Le cinéaste Mahamat-Saleh Haroun, qui a remporté le prix du Jury du 63e Festival de Cannes dimanche avec "Un homme qui crie n’est pas un ours qui danse", signe des fictions graves et bouleversantes, avec lesquelles il souhaite "ramener l’Afrique dans l’Humanité".
"Les films que je fais, c’est tout simplement pour ramener l’Afrique dans l’Humanité. Il me semble que souvent, on lui a refusé cela" a-t-il lancé à la presse internationale réunie à Cannes.
"On me dit que mes films sont universels, mais je suis un homme donc je suis porteur d’universel. Cela ne devrait étonner personne, que je fasse un film universel !"
A 49 ans, il a réalisé trois autres fictions : "Bye bye Africa", qui a gagné le Prix du premier film au Festival de Venise 1999, "Abouna" (2002) et "Daratt" qui remporta le Prix du jury à Venise en 2006 et l’Etalon de bronze au Festival panafricain de Ouagadougou (Fespaco).
"Quand j’ai vu le drapeau du Tchad flotter à l’entrée de la Mostra en 1999, ça m’a fait quelque chose", confiait-il dans un entretien à l’AFP.
Il avait sept ou huit ans lorsqu’il est entré dans l’unique cinéma d’Abéché avec son oncle, pour fêter la fin du Ramadan en regardant un film de Bollywood.
"J’ai été marqué par un gros plan d’une belle Indienne qui regardait la caméra et qui souriait. J’ai cru, l’espace de quelques secondes, que ce sourire-là m’était adressé".
Voir des films devient une obsession pour le petit garçon, qui campe chaque jour devant l’entrée du cinéma, quêtant auprès des adultes de sa connaissance les quelques pièces nécessaires à l’achat d’un ticket.
Lorsqu’il a 12 ans, la famille s’installe dans la capitale N’Djamena, où le père, administrateur de lycée, a été nommé, et Mahamat-Saleh Haroun découvre les plaisirs des séances à ciel ouvert le soir, en se cachant car "sortir seul le soir était mal vu". A 15 ans on l’autorise enfin à fréquenter les cinémas à sa guise, ce qu’il fait "tous les soirs, quel que soit le film".
Mais alors qu’il est encore lycéen, la guerre civile éclate entre partisans et opposants du Premier ministre Hissène Habré et "tout s’arrête, le 12 février 1979 à six heures du matin". Lorsqu’il reçoit une balle perdue, son père le transporte dans une brouette, direction le Cameroun.
Envoyé en France, Mahamat-Saleh obtient son bac à Bordeaux puis le diplôme d’une école de cinéma à Paris, et enchaîne avec des études de journalisme, car il doute de pouvoir gagn er sa vie grâce au cinéma.
Reporter pour "La Charente libre", "Sud-Ouest" et "La Nouvelle République du Centre-Ouest", il écrit aussi des scénarios et réalise des courts-métrages, avant de tourner, avec 50. 000 euros d’aides, "Bye bye Africa".
La guerre le rattrape en avril 2006, sur le tournage de "Daratt", interrompu par l’entrée de troupes rebelles dans N’Djamena. Les affrontements font plus de 300 morts et Haroun décide de raconter cette fuite dans une "peur panique".
Il le fait dans "Un homme qui crie", où il dit avoir "condensé les guerres du Tchad, nombreuses en plus de 40 ans".
Au coeur de ses films : la filiation, car "l’Afrique a raté ce qui est fondamental dans sa culture, la transmission" entre pères et fils, dit-il.
Dans "Abouna", deux enfants se lançaient à la recherche de leur papa disparu sans un mot, après avoir cru l’apercevoir sur un écran de cinéma.
Et dans "Daratt", un adolescent tchadien était chargé par son grand-père, d’abattre l’assassin de son propre père, joué par Youssouf Djaoro.
"Un homme qui crie" met en scène l’acteur en ex-champion de natation, écarté de son emploi de maître-nageur au profit de son propre fils.
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