances de l’Anoci. « Il ne peut pas y avoir de manipulations. L’argent n’est pas transféré au trésor public. Nous avions des délais courts et nous nous sommes entendus avec la partie koweïtienne pour le démarrage. C’est juste pour pouvoir construire les routes dans les délais. Nous nous sommes permis d’anticiper en sachant que l’argent koweïtien est uniquement réservé à la construction ». Non seulement, il confirme qu’à force d’attendre les financements koweitiens, c’est le budget de l’Etat qui finance les chantiers de l’ANOCI, ce qui est déjà illégal, mais nous apprenons que les prêts qui arrivent ne sont pas transférés au Trésor public, encore une autre illégalité. Mais il ne sera jamais trop tard pour demander des comptes. Ils seront un jour payés pour les horreurs dus à leur sang.
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