Sans doute, les contempteurs de ceux qu’on appelle communément les politiciens n’ont-ils pas tout à fait tort, si on considère les voltiges, les volte-face, les reniements et le peu de cas que nombre d’entre eux font de leurs engagements. L’infecte gouvernance de Me Wade a surtout largement contribué à décrédibiliser la classe politique. Pour autant, faut-il la vouer carrément aux gémonies et l’éradiquer purement et simplement ? Si toutefois ce devait être le cas, l’éradication ne devrait quand même pas se décréter du jour au lendemain, comme par enchantement ! Qui en déciderait ?
Je ne connais pas un tel exemple dans tout le monde démocratique. Dans ces pays, en Amérique du Nord, en Europe occidentale comme au Japon, l’accès au pouvoir est pratiquement impossible en dehors de ce qu’on appelle les appareils politiques. Cela ne signifie pas que j’ai une fixation sur la classe politique et que je ferme les yeux sur ses tares et ses insuffisances. Elle en a sûrement et il faut le regretter. Cependant, elle a aussi ses mérites, si maigres soient-ils. C’est elle qui a combattu pendant de longues années le régime socialiste et qui a fini par le défaire, en s’appuyant bien sûr le vote du peuple. C’est elle encore qui s’oppose aujourd’hui, même timidement (selon certains) à la monstrueuse gouvernance libérale. Les hommes et les femmes neufs et vierges qu’on nous propose aujourd’hui se sont signalés au contraire, pour l’essentiel, par leur indifférence à la chose politique, préférant gérer tranquillement et prudemment leur somptueuse carrière, au Sénégal comme dans les institutions internationales. On nous les sort aujourd’hui comme de beaux diables de leurs boîtes pour nous dire : « Voilà les hommes et les femmes qu’il nous faut ! » N’est-ce vraiment pas trop facile ?
Je ne crois pas du tout aux messies. Ces hommes et ces femmes ne nous tombent pas d’une autre planète : ce sont, comme nous, des Sénégalaises et des Sénégalais en chair et en os, avec nos défauts et nos qualités. Il y a surtout que les Wade nous laisseront un pays dans un état de délabrement tel qu’il faudra des hommes et des femmes à l’expérience bien trempée pour sa reconstruction. Des hommes et des femmes immédiatement fonctionnels, et qui n’auront pas besoin de se chercher. Je ne souhaite surtout pas qu’on fasse prendre des risques inutiles à notre pays qui a déjà trop souffert des forfaits de la nauséabonde gouvernance bleue. Il n’est pas question de rater l’échéance de février 2012. La réélection de Me Wade ou l’élection de son fils ou de quelqu’un qui lui ressemble seulement est une catastrophe nationale.
Nous n’avons pas encore la culture du candidat indépendant. Me Mamadou Lo s’était présenté à l’élection présidentielle de février 1983. C’est un homme sérieux, compétent et crédible. Pourtant son score n’avait même pas atteint 1% des suffrages exprimés. On pouvait aussi donner l’exemple de Me Mame Adama Guèye, doté de qualités remarquables. Candidat à l’élection présidentielle de février 2007, il s’était retrouvé avec un résultat dérisoire. De même, aux élections locales du 22 mars 2009, la liste de l’énarque et économiste Moubarack Lo (Louga), n’a pas pesé très lourd devant celle de Benno Siggil Senegaal (Bss) dirigée par Aminata Mbengue Ndiaye. L’homme dispose pourtant de suffisamment d’atouts pour faire un bon maire.
En particulier, je ne connais aucun candidat qui nous vient de la diaspora, et qui soit capable de faire 2 %, à court terme tout au moins.
Les jeunes qu’on voudrait coûte que coûte propulser ont aussi leurs limites objectives. Je n’en connais pas un seul qui, en dehors des appareils politiques, est capable de nous débarrasser de Me Wade. Le nom de Cheikh Bamba Dièye est souvent agité. J’ai entendu même des Libéraux, de plus en plus nombreux, déclarer dans la presse, qu’il doit être promu à la place des vieux ou de ceux qu’ils appellent comme tels. J’espère qu’il ne se laissera pas abuser par ses oiseaux de mauvais augure qui se soucient plus de l’éclatement Benno que de la promotion du jeune leader. Ce garçon qui a toute mon estime – et il le sait – et fait presque l’unanimité, n’est pas encore suffisamment outillé pour faire face à la machine libérale. Seul, ou même soutenu par quelque autre parti politique ou des franges de la société civile. Je ne le vois pas à un second tour devant les « apparatchiks » des autres partis politiques. Il ferait, par contre, un excellent candidat en 2019. Il aurait cinquante ans ou un peu plus et ferait entre temps un solide apprentissage à la tête de la marie de Saint-Louis et peut-être – je le souhaite vivement – comme ministre dans un gouvernement élargi conduit par Benno. Ce scénario est valable pour quelques deux ou trois autres « loups aux dents longues ».
Je ne crois pas, non plus, à cette élection pour une période transitoire de 12 à 18 mois, pour mettre en place des institutions et préparer des élections générales. Le temps presse pour le pays et nous en connaissons suffisamment le mal. Allons droit au bout, en mettant en place, dès 2012, un projet national et une équipe susceptibles de remettre rapidement le pays sur les rails ! Nous disposons de 27 mois pour nous y préparer. Si nous sommes vraiment mus par le seul intérêt supérieur du Sénégal, nous devrions y arriver sans grands encombres et nous mettre au travail dès le lendemain de l’élection présidentielle de 2012. Le pays a mal, très mal et a déjà perdu suffisamment de temps, trop de temps.
Puisque donc les supputations et les rumeurs les plus folles vont bon train, j’ai le droit de faire état de ma propre vision des choses, même si je suis persuadé, d’ores et déjà, qu’elle ne sera pas partagée par tout le monde. Elle fera même, sûrement, l’objet de franches hostilités. J’y crois malgré tout, fermement.
Le scrutin de 2012 est crucial. Tout l’avenir de notre pays s’y joue. Nous devons mettre tout en œuvre pour le gagner et débarrasser notre pauvre pays de la vermine libérale. Benno devrait pouvoir nous aider à y parvenir. C’est, du moins, mon humble point de vue. Ce n’est évidemment pas du jour au lendemain qu’elle y arrivera, comme à l’aide d’une baguette magique. Elle devra s’atteler, pour le temps qui nous sépare de cette échéance cruciale, à réaliser d’importants préalables, dont le plus important c’est d’abord, incontestablement, l’élaboration d’un projet national de programme, qui inclut une constitution. Ce projet a la matière toute trouvée : il sera calqué rigoureusement sur les conclusions des Assises nationales et principalement la Charte de gouvernance démocratique. La future constitution sera particulièrement verrouillée : elle ne devrait laisser la porte ouverte à aucune dérive, à aucun pouvoir personnel. Benno réfléchira ensuite sur l’équipe qui devra mettre en œuvre le programme, plus exactement sur le profil des hommes et des femmes qui la composeront. Ce profil devrait être le meilleur possible au Sénégal. Il ne devrait plus être possible de propulser à la fonction ministérielle un quidam sorti de nulle part et qui n’a jamais travaillé, n’a jamais traité de sa vie un seul dossier administratif.
Vingt à vingt cinq ministres suffiront pour former ce gouvernement. Peut-être même seulement vingt. Un gouvernement restreint et largement ouvert à la société civile (active). L’ancienneté dans le parti, la proximité avec le chef de ce parti ou le degré d’implication dans la préparation du processus électoral ne devraient plus être déterminants dans le choix d’un ministre ou d’un haut fonctionnaire.
Une fois le projet (de programme et de constitution) et le profil de l’équipe gouvernementale élaborés, Benno se penchera sur la lancinante question de la candidature unique. Oui, de la candidature unique qui me semble incontournable si nous voulons nous débarrasser des Wade en 2012. Elle l’est à plusieurs égards. C’est le souhait le plus partagé de l’opinion publique. Combien de fois nous interpelle-t-on pour nous rappeler que c’est la seule voie de salut ? « Si vous y allez dans l’unité, nous votons pour vous et en masse ; si vous dispersez vos efforts dans des candidatures plurielles, ce sera la preuve que vous êtes mus par un autre intérêt que celui du pays et nous en tirerons les conséquences ». C’est ce qu’on nous lance à la figure dans tous les coins de rue.
Le net pullule de sondages dont les résultats sont sans équivoque : plus de 80 % des sondés se prononcent pour la candidature unique. Ces sondages n’ont rien de scientifique, me rétorquera-t-on. Sans doute. Cependant, ils donnent une certaine orientation. Il y a aussi que, la Constitution étant faite pour être tripatouillée – pour paraphraser le Garde des Sceaux Ministre de la Justice – le politicien Me Wade sera prêt à tout moment pour la modifier et imposer un scrutin présidentiel à un tour. Avec ses godillots de la Place Soweto, ce sera pour lui une promenade de santé. Son camp clame haut et fort que Benno n’arrivera jamais à une candidature unique, les contradictions opposant les deux principaux responsables de la coalition étant insurmontables. Que pèsent vraiment celles-ci, devant les enjeux que constitue pour le pays le scrutin de 2012 ? Je crois, pour ce qui me concerne que, jusqu’à preuve du contraire, les deux responsables en question et leurs camps feront suffisamment montre de bon sens, de réalisme et de sens aigu des responsabilités. Ils devraient être en mesure, devant l’importance des enjeux, de dépasser leurs vaines querelles de clocher et de sacrifier leurs intérêts particuliers aux seuls intérêts qui vaillent : ceux du Sénégal. Je crois surtout qu’ils ne sont pas prêts au suicide collectif.
En tout cas, toutes les bonnes volontés devraient pousser Benno à maintenir le cap qui a permis les résultats éclatants du 22 mars 2009. A cet égard, le directoire des Assises nationales est très attendu. L’avenir des conclusions desdites Assises est étroitement lié à l’issue du scrutin de 2012. Son directoire est donc concerné et devrait s’impliquer fortement dans la stratégie que Benno sera appelé à mettre en oeuvre. Et le plus tôt sera le mieux.
La réalisation des préalables qui viennent d’être passés en revue est importante ; elle est certes nécessaire, mais elle n’est pas suffisante. Chat échaudé craint l’eau froide. Les wolofs diraient « ku ndòbin rey sa maam, boo sèenèe lu ñul daw ba fattu ». J’entends déjà des gens me lancer à la figure, avec ironie : « Me Wade n’avait-il pas présenté un programme avant le 19 mars 2000 ? N’avait-il pas fait mille engagements ? Et alors, que sont devenus ces engagements ? » Et ils auraient tout à fait raison. Je leur répondrai d’emblée qu’un autre Wade n’est plus possible. Il est ?inclonable?, pour paraphraser le président de la Cellule Initiatives et Stratégies (Cis) du Pds, Serigne Babacar Diop. Dieu a sûrement supprimé la formule avec laquelle il l’avait créé. Le peuple restera malgré tout sceptique, et il convient de le rassurer. Dans cette perspective, je pense à la mise en place d’une sorte d’observatoire pour l’éthique et la bonne gouvernance, qu’on pourrait appeler un Jury d’honneur citoyen. Ce Jury serait composé de cinq à dix membres, choisis parmi les Sénégalaises et les Sénégalais des plus crédibles, des plus respectables et des plus désintéressés. Il aurait des pouvoirs importants, qui seraient déjà définis dans le projet de constitution. Il serait naturellement présidé par le Pr Amadou Mahtar Mbow. Le candidat désigné par consensus passerait devant le Jury, avec en bandoulière la Charte de Gouvernance démocratique, le projet de programme (et de constitution) et entouré des membres de sa famille et des principaux responsables de Benno. Ce serait au cours d’une cérémonie aussi solennelle que celles du 1er juin 2008 et du 24 mai 2009. Cette cérémonie serait largement ouverte au public et, au besoin, transmise en directe par une télévision privée. En particulier, les partenaires au développement y seraient conviés. Le candidat jurerait sur l’honneur – le mieux serait d’ailleurs sur le Coran ou sur la Bible – qu’il s’emploierait à appliquer les conclusions des Assises nationales et à respecter rigoureusement les engagements souscrits dans le projet de programme. Le Jury prendrait acte et s’engagerait, lui aussi, à tout mettre en œuvre pour s’acquitter avec rigueur de la mission qui lui est confiée.
Voilà ma vision des choses, qui ne sera sûrement pas partagée par tout le monde, comme je l’ai indiqué plus haut. Surtout pas par nos « amis » de l’autre côté de la barrière. Ils ont eu déjà, en maintes occasions, à nous traiter (moi-même, Abdou Latif Coulibaly, Abdou Aziz Diop et les autres) de « restaurateurs » et de « transhumants à rebours ». Ils nous reprochent de vouloir faire revenir le Parti socialiste. Je ne me fais aucun complexe à contribuer à faire revenir le Ps dans la coalition Benno. Les Socialistes ont eu sûrement à commettre des fautes, parfois de très lourdes, et ils font encore peur, il convient de le reconnaître. En tous les cas, ils ont été sanctionnés. Pour autant, doit-on les condamner irrémédiablement dans l’opposition ? Et puis, si le Pds que nous connaissons si bien est au pouvoir, le Ps peut quand même y revenir ! En matière de mauvaise gestion, les Socialistes sont des enfants de chœur devant les Libéraux. Enfin, comment peut-on cohabiter au quotidien avec un serpent à sonnette et craindre à ce point une vipère ?
Les Wade ont fait suffisamment de dégâts, trop de dégâts. Ils ont fini de mettre le pays en sens dessus dessous. Le temps est venu de les chasser du pouvoir, eux et tous ceux qui leur ressemblent. C’est là un objectif noble et impératif, que nous n’avons pas le droit de rater. A cet égard, Benno a une lourde responsabilité devant les Sénégalaises et les Sénégalais. Ses principaux leaders causeraient un énorme préjudice au pays et signeraient eux-mêmes leur perte, s’ils n’arrivaient pas à dépasser leurs broutilles et se présentaient à l’élection présidentielle de 2012 en ordre dispersé.
MODY NIANG, e-mail : [email protected]
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