Le Maroc est connu pour être la seconde patrie des Sénégalais. Ceux-ci sont notamment très nombreux à effectuer leurs études supérieures dans le Royaume chérifien qui constitue, juste derrière la France, la deuxième destination des étudiants sénégalais. Terangaweb est allé à la rencontre de cette forte communauté sénégalaise en interviewant Arame NDAO, Présidente de l’Union Générale des Etudiants et Stagiaires Sénégalais au Maroc (l’UGESM). Avec une pertinence et un sens de la formule remarquables, elle aborde la situation, souvent difficile et généralement méconnue, des étudiants sénégalais au Maroc. Un entretien qui vaut sans nul doute plus qu’un simple détour !
Terangaweb : Pouvez-vous présenter aux internautes de Terangaweb l’association que vous dirigez ?
Arame NDAO : Permettez-moi tout d’abord de me réjouir de l’intérêt que vous portez à notre association. L’Union Générale des Etudiants et Stagiaires Sénégalais au Maroc (l’UGESM) est une association qui, comme son nom l’indique, regroupe tout élève, étudiant et stagiaire sénégalais résidant sur toute l’étendue du territoire marocain. Elle a été créée en 1979 par de valeureux étudiants comme j’ai l’habitude de les qualifier. Des étudiants qui avaient senti la nécessité de s’unir, de s’entraider dans un pays avec lequel le Sénégal a pu tisser des relations séculaires et exemplaires.
De 1979 à 2009 l’UGESM n’a cessé de s’agrandir. Elle compte aujourd’hui plus de 1 000 étudiants qui sont aussi bien dans le public que dans le privé. Et avec nos sections qui sont dans presque toutes les villes du Royaume, nous essayons tant bien que mal de hisser la communauté estudiantine sénégalaise au rang des communautés les plus unies et les plus solidaires.
Nous essayons également de rendre le dépaysement qui accable tout étudiant à l’étranger moins pesant à travers diverses activités réunificatrices. Parmi celles-ci, les fêtes religieuses (Korité, Tabaski, Tamxarit…), des tournois de sport, des thé-débat etc. L’activité phare reste cependant la journée culturelle sénégalaise. Un grand rendez-vous très attendu et qui réunit chaque année tous les sénégalais du Royaume Chérifien.
Terangaweb : La plupart des étudiants sénégalais au Maroc perçoivent des bourses aussi bien du Maroc que du Sénégal. Il semble cependant que beaucoup d’entre eux font face à des difficultés financières. Qu’en est-il exactement ?
A.N. : Il est vrai que nous percevons une bourse bimensuelle de l’Agence Marocaine de la Coopération Internationale (AMCI), en plus de celle du Sénégal. De prime abord, cela ferait penser que nous sommes à l’abri du besoin alors que la situation est tout autre. Par exemple, contrairement à nos camarades étudiants qui vivent en France, nous ne percevons pas de frais d’équipements (trousseau) de la part du gouvernement sénégalais. Et pourtant, à en croire le guide de l’étudiant sénégalais au Maroc - un guide que nous recevons de nos autorités -, cette somme, d’une valeur de 100 000 FCFA, nous revient de droit « chaque année, au moment du paiement des bourses du premier semestre». Inutile de préciser donc que nous payons nous-mêmes nos frais d’équipement avec la modeste bourse qui nous est octroyée.
Et en parlant de cette bourse sénégalaise, laissez-moi vous dire que depuis 1986 elle est restée inchangée. Ce qui n’est pas le cas des réalités économiques qui ont, quant à elles, bien changées depuis. J’en veux pour preuve le taux d’inflation moyenne qui augmente en moyenne de 4 % par an au Maroc. Ainsi, le loyer a connu une flambée très remarquable. Les étudiants qui sont à majorité dans des villes touristiques (Marrakech, Rabat, Casablanca, Agadir…) mettent les bouchées doubles pour s’en sortir, l’essentiel de leurs bourses servant à régler le loyer. Et encore une fois de plus, nos camarades étudiants des villes européennes qui sont confrontés à la même situation bénéficient d’une aide logement, ce qui n’est pas notre cas.
Il en est de même pour l’allocation de vacances que nous ne percevons pas. Ce qui veut dire que nous passons nos trois mois de vacances sans bourse. Et personne n’ignore que le Maroc n’offre pas beaucoup de possibilités de « job d’été ».
Autant de réalités qui aident à y voir plus clair dans ces difficultés financières auxquelles nous sommes confrontés.
Terangaweb : Votre association mène-t-elle des actions pour venir en aide à ces étudiants en difficulté ?
A.N. : Cela va de soi. Je ne parlerai pas ici des lettres et mémorandums que nous ne cessons d’envoyer à nos autorités et ministres de tutelle pour leur exposer de manière détaillée notre situation. Bien évidemment, ils sont à inscrire au chapitre des actions menées, mais comme ils manquent d’immédiateté, je préfère passer à autre chose.
Nos étudiants sont malheureusement secoués de plus en plus par des maladies cérébrales, surmenage et autres. Nous ne ménageons dans ces cas, aucun effort pour qu’ils aient l’assistance et l’aide dont ils ont besoin. Ainsi, avec l’aide de l’ambassade du Sénégal au Maroc, nous avons pu collecter à maintes reprises, des sommes destinées à soigner des surmenés ou à leur payer le billet du retour auprès de leurs parents.
Pour ce qui est des étudiants qui sont à un degré de galère assez intense, avec notre modeste budget des cotisations, nous ne manquons jamais de leur prêter quelques dirhams, à chaque fois qu’ils s’en ouvrent à nous. C’est dans ces moments là que notre solidarité et se fait le plus sentir. Et c’est également dans ces moments que l’UGESM trouve pratiquement toute sa raison d’être.
Terangaweb : Existe-t-il d’autres difficultés auxquelles les étudiants sénégalais du Maroc sont confrontés ?
A.N. : Evidemment que nos difficultés ne s’arrêtent pas là. Je pourrais en évoquer d’autres qui n’en sont pas moins affligeantes : la couverture sanitaire par exemple. Elle nous est accordée par l’Agence Marocaine de la Coopération Internationale (AMCI) qui plafonne ses remboursements de frais médicaux à 1 000 dirhams (100 Euro). Ce qui veut dire que si un étudiant se voit obliger de séjourner à l’hôpital, même s’il dépense 5 OOO DHS ou plus, il ne sera couvert qu’à hauteur de 1 000 dirhams tout au plus.
Nos camarades marocains qui sont au Sénégal ne vivent pourtant pas la même situation. Ils se voient intégralement remboursés par le COUD en cas de maladie. Comme nous sommes dans le cadre d’une coopération bilatérale, nous souhaiterions qu’il y ait réciprocité ou que notre gouvernement étudie toute autre possibilité de couverture sanitaire. Nous en avons récemment parlé au tout nouveau ministre des affaires étrangères, Me Madické Niang qui s’est montré très réceptif. Nous en avions également parlé au ministre Sada Ndiaye, sans oublier les lettres que nous avons adressées à notre ministre de l’éducation. Nous espérons fortement, comme promis, des avancées dans ce domaine.
Un autre problème nous tient tout aussi à cœur : la création d’un bureau de gestion des étudiants à Rabat. C’est le SGEE, basé à Paris, qui continue de s’occuper du traitement de nos dossiers ainsi que ceux de tous les étudiants sénégalais qui résident à l’étranger. Ce bureau administre donc, à lui seul, les dossiers de plus de 7 000 étudiants. Et nous savons bien que le Maroc, avec plus de 1 000 étudiants, constitue la deuxième destination des étudiants sénégalais après la France. Un nombre qui s’accroit annuellement et qui pose à l’ambassade du Sénégal, des problèmes d’acheminement de nos dossiers au titre des renouvellements et compléments de dossiers.
S’en suivent comme conséquences des états d’allocation bloqués sans raison, des omissions et retards dans le paiement de nos bourses. Ces raisons justifient amplement la création d’un bureau spécifique de gestion des étudiants du Maroc. Et nous signalons qu’en accord avec l’ambassade du Sénégal au Maroc, un espace à été trouvé pour accueillir ce bureau à Rabat, dans les meilleures conditions qui soient.
Terangaweb : Votre association organise chaque année des journées culturelles qui permettent de mieux affirmer la présence sénégalaise au Maroc. Quel bilan en tirez-vous et existe-t-il d’autres projets de ce type ?
A.N. : Nous organisons effectivement, comme je vous le disais d’ailleurs, une journée culturelle sénégalaise qui est un grand rendez-vous annuel. Un moment d’intenses communions où tout un chacun se joint à la cause patriotique. Cela fait chaud au cœur de voir des étudiants, le temps d’une journée, se transformer en artistes, poètes, chanteurs, danseurs, lutteurs, communicateurs traditionnels etc. Leur engagement et leur dévouement sont tels que les journées culturelles sénégalaises sont très prisées par nos amis des autres communautés.
Nous ne pouvons qu’en tirer un bilan très positif. Nous pouvons en effet nous targuer, et à juste titre, d’être les porte-drapeaux de notre culture, dans un pays où se côtoient plus de cinquante nationalités différentes. Nous le faisons avec patriotisme et cœur vaillant et nous sommes bien sûr tentés de l’élargir. Nous souhaitons notamment faire en sorte que nous puissions réduire la distance qui nous sépare de nos compatriotes des villes d’Oujda et d’Agadir, afin qu’une seule et unique journée puisse se tenir. Cela donnerait une touche beaucoup plus coloriée à nos journées culturelles. Avec des subventions, nous le réussirons certainement, et nous profitons de l’occasion que Terangaweb nous offre pour inciter nos autorités à nous aider dans ce sens.
D’autres projets, surtout dans le domaine sportif, sont également en gestation. Nous voudrions organisés des tournois de football inter-villes, histoire de mieux réussir l’intégration des étudiants. Tout cela ne sera possible que quand nos autorités auront répondu favorablement à nos appels.
Terangaweb : La situation sociopolitique au Sénégal ne laisse certainement pas indifférents la plupart des membres de votre association. Quelle lecture en faites-vous ? Dans quelle mesure, à votre avis, les étudiants sénégalais résidant à l’étranger, notamment au Maroc, pourraient-ils contribuer à améliorer la situation du Sénégal ?
A.N. : Nous ne restons effectivement pas de marbre face à cette crise qui secoue le Sénégal. Nous la suivons de très près et nous nous en offusquons toujours. C’est tout le pays qui est chamboulé et on ne sait plus qui est qui et qui fait quoi. C’est une situation qui risque de perdurer si l’on n’apaise pas les tensions. De part et d’autre on doit cesser les discours politiciens, les prises de bec et penser une fois au Sénégal et à ses pauvres citoyens. Il me semble qu’on oublie trop souvent le peuple qui est pris en otage.
Aux autorités de ce pays de redorer le blason du Sénégal, de couper court à ces spéculations et de se pencher entièrement sur nos maux. Il est certain qu’avec un système éducatif de plus en plus agité et un train de vie intenable, nos autorités gagneraient plus à parler moins et à agir plus. Notre pays ne s’en porterait que beaucoup mieux.
A nous également, jeunes expatriés de jouer notre partition car nous avons droit au chapitre dans cette crise. C’est ce que nous, étudiants au Maroc, avons compris lorsqu’on intitulait le thème de notre dernière journée culturelle « le Sénégal à l’épreuve des phénomènes sociaux : quelle issue envisageable ». Ce thème avait fait l’objet d’un débat très fécond où tout un chacun essayait de proposer une sortie de crise. Ces propositions sont déjà rassemblées, et nous envisageons de les envoyer à nos autorités. Nous espérons attirer leur attention par ce geste. Si tous les jeunes expatriés font de même, nous aurons plus de chances d’être écoutés et de voir la situation du Sénégal améliorée, voire rétablie.
Propos recueillis par Halima Djigo et Nicolas Simel, pour le compte de Terangaweb
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