[Chronique] Rendons grâce à Di-eau !

« Les grands hommes sont soucieux  
d’éthique, les petits d’étiquette » 
Claude FRISONI

On nous jurait que retranché  dans sa suite royale du Lac Leman, Abdoulaye Wade avait la tête penchée sur les problèmes de son pays. On nous disait qu’enseveli dans les dossiers brûlants de l’hivernage, il avait trouvé réponse à toutes nos récriminations. Nous l’attendions avec nos questions, il est passé avec ses réponses toutes faites. Nous voulions des solutions à notre économie dévastée, il en avait pour le monde capitaliste. Quand les populations de la banlieue l’attendaient pour lui rendre compte de leur malheur, il avait déjà le cockpit orienté vers Bissau. Nous attendions une réponse à la question casamançaise, mais c’est mal connaître Abdoulaye Wade. Le Sénégal est un sujet bien trop petit pour occuper ses pensées. Ses deux ouvrages, qui n’ont pas attendu plus d’un mois aux portes de son esprit fugace, traiteront, l’un de crise mondiale, l’autre sur le panafricanisme, ses deux sujets de prédilection. En deux ans, voilà quatre livres publiés par la seule et même intelligence supérieure, pour illuminer le monde. Pour ce qui est des questions internationales, la vélocité mentale de cet homme hors du commun ne se dément jamais. Des mathématiques financières au droit des peuples, de Wall Street à Faluja, le savant de Kébémer est sur tous les registres. Mais dès qu’il s’agit des problèmes de son propre pays, son esprit tombe en panne. Il n’est pas venu pour nous, il est venu pour le monde. Quand il s’agit de jouir de son bonheur, Abdoulaye Wade est seul dans son monde. Quand vient le moment de compatir à notre malheur, le Dieu de Kébémer monte au ciel. Comme a bien dit un de ses conseillers qui l’accompagnent pendant ses voyages nocturnes, « la colère, c’est comme l’hivernage. Ca va et ça revient ». Dieu nous a donné les eaux et les inondations. Nous devons les supporter comme lui, Abdoulaye Wade, supporte les limousines, les suites royales et les palais cossus. Son remède miracle est de toujours leur promettre un paradis qu’ils ne verront jamais. Quand on transpose son discours actuel sur celui de l’année dernière, l’on se rend compte que l’âge n’a en rien altéré la mégalomanie du « chef de l’Etat. Les mêmes engagements, les mêmes promesses démagogiques. Nous sommes toutefois bien loin des productions record de 500 000 tonnes de riz, deux millions de tonnes de maïs, trois millions de tonnes de manioc, et plus de deux millions de tonnes de mil de l’année dernière. L’autosuffisance alimentaire n’a pas été atteinte, elle a été éteinte.  
Son assistance, composée de gens revenus de leurs grandes illusions, en était foudroyée. Le pays entier était au bord de la révolte, et voilà que son chef déclare que tout va bien; qu’en neuf ans, il a augmenté la production d’électricité du Sénégal de 380%, soit près de quatre fois la production d’avant alternance. Si nous ne voyons pas ces résultats améliorer notre vécu, c’est que nous faisons trop d’enfants. Et pour cela, il convoque des chiffres de 1914 ! Nous étions deux millions dans ce petit territoire français d’Afrique de l’Ouest. Il s’est gardé de le dire en français, pour ne pas réveiller les mauvais esprits. Proférer de telles grossièretés à un moment aussi grave de dangers est d’un courage épatant, pour un homme de son âge. Et quand les populations se plaignent des inondations et des coupures d’électricité qui paralysent le pays, le père de Karim Wadoff descend du ciel avec ses centaines de milliards. Dakar et sa banlieue ont des problèmes, il annonce des projets américains pour Matam et la Casamance. C’est cela la bonne nouvelle qui attendait, au milieu de ses papyrus. Sa famille insiste maintenant qu’il ne les quitte jamais des yeux, de peur de nous sortir des surprises.  
Vous avez des problèmes d’inondations et d’approvisionnement en fuel, consolez-vous. Les Etats-Unis vont financer des routes et des marchés en Casamance et dans la région du fleuve. J’ai vu Abdoulaye Wade pester contre la dette à plusieurs reprises. Je me rappelle d’un dîner au Kenya, en 2002, au cours duquel il comparait ce « fléau » au Sida, causant l’hilarité dans la salle. Son dictionnaire intérieur n’avait pas trouvé la bonne traduction du mot en anglais et au bout de cinq minutes d’efforts intenses, il avait fini par dire « flow » pour traduire « fléau ». Le voir remercier « Allah » de nous apporter l’aide américaine avec autant de conviction m’en bouche un coin. Il se félicite d’être le plus aidé, après le Maroc. Je suis sidéré de voir ses conseillers le laisser proférer de telles faussetés. Le Ghana a bénéficié de 547 millions de dollars, soit sept millions de plus que le Sénégal, qui a obtenu 540 millions, bien en deçà de ses premières prétentions. Dire que nous avons obtenu le plus important financement après le Maroc est un mensonge inutile. Le Millenium Challenge Account, qu’il qualifiait d’éléphant blanc quand les Américains ont rejeté ses projets douteux, est maintenant le passeport qui mène au paradis. Allah aurait laissé tomber la bonne nouvelle à sa descente d’avion. Quel est le mérite de cet esprit nomade ? Aucun ! Nous attendions ses solutions, il nous présente celles des américains. S’il est sincère, Abdoulaye Wade devrait plutôt s’excuser de nous avoir fait perdre inutilement deux années, et d’avoir ainsi privé les régions du Nord et du Sud d’investissements importants. Il voulait ces milliards pour les comptabiliser parmi les réalisations de l’Anoci, et les responsables du MCC avaient bien raison de dire non. Sans jamais se décourager, le président de la République a encore confié la Coopération internationale à son fils, pensant que les financements du MCA lui reviendraient de fait.  
Si la finalisation de cet accord a tardé, c’est qu’Abdoulaye Wade insistait pour qu’il soit signé par son fils, du fait de ses nouvelles attributions. Mme Madolyn Philips, qui s’occupe du Sénégal, a donné son accord depuis le 2 avril 2009. Les termes de l’accord ont été signifiés à Cheikh Tidiane Gadio lors de sa visite au Département d’Etat, le 16 juin dernier.Remercions Hilarry Clinton, encore une fois, d’avoir dit non à cette effronterie. Le 16 septembre prochain, l’accord de financement sera signé par le ministre des Finances Abdoulaye Diop et le Directeur général du MCC, Darius Vans. Abdoulaye Wade voulait, pour cette cérémonie solennelle, la présence du Président Barack Obama, figurez-vous! C’est à peine si les responsables de la Maison Blanche lui ont accordé une attention à sa supplique. Il devra se contenter de faire de la figuration aux côtés de Hillary Clinton lors de la signature de cet accord. Il serait injuste que Karim Wade apparaisse sur les photos. Il avait, contre le projet des Etats-Unis qui ne coûtait rien au contribuable, défendu l’idée d’une  Zone économique spéciale résultant d’investissements privés arabes. Nous devions, en contrepartie, céder toutes les terres de Diamniadio aux arabes et leur donner offrir une partie de l’île de Gorée. Dans le plus grand silence, une loi avait été votée dans ce sens le 6 février 2007. Toute honte bue, il entendait être le père de ce nouvel accord avec les Etats-Unis.  
Ce qui se révèle à nous de plus inquiétant, contre l’avis de tous ceux qui veulent tempérer les méfaits du wadisme dégénérant, c’est que rien ne fera revenir cet homme. Il hante notre présent, mais il appartient déjà à notre passé. 

SJD