Pincez tous vos koras, frappez les balafons, la République a la tête sur le billot. Notre chère Nation, un acquis de deux siècles de combats démocratiques acharnés, s’en va à la guillotine. A peine élu avec la « facilité » que l’on connaît, Wade coupe allongé le débat sur sa propre succession : son fils est très compétent, il n’a jamais volé, mais c’est un « toubab ». Il croit les opposants à ce beau testament familial assez défaits pour enfin accepter l’impensable : réduire l’essence du pouvoir à « lui » le père, Karim le fils, et Idrissa Seck le mauvais esprit. Le dernier est accablé de tous les maux. Il déguerpira des lieux, ou il sera mis sur la croix, la langue bien pendue.
La mise en scène progressive du fils du président de la République ne devrait surprendre personne. Depuis trois ans maintenant, Wade nous enfonce la pilule bien enveloppée dans l’estomac. Conseiller technique de son père, Conseiller financier de son père, président de l’Anoci. Wade l’a mis au contact des riches arabes, qui l’aiment comme un frère, prêts à financer chacun de ses « grands projets ». Voilà ce qu’il en est de sa conquête moyen-orientale. En occident, il n’a suscité que du mépris et de la méfiance, et ses contacts avec des délinquants comme Abu Khalil ont plutôt nui à sa réputation. Abdoulaye Wade est en « visite de travail » en France, pour convaincre les plus sceptiques des capacités successorales de son fils. Il voulait en faire son ministre des Finances. Il a passé les trois derniers mois à nous dire qu’il est « ingénieur financier ». Il veut désormais ajouter à cette grandiloquente fonction l’étoffe diplomatique et la préséance qu’un ministre des Finances, aussi puissant soit-il, n’a pas, il sera ministre des Affaires « étrangères », en bon toubab.
J’ai dit à un ami, qui m’interrogeait sur l’éventualité de cette nomination, qu’en parler serait la meilleure manière d’empêcher cette nomination, s’il reste un peu de bon sens à notre président de la République.
Ce n’est pas pour le poste. Karim Wade est sénégalais, et comme tel, il a le droit d’être nommé. Le commissaire de police qui enquête sur sa moralité a d’ailleurs la lourde responsabilité de devoir trouver plus de superlatifs que le président de la République, pour le convaincre de nommer son fils. Nous le savons tous, c’est une formalité de plus. Abdoulaye Wade a nommé des gens sans connaître leur nom. Pourquoi s’embarrasserait-il de telles lourdeurs, s’il veut nommer son fils qui a abandonné les grands holdings de Londres, pour venir le conseiller sur les maigres sous du pays ? C’est pour nous dire qu’il le met au même pied d’égalité que tout le monde, que Karim est un « successeur » comme tous les autres.
C’est pour la charge symbolique que cette nomination fera encore plus mal. Nous aurons franchi un pas psychologique supplémentaire, dans un « striptease » institutionnel qui, je crois, ne grandit pas ce pays. Depuis des années, le président de la République s’y prépare, en lui imposant des cours assidus de Wolof, en l’introduisant dans les cours maraboutiques les plus influentes, en encourageant sa présence dans les manifestations politiques.
Il y a deux faits à retenir dans le contre portrait dressé par son père. Il ne connaît par les rouages de l’administration : sa nomination comme ministre fera tomber cet obstacle. Il ne parle pas wolof : les cours qu’il prend le rendront prêt à la charge suprême dans une année. A aucun moment, dans aucun de ces schémas, n’entre en compte le fait qu’il soit le fils du président de la République, et qu’il serait quand même indécent qu’il nous l’impose.
Abdoulaye Wade ne voulait pas de ce débat il y a quelques mois, c’est lui qui le pose désormais comme un impératif. Se trouver un successeur dans un délai de trois ans, alors qu’il a été élu pour cinq ans. Pas qu’il veuille quitter le pouvoir. Ce serait une grossièreté de le penser capable de la grandeur d’âme d’un Senghor ou d’un Abdou Diouf. Vivant, il se présentera à la prochaine présidentielle, même sur une civière, quels qu’en seront les moyens. Il a dans le sang cette idée qu’il est fait pour régner sur tous les autres. C’est pourquoi sa succession par son fils est la seule alternative qu’il puisse subordonner à sa mort politique, qui sera sa mort tout court. Il a travaillé, depuis trois années, à en écarter le seul qu’il voyait en obstacle à cette mise en scène macabre, Idrissa Seck. Il va désormais s’occuper de ses suivants immédiats, Ousmane Tanor et Moustapha Niasse. Prêt à cogner court sur tout ce qui essaiera de passer de travers.
Il a réglé la dernière barrière institutionnelle en faisant voter à ses députés, dans la dernière semaine du mois de décembre 2006, une loi qui permet aux ministres de retrouver leurs mandats s’ils sont démis de leurs fonctions. Au-delà du confort psychologique qu’il confère à ses partenaires, ce sont les ministres présents au gouvernement qui voteront les lois de la République. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas. Et ceux qui appellent au rassemblement contre Ousmane Tanor Dieng et Idrissa Seck cherchent à Front qui lancera la présidence de Karim Wade, et Moustapha Niasse l’a bien compris. On ne peut pas construire une « coalition en écartant les forces les plus significatives du pays, et Mamadou Diop Decroix est pitoyable dans ce rôle. C’est désormais la question inscrite dans l’agenda du président de la République dans tous ses voyages. Il sera ces prochaines années un tzigane du pouvoir. Il reproche à Jacques Chirac de ne lui avoir jamais organisé une visite d’Etat en 7 ans, de n’être jamais venu l’accueillir à l’aéroport Charles de Gaulle. Mais c’est à son honneur personnel. C’est un français comme les autres. Tout le temps qu’il passera en France pendant ces prochaines années, son fils Karim fera connaissance avec la « Maison Sénégal ». Jusqu’au jour où il s’en emparera.
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