« La survie n’existe que si l’on est conquérant.
Toute situation défensive est perdue.
C’est un principe que j’applique chaque matin »
François Mitterrand
Ne croyez pas, alors pas un seul instant, que maître Wade s’est senti gêné de n’avoir pas tenu promesse. Juste un petit trait de ride sur le visage et c’est tout. De toutes les façons, il nous avait promis le tramway, avec la hargne d’un ancien combattant, avant la fin 2006. Deux jours avant, le gouvernement annonçait la réfection de l’aéroport Sédar Senghor. Il y a trois ans, il promettait d’y ériger une cité des Affaires, et de faire décoller les premiers avions de l’aéroport « Blaise Diagne de Diass en 2006 ». Ca aurait changé quoi, une promesse de plus ? Pas un kilo Wade.
La preuve, au moment où on avait les yeux braqués sur le compteur, il se faisait candidat, tous projecteurs allumés, dans le très haut Méridien « Président ».
Et puisque la croyance aux promesses est, somme toute, une affaire de foi, il est allé renforcer la sienne à la Mecque. Ce sont là ses deux priorités. Se faire réélire président et bénéficier, une fois parti, des fastes du paradis de Dieu. Si la clé du paradis se donnait par le nombre de visites en ces lieux saints, la sienne, croyez-moi, serait déjà moulée en or massif.
Dimanche 15 octobre, le « capo » (chef) s’est livré à son activité favorite, les bureaux politiques transformés en congrès. En janvier 2000, c’est un Bureau politique transformé en congrès qui avait aussi entériné une candidature que tout le monde savait acquise. C’est une façon d’éviter les débats inutiles. Et comme cela se fait dans la pure tradition de la causa nostra, les picciotto se sont auto flagellés à coups de « vous êtes un visionnaire », « vous êtes un homme extraordinaire ». Ils seraient capables de diviniser un crocodile, ces braques. Et on imagine la réponse du chef, heureux de survivre à tous les traquenards qui ont jalonnés sa longue vie caïd de la politique : « vous n’êtes pas si mauvais bougres que ça, très chers. D’ailleurs, on n’a pas besoin d’avoir été à l’école pour être ministre. Pour vous le prouver, je nomme Awa Diop ministre délégué ».
-Délégué à quoi ?
-Délégué auprès du Premier ministre.
Et la messe est dite, calice.
Le spectacle n’est pas drôle, il est triste. C’est la dernière expression du Wadisme, dans ce qu’il a de plus caricatural. Il n’y en aura pas d’autre, heureusement ou malheureusement. Wade ne se doute d’ailleurs pas que tous ceux qui se sont rendus au Méridien Président étaient en « visite médicale ». Chaque poignée de main est un stéthoscope posé sur lui. Ils scrutent, depuis maintenant une année, tous les signes extérieurs de faiblesse, pour savoir s’il faut partir pendant qu’il est encore temps, ou s’il faut attendre. Evidemment, ce n’est pas une faute de se battre pour sa survie politique. Les vivants n’aiment pas se faire enterrer, tant qu’ils ont le cœur qui bat, et c’est normal. C’est un réflexe de conservation. Ce serait d’ailleurs une erreur de prendre cet homme pour mort. Il a montré, en plusieurs occasions, qu’il est bien vivant et entend rester au pouvoir par tous les moyens, même « grabataire ». C’est une phrase de ce genre, qui a perdu Lionel Jospin en 2002, quand il a confié à des journalistes qu’il trouvait Chirac « usé et vieilli ».
Ce qui est inacceptable, c’est l’état dans lequel il veut nous laisser notre jeune démocratie. Les députés vont supprimer le quart bloquant, augmenter le nombre de députés, ramener le Sénat, et, il n’y a plus aucun doute là-dessus, supprimer le second tour. Si tout cela ne le rassurait pas, il ne sera jamais trop tard pour reporter les élections « à une année ultérieure ». Après ces singeries lamentables, son ministre de l’Intérieur va dire au monde entier « regardez, nous avons même mis le fichier électoral sur Internet, pour vous dire à quel point nous sommes de bonne foi ». Mais le plus abject, c’est ce « brejnevisme » qui ne dit pas son nom. Après l’interdiction des brûlots qui le vilipendent (sauf évidemment ceux qui chantent son épopée), Me Wade vient de faire voter une loi qui interdit toute sortie de document du territoire national. C’est une mesure dont nous ne mesurons pas la portée et la gravité, mais nous en serons bientôt les victimes. Même pour voyager avec un papier journal, il faut maintenant une autorisation de la direction des archives. C’est tout autant grave et inacceptable, que l’opposition ait ignoré ou fait le silence sur cette loi scélérate. Petit à petit, sans qu’on s’en indigne vraiment, il est en train de dépouiller notre démocratie pour la laisser en string. Il lui manquera à lui juste une perruque et des hauts talons pour se transformer en Louis XIV.
On ne peut pas reprocher à tous les fanfarons qui arpentent infatigablement les couloirs de la République, ceux qui lui disent oui avant qu’il ne le sollicite, de nous transformer en benêts consommateurs de Waderies. Comme on ne peut pas reprocher à Djibo Kâ, à Iba Der Thiam ou à Babacar Diagne ou Gaye, c’est comme vous voulez, de faire ce pour quoi ils sont employés. C’est Wade qui a été élu le 19 mars 2000. C’est lui qui a décidé, une fois bien assis, d’obliger tout un pays à respirer comme il respire, à « panser » comme il « panse ». Notre Constitution est devenue, au fil des ans, une prose grotesque qu’il va bientôt enterrer au « caterpilar ». On se rappellera, bien après les funérailles, que sur cette terre appelée Sénégal, vivaient des gens intelligents, convaincus que le vol et le mensonge étaient de mauvaises choses.
Le mépris et la haine sont le fumier de la politique. Mais c’est un code d’entente tacite qui permet sa pratique. Il repose sur un système minimal de dialogue, quelques principes commandés par le bon sens. C’est ce bon sens que Wade a perdu. Il ne s’est pas rendu compte que depuis six, et bientôt sept ans, il n’est plus candidat d’un parti, mais président d’une République. Depuis son élection, Wade applique la théorie de la crise permanente avec une cruauté jamais égalée. Ceux qui l’y aident, ce sont tous ceux qui pensent que tant qu’il forme de nouveaux gouvernements, tant qu’il chasse des hommes, ils ont des chances d’être de la partie. Il a légitimé à sa façon toutes les attaques, toutes les manipulations, toutes les calomnies, toutes les insultes, toutes les exclusions. Il n’y a que lui, pour mettre dans son avion, en partance pour la Mecque, un ancien directeur de société qui traite son Premier ministre, dont il venait pourtant de saluer la compétence «d’incompétent et de « complexé ». Tout cela pour le ridiculiser, l’affaiblir, et mieux l’asservir.
Macky Sall n’est certainement pas un saint. Il porte à son actif la plupart des coups tordus, menés avec la presse prosternée du palais. Il aime se mettre à quatre pattes, mais c’est un « gentil », un homme de salon, en costume cravate. Il ne connaît pas le chemin de la cuisine. Là-bas, on monte les coups entre deux gorgées de rouge, en s’essuyant la bouche avec la manche de chemise, même quand le maître est là. C’est ce qui renforce leur pacte viril, passé « d’homme à homme ». Si la République était à vendre, ils l’achèteraient cash.
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