Le solennel message à la Nation du 31 Décembre 2005 n'y a pas suffi ; il a fallu également le vendredi 13, jour de chance, lorsque, revenu du pèlerinage à La Mecque et illuminé par Dieu, Me Wade remette l'antienne, avant de se fendre d'une lettre à l'opposition, toujours avec le même objectif : appeler au dialogue.
Diouf, dès le premier jour, Wade au bout de trois ans de tâtonnements et d'errements : qu'est-ce qu'ils ont en commun, ces présidents prétendus majoritaires, à chercher une ouverture aux autres ? Au-delà de l'impasse politique, une opinion nationale très critique qui donne l'impression de s'être trompée sur le choix des hommes au sommet de l'Etat.
Par Pathé MBODJE,
Journaliste, sociologue
De manière itérative depuis 2003, Me Wade appelle à l'union autour de la densité morale (majorité d'idées d'avril 2003), au don de soi par un engagement patriotique et républicain pour une participation aux décisions majeures (Message à la Nation du 31 décembre 2003) ou, plus prosaïquement, à une gestion ouverte par une majorité plurielle. Sa porte est encore restée ouverte le 31 décembre 2005, après la rencontre du 07 septembre 2005 à l'issue de laquelle il est parvenu à pourfendre partiellement l'opposition significative réunie autour de la Conférence des chefs de parti et de coalition (Cpc), du G 10, de Ld et les autres.
Celle-ci ne s’en remettra jamais, comme elle en donnera le spectacle avec la mobilisation avortée sur Paris en mai dernier, pour protester contre la remise du Prix Houphouët-Boigny pour la Paix, ou en juin, avec la valse-hésitation de l’opposition réunie autour de la Coalition populaire pour l’Alternative, variante du Cpc, après la prorogation du mandat des députés le 30 juin.
Avec l'audience accordée à Moustapha Niass de l'Alliance des Forces de Progrès (Afp) cinq jours avant la rencontre avec toute l'opposition programmée de longue date, un ange est passé, qui ne dissipera pas les nuages d'incompréhension entre l'ex-premier Premier ministre de Wade (2000-2001) et ses "camarades" de l'opposition, malgré les assurances conséquentes au lendemain de l'entretien, et subséquentes, après le 31 décembre (1).
L'appel du chœur des lamantins dans les différents sermons de la Tabaski, le 11 janvier 2006, semble cependant prouver la volonté de Me Wade d'aller au-delà des écueils qui pourraient surgir de faucons décidés à empêcher tout dialogue national avec les autres : tous les imams ont en effet, dans leurs différents prêches, demandé et prié pour un dialogue sans exclusive autour des grands problèmes qui secouent actuellement le Sénégal.
Les doutes subsistent cependant. Ainsi de ce curieux cadeau de Nouvel An des Onze à Ousmane Tanor Dieng (OTD), pour ce qui est du Parti socialiste, avec cet étonnant courant renfermant uniquement les barons du parti (2) ; il apparaît dès lors du pain béni pour le président de la République : ses appels d'air fréquents se diluent dans des tentatives de déstabilisation des partis les plus significatifs (Ps et Afp principalement, notamment avec l’affaire Me Babou), au point que tout le monde croit déceler sa main derrière tous les coups fourrés, et pas seulement politiques. Qu'importe alors s'il donne la fausse impression d'être obligé d'appeler à l'ouverture, face à l'implosion politique qui le menace de l'intérieur, dans le gouvernement comme dans sa propre formation politique (3) apparemment en mal de repères depuis la tragédie du bateau "Le Joola", le 26 septembre 2002, et les différents remaniements-reniements ultérieurs. La persistance des crises sera telle que le directeur général du « Soleil » prendra sa belle plume pour permettre à Me Wade de trouver des opposants (4).
Le procédé n'est pas nouveau : le regretté Babacar Sané d'une Ligue démocratique/Mouvement pour le parti du travail (Ld/Mpt) pure et dure relevait en effet la tendance à l'équilibrisme des dirigeants. "Abdou Diouf clignote à gauche mais vire toujours à droite", affirmait-il, malicieux, les sourcils en accent circonflexe au-dessus d'yeux bridés perpétuellement rieurs.
Abdou Diouf ? C'est le second président de la République du Sénégal qu'on cherche coûte que coûte à étouffer et à sortir de la mémoire des Sénégalais. Il est actuellement secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie (Oif) depuis le Premier janvier 2003 et déclarait, d'une voix blanche et chevrotante, le Premier janvier 1981 : "Je relève dès aujourd'hui les défis de demain et tends la main à tous". Il lui faudra dix ans pour parvenir à mettre sur pied un gouvernement de majorité présidentielle élargie (Gmpe), après l'échec de la tentative de 1984 avec le mémorable sermon de la tabaski (encore !) du vénéré et regretté El Hadji Abdou Aziz Sy Dabakh, et l'autre essai de 1988 quand Wade, élargi de prison et reçu au Palais, à la grande surprise de l'opposition, avait appelé à une table ronde pour discuter de Tout (avec un T majuscule, comme il avait dit lui-même sur le perron de Diouf). Diouf et Wade ont ceci en commun que leurs différents appels se situent au lendemain de crises plus ou moins aiguës et qu'ils cherchent à desserrer l'étau.
Rejeté par les barons et très peu en odeur de sainteté auprès de ses camarades (l'histoire se répète avec Tanor depuis le début de cette année avec le courant "Démocratie et Solidarité"), Diouf avait senti très tôt la nécessité de reposer sur un socle plus fort et plus sûr que sa seule formation politique sclérosée par trente ans d'exercice du pouvoir en solitaire. Le Parti socialiste avait flairé le danger et s'amusera dès lors à tenir l'équilibre électoral entre lui-même et son président et même à le coincer lors des élections, en particulier en 83 et en 88, par une fraude massive évidente.
1983 marque d'ailleurs le tournant pour un président héritier d'un cadeau empoisonné qui a raté le coche parce que, élu par un article de la Constitution (37), il ne saura pas s'imposer à un parti alors qu'il avait un blanc seing social évident. Abdou Diouf au pouvoir, c'était en effet le délire social, surtout lorsqu'en 83 le Sénégal se rendra compte qu'il a été dirigé pendant 20 ans par un Français de souche, immortalisé par l'Académie française. Mais avant : "(...) Abdou Diouf (...) campe (...) un personnage qui relève à la fois du mythe et de la légende. Nous sommes ici à la rencontre du "Graal", âme et conscience d'une collectivité longtemps en errance, à la recherche de soi...et qui subitement l'a trouvé.
De la traite des Noirs à la colonisation pure et simple, de l'indépendance à la néo-colonisation, le sentiment est demeuré confusément, dans le subconscient collectif, d'une sorte de frustration qui n'avait pas, qui n'a pas été réparée. Abdou Diouf sonne-t-il, pour nous, Sénégalais, l'heure du réveil et de la réconciliation ? Sommes-nous, grâce à lui, face à nous-mêmes et maîtres de notre destin ?" (5). Nous étions loin du Diouf qui a "élevé l'ingratitude au rang de forfaiture", selon le même Bara Diouf, avec, il est vrai, un intervalle temps de vingt-deux ans (6).
Mutatis mutandis, le même Bara Diouf peut reprendre les mêmes termes aujourd’hui, en remplaçant Massamba par Mademba ; car le président de la République Abdoulaye Wade est dans la même logique : démesurément grossi par la rumeur publique, il a suscité, par sa politique spectacle de l’opposant historique et charismatique, plus d’espoir qu’il ne peut en donner, d’autant que, paradoxalement, par ses nombreuses bravades, il avait fini par affaiblir l’image du chef et relativisé la réification de l’ordre social ; surtout que, devenu président de la République, il a introduit l’anarchie dans une société qui venait de contester l’autorité suprême. Le droit à la marche et à la protestation introduit dans la Loi fondamentale donnera du fil à retordre aux nouvelles autorités, au sein de populations qui se croyaient désormais libérées de leurs angoisses et de leurs terreurs. Retournées dans une enfance de Mai 68, elles se disaient qu’il désormais interdit d’interdire. La pauvre Mame Madior Boye aura toutes les peines du monde à chercher à en atténuer les effets sociaux, surtout au lendemain de la tragédie du « Joola ».
Le funambulisme politique auquel se livre le président de la République avec ses réajustements continus se heurte depuis le 31 janvier 2001 aux affaires, aux intempéries et à la guerre interne au Parti démocratique sénégalais : des besogneux ayant trimé pendant près de trente ans dans l'opposition en Afrique ne comprennent pas que des militants de la vingt-cinquième heure viennent leur souffler leur part du gâteau. Ils saperont l'autorité du vieux chef en contestant de plus en plus ouvertement ses décisions. Ainsi par exemple, ceux qui combattront le Parti démocratique sénégalais (Pds) jusqu’au 19 mars 2000 à 20 heures peuvent aujourd’hui faire mettre en prison un Pape Diouf de Bambey, en mai 2006, victime, sous l’ancien régime, d’ostracisme à cause de sa fidélité à Me Wade de l’opposition. Ces 5èmes colonnes qui ont encadré le chef de l’Etat font croire que Me Wade veut aller au-delà du Pds s’il veut se maintenir après 2007 et organiser le sommet de l’Organisation de la Conférence islamique (Oci).
Faut-il alors s’étonner qu’aucune des invites de Me Wade ne se traduise par une quelconque réalité, sauf à mieux diviser ou à affaiblir l'opposition quand le vieux nègre et sa médaille est gêné aux entournures ? Seuls les politiciens eux-mêmes s'épanchent autour de l'idée, moins en elle-même et pour elle-même que par rapport aux humeurs et intérêts du moment.
Ainsi par exemple de la position ambiguë de Moustapha Niass présenté comme le faiseur de troubles dans la tactique de Wade d’en faire à la fois le bouclier le plus solide et le maillon le plus faible dans ses relations avec l’opposition significative ; malgré les démentis (7), le problème du Sénat, dont le projet a été adopté le 13 mars 2006 en conseil des ministres, nourrit encore des rêves sur la réalité et l’ardeur oppositionnelles du leader de l’Afp.
Diouf, face à l'impatience de l'électorat de le voir se débarrasser du Ps, avait adopté la prudence du joueur de dames ou d’échec : un certain pragmatisme l’avait poussé à ne pas scier la branche sur laquelle il est assis. Me Wade n’a pas la même latitude : ayant liquidé tous ses anciens, il ne rassure plus, ni à gauche ni à droite.
Orientations bibliographiques
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(1) Un deal Niass-Wade est souvent évoqué, en particulier pour le poste de vice-président. Cf. à ce sujet Souleymane Jules Diop, le 30 octobre 2005, L'Observateur n° 588 du 02 septembre 2005, pages 2 et 4. Voir également le point 7.
(2) Le courant "Démocratie et solidarité" du 04 janvier 2006 au Ps : Le Populaire n° 1842 du 05 janvier 2006, pages 3 à 5, L'Observateur n° 692 du 05 janvier 2006, page 5.
(3) Amath Dansokho, in Wal Fadjri n° 4145 du 06 janvier 2006, page 3.
(4) Cf. « Le Soleil » du 10 juillet 2006
(5) Bara Diouf, éditorial, "Le Soleil", 22 novembre 1982, première page.
(6) Bara Diouf, éditorial, "L'Espoir" n° 4, du 26 décembre 2005 au Premier janvier 2006.
(7) L’Observateur n° 750 du 17 mars 2006, page 4, et Le Populaire n° 1905 du 24 mars 2006, page 4.
(8) Epître aux Corinthiens : Cf L'Observateur n° 701 du 18 janvier2006 page 2
1 Commentaires
Allons Y Molo
En Octobre, 2010 (18:36 PM)Participer à la Discussion