pour un honnête homme n’est pas de faire
son devoir, mais de le connaître. »
Louis de BONALD
Abdoulaye Wade était là transi, la tête sur le billot, implorant le pardon. Son bourreau,
tenant la lame au-dessus de son cou, le trouva trop méprisable pour mériter la mort et
l’abandonna à ses ouailles. Quel qu’ait été le sentiment profond qui a animé ce président
au moment de faire ses confidences sur ses relations passées avec Abdou Diouf, c’est à
cette image qu’il renvoie. Celle d’un homme qui tente vainement de réduire la portée de
ses crimes auprès d’une foule exaltée qui le sait coupable. Il hâble comme si remontait
de son profond subconscient, un besoin incompressible de se justifier de quelque chose
d’ignoble. Son passé de franc-maçon, ses pratiques délinquantes, ses mensonges,
presque tout a été dit et il ne reste plus, sur le grand registre des crimes qui lui sont
imputés, que l’assassinat de Me Babacar Sèye à confesser. Il arrivera peut-être un jour
où il expliquera en ricanant, comment il a fait assassiner un juge honorable pour se
venger d’une défaite électorale.
Imaginez maintenant que nous ayons hérité du plus détestable des politiciens qui ait
rampé sur terre et qu’il doive sa haute charge, non pas à sa probité morale, mais à la
magnanimité d’un seul homme. Tout sépare les deux hommes et si j’étais Abdoulaye
Wade, je me garderai de toute comparaison pour ne pas paraître ridicule.
Abdou Diouf sollicite bien davantage ses oreilles que sa langue. C’est ce qui le met à
l’abri de la bêtise. Depuis qu’il a quitté le pouvoir, il n’est plus soumis à cette réserve que
lui imposait la fonction. Et pourtant on ne l’entend jamais radoter comme le fait
l’octogénaire de Kébémer. Aucune confidence n’est sortie dans aucun livre, que nous
puissions lui attribuer. Ayant toute sa vie vécu dans la compagnie d’hommes aussi
distingués que Mamadou Dia et Senghor, il ne faillit pas en cette sorte de finesse qu’on
acquiert à leur commerce. Car quel que soit ce qui a pu séparer les trois hommes, Diouf,
Dia et Senghor avaient en commun un culte de l’Etat et un dogme de la République. La
supériorité morale d’Abdou Diouf sur Abdoulaye Wade tient justement au fait que l’ancien
président sait tout et tait tout. Il n’y a rien qu’Abdoulaye Wade ne fait pas pour avoir la
garantie de ce silence éternel. Au mariage de Yacine Diouf, c’est un véhicule de luxe tout
neuf que Doudou Wade et Karim Wade sont allés porter à la nouvelle mariée. Il a fait
preuve du même empressement pour demander au procureur de la République de
bloquer la demande d’inculpation de Maguet Diouf, avant d’en informer son frère
immédiatement. Sa grande générosité est donc le résultat d’un calcul d’une cynique
complexité. Diouf aurait pu le mettre en prison pour le restant de ses jours, il ne l’a pas
fait. D’où cette même reconnaissance envers tous les juges impliqués dans l’affaire Me
Sèye. Ils ont tous été promus à de hautes fonctions dans la magistrature ou nommés
dans les consulats non pas par bonté, mais par une gratitude sournoise. Il vit maintenant
avec la hantise qu’à sa mort prochaine, tout ce monde-là déballe ses vilénies sur la place
publique, et qu’il s’en retrouve conspué jusque dans sa tombe.
Ce serait donc une insulte que de comparer Abdoulaye Wade à ses prédécesseurs.
Senghor et Diouf abhorraient le pouvoir et vénéraient l’Etat. Tant qu’ils le pouvaient
faire, ils déléguaient tous les pouvoirs et tenaient leurs familles éloignées des sphères de
décision. Nul ne peut parler d’un chef d’Etat mieux que son aide de camp. J’ai pu savoir,
à travers des discussions que j’ai eues avec le général Belal Ly et plus tard le colonel Sall,
que les deux anciens chefs d’Etat n’ont jamais été accros à l’argent et n’en consommaient
qu’à faible dose.
Les pouvoirs qui se sont succédé jusqu’ici ont en commun les ors, le cérémonial, parfois
l’impunité qui va avec. Que l’on ait été Senghoriste, Dioufiste ou Wadiste, c’est un fait
qu’être au pouvoir signifie bénéficier des logements de fonction, des chauffeurs, des
maîtres d’hôtel. La République a toujours bien traité ceux qui l’incarnent au plus haut
niveau. Ce que le pouvoir d’Abdoulaye Wade apporte de nouveau, c’est cette union
incestueuse entre le pouvoir et l’avoir. Le pouvoir ne se distribue plus selon la charge
symbolique qu’il contient, mais selon qu’il peut vous rendre riche ou pauvre. Depuis
l’affaire Idrissa Seck jusqu’à la récente affaire Khalifa Niasse, le principal enjeu du
pouvoir n’est plus le pouvoir lui-même, mais l’argent et les avantages qu’il procure. D’où
il résulte le phénomène de Cour que nous connaissons. Quand on n’a pas la chance
d’accéder à haut degré de puissance ou de connaissance, on peut trouver grand avantage
à devenir un larbin, ce qu’ont compris Manga II et sa cohorte d’anciennes « gloires de la
lutte ». Le pays est maintenant divisé entre ceux qui possèdent, leurs courtisans et ceux
qui n’ont rien.
Ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui ont d’ailleurs vite fait de s’unir à ceux qui avaient
l’argent hier pour constituer ensemble une même communauté de riches. Le plus
symbolique d’entre tous, c’est sans doute le mariage entre le garde du corps d’Abdoulaye
Wade, Lamine Faye et la fille de feu Ndiouga Kébé. S’il n’y avait pas ce lien inextricable
entre la parenté, le pouvoir et l’argent, un tel assemblage eut été inimaginable. J’ai
évoqué dans mes précédents écrits, ce passage d’une société de classe à une société
d’ordre dans laquelle le pouvoir et l’argent se transmettent selon les liens du sang.
Ce qui caractérise la monarchie, ce n’est pas le pouvoir d’un seul homme, que l’on
appelle dictature. C’est un ensemble organisé de privilèges qui se maintiennent et se
perpétuent selon les liens du sang. Ce qui le rend particulièrement inique, c’est qu’il
saigne les pauvres pour entretenir les riches. Ils en sont arrivés à instituer la Taille,
comme il en existait dans les monarchies anciennes. Pour permettre à Karim Wade
d’achever ses chantiers, nous devrons, pauvres usagers du téléphone, puisqu’eux ne le
paient pas, payer plus cher nos communications. Un décret présidentiel exige une
augmentation de 49 francs Cfa sur le trafic entrant pour le sans fil et 75 francs sur le fixe,
soit un passage du simple au double. Il exige que ce montant soit versé, non pas au
Trésor public, mais à une société dénommée Global Voice. L’ordre institué par Abdoulaye
Wade ne souffre aucune comparaison.
Sa bande de pillards vient de se partager des milliards issus de la vente illégale d’une
licence de pêche à des armateurs russes. Quand un de nos pauvres pêcheurs Lébou s’est
aventuré dans les eaux de l’Ile aux serpents, il en est revenu criblé de balles. Comparer
un tel régime à ceux qui l’ont précédé est une malhonnêteté. Il pouvait réduire son train
de vie, supprimer la fournée d’institutions et de ministères qui ne servent à rien, mais ce
serait trop d’efforts demandés à un homme qui n’en peut faire. Quand il a été interpellé
sur le nombre pléthorique de ministres dans son gouvernement, sa réponse a été que le
Ghana en comptait beaucoup plus, avec 61 ministres. Vérification faite, ce pays ne
compte que 22 ministres et un secrétaire d’Etat. Je me suis demandé ce que nous avons
bien pu faire au ciel, pour avoir sous notre toit l’auteur de ce mensonge inutile.
Quand Abdoulaye Wade venait au monde, aucune étoile ne brillait au dessus du Sénégal
pour nous informer de sa naissance. Aucun devin, aucune prophétie ne nous a indiqué
que la nature était grosse d’un souverain pour le Sénégal. Les circonstances de sa
naissance sont elles-mêmes floues et personne ne peut dire avec exactitude où et quand
il est né. C’est donc une grande curiosité qu’un tel homme veuille instituer un ordre
injuste qui lui permette de gérer et de transmettre le pouvoir comme s’il s’agissait de son
propre bien. Il se permettait tout pour imposer son fils à la tête du pays, quand il pensait
que tout était possible. Depuis qu’il sait que tout est impossible, il se permet n’importe
quoi. D’où cet appel que je lance à tous les patriotes soucieux de l’avenir de ce pays.
Unissons-nous pour sauver notre pays. Nous ne parlons pas d’une même voix, mais nous
parlons du même cœur. Ne gaussons pas, quand la maison brûle.
SJD
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