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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

[ C H R O N I Q U E ] La présidence-people

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[ C H R O N I Q U E ] La présidence-people

« Selon l’opinion des hommes éclairés,
il n’y a que la médiocrité
qui ne soit pas exposée à l’envie »
G. BOCCAGE

 


Au rythme où vont les choses, les libéraux n’auront plus assez de place pour enterrer leurs morts. Il ne se passe plus une semaine sans qu’on leur annonce une mauvaise nouvelle. Le matador a encore agi, cette fois-ci devant les caméras de la télévision. C’était au tour des femmes de se préparer au deuil. Pendant que Macky Sall est accroché au poteau, Aminata Tall attend dans le couloir de la mort. Le président de la République fait preuve de plus d’élégance quand il s’agit des femmes, mais un prétexte est un prétexte. Quand il veut remplacer une femme, c’est à son cœur défendant. Il ne l’accuse pas de vieillesse, il accuse ses idées. Des centaines de femmes ont pris d’assaut la salle des banquets comme un troupeau de buffles pour l’applaudir. C’était un championnat de démagogie en direct. Pendant que les femmes « cadres » s’évertuaient à jurer qu’Abdoulaye a changé le monde, Wade s’évertuait à les persuader que c’est le monde qui a changé.
La vie a de longues jambes, chers lecteurs. Il y a vingt ans, quand l’ancien opposant a jeté son dévolu sur l’étudiante en troisième cycle Aminata Tall, il a accusé Coumba Bâ des mêmes maux, avant de la laisser à l’abandon. « Nous vivons dans un monde moderne, et tu ne peux pas représenter les femmes dans les instances internationales », avait-il lancé à cette brave femme. Quand il a voulu imposer Aminata Tall dans le premier gouvernement d’union, il a prétexté devant ceux qui dénonçaient cette promotion subite que Mme Tall faisait partie de la fameuse « section bleue ». Ce n’est pas Aminata Tall qui a vieilli, ce sont donc ses idées ! Fini le temps où il lui chantait les refrains de l’été indien.
Personne ne pouvait imaginer un tel retournement, surtout pas en faveur d’Awa Ndiaye. C’est elle qui distribuait la parole. Elle a été durant cette rencontre qu’elle a elle-même convoquée, la bouche, et parfois le cerveau du président de la République. « C’est ce que veut notre frère secrétaire général », répétait-elle souvent,  en s’assurant de bien avaler son « R ». On aurait cru Aïda Mbodj il y a trois ans. Aminata Tall en avait le souffle coupé, enrôlée de force dans cette figuration honteuse. Awa Diop cherchait à se composer un sourire, mais elle n’était pas heureuse, la pauvre.
Ce qui est en train de se passer sort de l’ordinaire. Ce n’est pas n’importe quelle femme qui s’empare de la fédération des femmes du Pds. Awa Ndiaye était socialiste jusqu’en 2003 et jusqu’à cette date, épouse d’un ancien ministre socialiste. Il y a une règle non écrite chez les « libéraux », qui veut que les femmes n’adhèrent pas au Pds, elles adhèrent à son chef. Quand elles adoptent le wadisme comme religion, elles optent pour le célibat. Elles laissent leurs époux à la porte pour embrasser Wade et son wadisme. C’est un mystère auquel les spécialistes de la présidence-people devront s’attaquer un jour. Toutes les femmes qui prennent des responsabilités au Pds, pour peu qu’elles valent quelque chose, divorcent fatalement. Elles meurent après au couvent, complètement wadifiées.
Le Pds a connu des départs qui ont marqué son histoire, mais jamais chez les femmes. Celles qui sont évincées se battent avec le secret espoir de retrouver un jour leur place d’élue. L’éloge de la concurrence, dans un libéralisme de galipettes. La vérité est que ça n’arrive jamais. L’âme du Pds n’occupe jamais deux fois le corps d’une même femme.
Depuis qu’elle a été chassée du gouvernement, que de promesses faites à Aminata Tall ! Abdoulaye Wade s’est servi d’elle pour liquider tous ses ennemis et tout récemment reporter les élections locales. La ci-devant secrétaire générale des femmes du Pds est pourtant la figure-même de la modernisation de son parti. Son adhésion au Pds était un acte de courage. Sa stature intellectuelle que personne ne peut lui contester lui offrait des perspectives plus rassurantes au Parti socialiste ; elle a milité au Pds à un moment où aucune femme cadre n’osait se montrer aux côtés de « Fantômas ». Elle mérite mieux que ce qui lui arrive. Elle a laissé ses anciens camarades se faire conduire à l’abattoir, mais elle n’a jamais cautionné leur mise à mort. Awa Ndiaye, avec qui Abdoulaye Wade s’engage tête baissée, n’a ni sa stature, ni sa personnalité. C’est pourquoi l’idée de mettre une intellectuelle à la tête de la Fédération des femmes Pds pour l’international est un grand bluff. Abdoulaye Wade n’aurait jamais nommé une titulaire d’un « Deug en pharmacie » à la tête du ministère et des Sénégalais de l’extérieur, s’il était soucieux de l’image de son parti. Après la presse people, c’est sous son règne qu’on vivra la présidence people, avec des coups de poing au palais et des batailles rangées à Ganaw Rail.

Abdoulaye Wade dure, mais c’est sa tête qui s’endurcit. Son projet est de parvenir à une maîtrise totale de la scène politique en supprimant son opposition et en soumettant sa propre majorité. Vous me direz qu’il a déjà réussi. Après Macky Sall et Aminata Tall, ce sont les derniers cadres qui l’avaient accompagné dans cette grande aventure nommée « alternance » qui sont liquidés. Il ne reste plus personne. Tous ceux qui ont survécu sont assis sur des bombes à mèche courte, capables de les faire sauter.
Je suis très étonné de voir la coïncidence avec laquelle dès la mort annoncée de Macky Sall, des dossiers ont commencé à sortir sur Pape Diop. Il n’y a rien pourtant qu’Abdoulaye Wade ne savait déjà. Pape Diop s’appelle Tapha, tous ses voisins de Ouagou Niayes le savaient déjà. Ce n’était un secret pour personne. Tous ses neveux qui ont grandi à ses côtés l’ont appelé tonton Tapha, et son grand-frère Pape. Ses déboires avec la Justice sont connus de tous ceux qui l’ont connu pompiste à Fatick. Ce n’est pas le lieu de l’accabler, il a déjà payé sa dette à la société, et s’est remis de ses erreurs passées.
Pape Diop est un poissonnier méritant. Mais imaginez qu’en cas de décès du président de la République, plus qu’envisageable à son âge, celui qui est désigné pour diriger le pays est un repris de justice qui avoue avoir changé d’identité au moins une fois. Je suis malheureusement persuadé que ce déballage tardif est une manœuvre d’Abdoulaye Wade pour tenir le président du Sénat entre les jambes et l’empêcher de bouger. Abdoulaye Wade n’ignorait rien du passé de cet homme. La Mairie de Dakar, Pape Diop n’en a jamais voulu. C’est Karim Wade qui lui a annoncé sur le perron de la présidence de la République qu’il dirigerait la capitale. C’est ce même Karim Wade qui lui a annoncé, deux années plus tard, qu’il deviendrait président de l’Assemblée nationale. Pape Diop s’est engagé à laisser la Mairie de Dakar et le Sénat au fils du président de la République pour « retourner dans les affaires ». C’est pour l’obliger à tenir ses promesses qu’on lui montre ses « affaires ». Mais nous ne devons pas laisser ce cynisme prospérer. Wade les tuera tous parce que tous patientent en spectateurs, espérant que cette série de meurtres leur profitera un jour.
Voyez bien à quoi se résume la Génération du concret : Sada Ndiaye et Awa Ndiaye. Le Pds est devenu un vaste cimetière dans lequel reposent les corps de ceux qui ont osé un jour dire non. La présidence de la République est entre les mains d’un ancien instituteur, Ablaye Faye, et d’un ancien agent commercial, Babacar Gaye. Cet homme falot est devenu ce que la République a de plus important. Il écrit des « notes ». Quand le président de la République rencontrait la semaine dernière les sénégalais du Canada, c’est son directeur de cabinet politique qui lui filait « les notes ». Dès que les étudiants ont demandé la bourse automatique pour ceux qui font le baccalauréat, il lui en a filé une entre les paumes. Réponse du président de la République : « Non, je ne donne pas la bourse à ceux qui font le bac. Si vous voulez le bac, il faut aller le faire au pays ». Son directeur de cabinet politique l’a gouré. Il ne sait pas que le Baccalauréat, au Québec, c’est la licence. Abdoulaye Wade ne s’est pas arrêté là. Je connais quelques uns parmi ceux qui étaient partis lui présenter « des projets ». Le moins instruit d’entre eux a fait un Master en administration. Il les a engueulés comme de petits enfants : « Vous ne m’avez pas présenté des projets, vous m’avez présenté des discours. Je vais vous apprendre comment faire des projets ». Le professeur s’est mis à barboter pendant une bonne vingtaine de minutes, avant de revenir à la raison. Ses hôtes n’ont toujours pas compris comment il a pu qualifier des projets financés par des organismes internationaux de « simples discours ». Mais Babacar Gaye était fier de son homme. Il le lui a dit juste quand il décollait de son fauteuil : « vous avez été impressionnant, monsieur le président ».
SJD



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