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[ Contribution ] EMIGRATION ESTUDIANTINE OU HEMORRAGIE INTELLECTUELLE

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[ Contribution ] EMIGRATION ESTUDIANTINE OU HEMORRAGIE INTELLECTUELLE

La préinscription est devenue l’arme fatale de tout étudiant. En effet, elle est si importante qu’elle apparaît comme une seconde carte d’étudiant et figure parmi ses documents les plus confidentiels. Certains n’hésitent pas à consacrer leurs maigres bourses pour assurer certains frais relatifs à son obtention tandis que d’autres, se connectant toujours sur CAMPUS France, gardent les pieds plantés au Sénégal tandis que leur esprit les ont longtemps devancés en Europe et aux Etats-Unis.

De quoi manque le Sénégal et ses universités et quelles sont les dispositions de l’Occident  qui troublent le sommeil de ces étudiants,  ambassadeurs intellectuels et espoirs de leur nation? Quelles sont les réelles motivations, autrement dit les raisons diffuses qui les incitent à partir ? Ces étudiants étrangers développent-ils le Sénégal ou développent-ils l’Occident par le ralliement de ses structures de croissance ? Pourquoi ceux qui ne travaillent pas ne rentrent pas ? Voilà la problématique essentielle qui constitue l’ossature de cet essai.

L’université Sénégalaise en panne

Depuis le XVIII e siècle, si nous interrogeons bien l’histoire, des étudiants quittaient l’Afrique en général et le Sénégal en particulier pour continuer leurs études dans les métropoles respectives. Et, depuis quatre décennies environ, l’émigration estudiantine est devenue un phénomène social total, un phénomène à part entière et non pas entièrement à part.
Le moteur des universités publiques ne fonctionne plus et l’enseignement supérieur est entrain de traverser une zone de turbulences. Ceci étant dû à un chapelet de facteurs parmi lesquels nous pouvons noter :
-La violence revendicative qui déstabilise la tranquillité et la sérénité psychologique, gages d’une excellence véritable et durable. Il ne peut y avoir de production intellectuelle dans un climat de violence et les étudiants, pensant que seule cette violence peut les aider à satisfaire leurs revendications majoritairement alimentaires, déposent sur leur table de bilan annuel des morts et des blessés graves.
-Les mouvements intempestifs de corps administratif et professoral  portent atteinte à l’amélioration de l’éducation et de la formation. Même si leurs revendications sont légitimes, un déficit de connaissance, l’avenir brisé d’un nombre incalculable d’étudiants qui peinent à s’en sortir à cause de contrôles continus rapprochés et de rattrapages mal programmés, constituent des dérives qu’aucune faveur syndicale ou avantage pécuniaire ne saurait légitimer ou justifier.
La liste est longue mais ces facteurs nous semblent largement révélateurs.
Devant une telle situation qui remet en question la centralité de l’université et la productivité de l’enseignement supérieur sénégalais, les étudiants s’expatrient vers la France, les Etats-Unis et la Suisse et ne rentreront jamais tandis que ceux qui restent ne travaillent pas.

Les facteurs incitatifs à l’émigration estudiantine

Ici, fondamentalement, nous distinguons plusieurs raisons officielles et une raison officieuse. Concernant les raisons officielles nous notons :

-des conditions d’études favorables : En effet les universités occidentales sont désengorgées car multipliées et reflétant leur niveau de développement. En effet, un corps professoral disponible dont on entendait seulement parler à travers la liste des auteurs s’ajoute à la documentation fraîche et pluridisciplinaire, accessible et en quantité. Ensuite, nous avons un meilleur accès aux T.I.C., un rapprochement avec certains organismes internationaux et la possibilité d’intégrer certaines structures, surtout dans ce monde qui fonctionne en réseaux.

-Un rythme accéléré de réussite et d’acquisition de diplômes pointus et dans plusieurs domaines privilégiés : En effet, certains diplômes comme le Master peuvent se faire en une année, séminaires et mémoire confondus, là où il faut patienter deux à trois ans avant de soutenir.

-Enfin, en France, aux Etats-Unis ou en Suisse, l’individu étudie et travaille en même temps. Par exemple, aux Etats-Unis, les emplois du temps sont faits en sorte que l’étudiant va à l’université  le jour et travaille le soir ou la nuit et vice  versa.
Il ne sera jamais superflu lorsqu’à un certain âge et surtout étant aîné ou soutien de famille nombreuse et pauvre, qu’on puisse gagner sa vie et se prendre en charge soi-même.
Pour ce qui est de la raison officieuse qui fait choisir à ces étudiants l’expatriation, il s’agit de la recherche effrénée du bien-être. Il est vrai qu’il est encore une conviction indélébile chez certains esprits, un facteur d’élévation à un certain rang social, d’octroi d’un certain statut, le fait d’être régulier dans les avions, d’avoir un diplôme occidental et de s’identifier à l’Europe par exemple, même si on habite là bas dans un foyer et qu’on passe pour un excellent cuisinier.

Des conditions de vie inhumaines

80% des étudiants qui partent étudier sont non boursiers et par voie de conséquence, comptent sur des moyens personnels ou parentaux. En effet, la bourse et l’aide ne sont pas accessibles à tout un chacun et n’obéissent pas toujours à des critères de transparence acceptables. Même si la bourse est accordée, l’étudiant doit attendre encore dix mois voire une année avant de la percevoir. Entre-temps, il aura toutes les raisons d’abandonner les études et  de partir en Espagne ou en Italie pour devenir immigrant économique ou Modou Modou. Ceci est très fréquent chez les étudiants de premier cycle surtout les non boursiers.
Le Sénégal a tellement perdu d’intellectuels et de cerveaux par ce canal. En fait, ce sont des bourses qui les bourrent d’impatience et d’espoir et des aides qui ne les aident pas en réalité. Ce qui les plongent dans des difficultés atroces.

-Généralement les non boursiers qui sont de loin les plus nombreux habitent dans les foyers où ils s’entassent dans de toutes petites cellules de 9m2.De surcroît, les conditions de salubrité sont catastrophiques. Ces résidences, traditionnellement construites pour les immigrants travailleurs, sont le plus souvent éloignées de leurs universités.
Les plus faibles dépourvus d’une préparation ou d’un stoïcisme moral peuvent tomber sous les charmes de prostituées de tout âge qui les harcèlent dehors.

-N’ayant pas de quoi acheter régulièrement le ticket de transport et évitant à tout prix les contraventions qui ternissent leurs casiers, ils préfèrent marcher en groupe ou individuellement, surtout sous la neige de la province française, pour aller à la fac. Quant à ceux des Etats-Unis, ils sont plus chanceux car la disponibilité du travail étudiant leur permet d’acheter des voitures même si celles-ci ne rouleront jamais sur le sol sénégalais vu leur âge avancé, contrainte imposée par le protectionnisme économique.

-Les étudiants étrangers sont souvent exposés aux agressions physiques et à la criminalité surtout ceux qui travaillent dans la sécurité dans les grandes surfaces au pays de l’Oncle SAM et en France .Les meurtres d’étudiants sont de plus en plus observés et les rapatriements de corps assurés par les associations de sénégalais.

-Invraisemblable mais vrai, il y’a des étudiants qui se suffisent d’un repas par jour, ne mangent pas à leur faim ou plongent dans la monotonie culinaire des pâtes et des œufs. Le ticket du restaurant universitaire s’avère être trop cher et par conséquent, ils préfèrent ou du moins sont obligés de manger chez eux. Cependant, ils sont critiqués par certains parents impatients qui les sollicitent au téléphone pour leur envoyer de l’argent dont ils ne disposent pas.
Devant de tels obstacles à leur éducation et formation, les étudiants non boursiers ont trois alternatives :
1. Jeter l’éponge et non pas le tablier puisqu’ils n’en disposent pas et partir ailleurs.
2. Se débattre jusqu’à quand alors, on ne le sait pas, dans ces terribles difficultés. Ce qui fait d’eux des proies toutes faites face à la drogue et autres dérives.
3. Chercher à corps défendant, du travail étudiant ou petit-boulot qui rend petit.

Ces petits-boulots qui usent leurs capacités physiques et intellectuelles

Devant la nécessité de vivre et de survivre et face à l’atrocité des conditions d’existence due à la rareté de la bourse et de l’aide, leurs parents font le tour, pour ne pas dire la cour, chez les charlatans pour mettre la chance de leur côté pour l’obtention de travail.  Ainsi, entre cuisinier plongeur, agent d’entretien et de nettoyage, agent de sécurité, réceptionniste, ils entretiennent la vie des occidentaux et celles de leurs propres familles.
Ces dix huit heures par semaines qui leur sont autorisées, au lieu de trente cinq heures, leur permettent à peine de gagner six  cent euro, à condition que ce boulot soit trouvé.
En effet, dans ce contexte occidental de crise où l’américain, le français et le suisse  peinent à travailler, les chances des étudiants étrangers sont réellement menacées voire inexistantes.
Ces travaux usent leurs capacités physiques et intellectuelles mettant ainsi en veilleuse leurs productions intellectuelles. Pour montrer combien ces petites professions sont insupportables, nous disons que même s’il s’agit d’un travail où l’étudiant est assis sur un fauteuil et chargé de contempler un objet, son patron n’acceptera point qu’il ferme l’œil pour un clin.

Ils ne travaillent pas et ils ne rentrent pas

Ici, l’intitulé laisse apparaître un paradoxe : Les étudiants qui ont réussi, car ayant obtenu de valeureux diplômes, ne retournent pas dans leurs pays d’origine. Egalement, les titulaires de ces diplômes ne parviennent pas à trouver un travail proportionnel à leur formation reçue mais ne rentrent pas non plus. Par conséquent, étant donné qu’ils sont obligés de travailler pour se prendre financièrement en charge, ils s’éternisent dans des travaux qu’ils n’auraient jamais exercés au Sénégal et qui leur ôtent leur dignité, leur respectabilité et leur honneur. Ainsi, au moment où certains français et américains sont recrutés dans les universités grâce à leur citoyenneté, ils se livrent à des travaux qui sollicitent plus leurs capacités physiques qu’intellectuelles. Pourtant, l’étudiant est le professionnel de l’intelligence. Trouver des docteurs exerçant les métiers de réceptionniste dans des hôtels, de cuisinier plongeur ou d’ouvrier dans le génie civil est devenu fréquent. Po!
 urtant, ils sont indispensables à la construction nationale et au redressement de leur pays.

Les étudiants étrangers : des ressources humaines en décomposition

Perte ne saurait être plus grande que celle d’investir des milliards dans l’éducation et la formation d’une élite de jeunes, du C.I. à l’université, et que ceux-ci refusent de rentrer à l’issue de leurs études.
L’université n’appartient pas malheureusement à une élite mais au peuple. Elle est construite, entretenue avec les deniers publics, avec l’argent du contribuable.
Seuls quelques majors de promotion parviennent à travailler et dans des domaines pointus où ces pays se cherchent encore comme l’informatique, le nucléaire, le génie civil et la technologie .Ainsi, ils intègrent les structures de croissance de ces pays déjà développés qui n’ont pas investi leurs budgets pour leurs humanités intellectuelles. Par conséquent, ils délaissent pitoyablement leur pays qui sombre dans les profondeurs du sous développement.
Quant aux autres ressources humaines toutes faites qui n’ont pas été recrutées dans ces pays, elles sont entrain de moisir hors de nos frontières, dans des occupations  leur permettant d’avoir juste le minimum pour survivre. Elles ne sont pas galvanisées par de grandes ambitions et  oublient qu’il est parfois bon de prendre des risques tout en se mettant des les conditions de les maîtriser. Ils feraient mieux d’explorer le risque et le devoir du retour.
Au lieu de rentrer et d’assister le Sénégal dans son combat contre la faim, l’analphabétisme, les grandes endémies et l’insécurité, ils se limitent à donner à manger dans les restaurants, à enseigner dans de petites écoles au lieu de l’université, à assurer la salubrité des lieux et la sécurité.
Il est grand temps que nous soyons convaincus à jamais qu’en l’absence de ressources humaines motivées et en quantité, l’équation du redressement du Sénégal restera sans sens. Et l’enseignement supérieur est dans la vie d’une nation ce que le sang est dans l’organisme. Et ce qui est le plus paradoxal dans tout ceci c’est que ces étudiants ont été formés avec de l’argent emprunté par leur pays, d’où une incitation de retourner et d’aider à rembourser.
Que faudrait-il pour garrotter l’hémorragie ?

Solutions et perspectives

Ce pays en construction qu’est le Sénégal gagnerait beaucoup à assainir l’émigration en général et l’émigration estudiantine en particulier. En effet, il doit la régir par des règles consciencieusement élaborées et judicieusement appliquées.
Cette émigration intellectuelle, plus qu’une hémorragie, si elle n’est pas stoppée risque de causer le dépeuplement du pays. Pour cela, il est urgent de :

- Organiser certains concours administratifs nationaux comme l’ E.N.A.(Ecole Nationale d’Administration) et le C.F.J.(Concours de Formation Judiciaire) dans les grandes capitales occidentales comme New York, Paris, Berne. Ainsi, à l’aide d’un quota-diaspora, on assistera progressivement au décrochage de ces milliers d’étudiants sénégalais en dormance hors des frontières.

-Faire signer à tout étudiant un engagement de retour sur honneur au terme des études avec assurance totale de l’Etat de son respect sous peine de rapatriement forcé. En effet, il est bon de signer des autorisations de sortie du territoire national, mais nous pensons en toute conscience qu’il faut les obliger à rentrer participer au développement.

-Encourager l’installation des grandes universités occidentales au Sénégal, comme c’est le cas en Inde, pour retenir les étudiants sur place. Quant à ceux qui sont obnubilés par la recherche du bien être, ils n’ont qu’à se mettre au travail. Un Etat ne peut distribuer le bien être comme un gâteau mais il peut créer les conditions de son émergence.

-Vu la centralité de l’enseignement supérieur dans le processus de redressement des pays, vu le devoir d’assistance de l’Etat vis-à-vis des citoyens, le gouvernement du Sénégal gagnerait plus à octroyer plus de bourses, conditionnées à un retour obligatoire des étudiants mais dans des conditions de transparence et d’objectivité de haute facture.
Ainsi, comme l’a si bien réussi la chine qui était fermée sur elle-même de 1949 à 1963 et avait insisté sur l’importation de la bonne matière grise, le Sénégal doit envoyer le maximum d’étudiants s’accaparer de la science, de la technique et de la technologie.

-Créer des structures étatiques d’incitation au retour et à l’insertion des étudiants étrangers en créant les conditions idoines de leur rapatriement, de leur motivation, de leur intégration et responsabilisation.

En définitive, l’émigration estudiantine telle qu’elle se présente aujourd’hui constitue une menace réelle pour l’avenir de la nation. En effet, elle consiste à investir des milliards empruntés pour l’éducation et la formation d’intellectuels qui vont développer les pays occidentaux où ils sont exposés à tous les risques.
Chaque génération a une mission à accomplir ou à trahir et celle des étudiants étrangers est d’être pétris de connaissance utile « xam-xam » et non futile « xeum-xeum » et de secourir leur pays, surtout en ce contexte les crises : énergétique, alimentaire, climatique et financière.
Un Etat, une fois qu’il connaît les contours d’un problème, doit agir vite et bien, surtout efficacement. Si vraiment, les politiques sont armés jusqu’aux dents pour guetter des phénomènes nuisibles à la vie de la société, en voici un : l’hémorragie estudiantine.

 

Abdoulaye Idrissa Dièye                                               

Doctorant en sociologie du développement (sous la direction du professeur Abdoulaye NIANG et du professeur Pierre Philippe REY),

chercheur à l’URIC (Université Gaston Berger de Saint-Louis) et à l’université Paris 8 (Anthropologie et sociologie de la politique et du développement

E-mail : layediè[email protected]



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