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Culture

Les assistantes sexuelles, fondamentales mais menacées

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Détail de l'affiche de Vivante, réalisé par Anoushka (2020). |
Ce métier trop méconnu et traqué par la loi française, bien que d'utilité publique, est mis en avant dans un film X actuellement diffusé sur Canal+.

Le 15 août, Canal+ diffusait en seconde partie de soirée le long métrage pornographique Vivante[1]. Le film se distingue par un casting quatre étoiles (Romy Furie, Bertoulle Beaurebec, Yumie Volupté et Bishop Black) et une imagerie pop réjouissante, ainsi que par l'un de ses thèmes: l'accompagnement sexuel. Vivante montre en effet comment, suite à un accident de la route, une jeune femme en couple depuis peu avec sa colocataire doit trouver le moyen de s'approprier son corps devenu handicapé.

Anoushka, la réalisatrice, justifie le choix de ce sujet fort et politique par son expérience personnelle: «Il était important pour moi de parler de ce métier et donc du handicap visible (ou non) parce que c'est une partie de ma vie. Depuis un peu plus de dix ans, je souffre d'une maladie chronique. Au tout début, j'avais énormément de douleurs et je pensais que ma vie sexuelle était bel et bien terminée… Comme le dit le personnage de Louisa dans le film, pour moi tout était "cassé" à ce niveau-là. La vie faisant, les choses se sont améliorées et j'ai pu progressivement me reconnecter à mon corps. Cette maladie —non visible— est assez handicapante au quotidien, et j'aurais tellement aimé à l'époque connaître l'existence de l'assistance sexuelle.»

En plus de développer la complicité de ses actrices via un temps de travail en commun antérieur au tournage, la réalisatrice a choisi de faire des recherches sur ce thème particulier… «À travers l'interview du personnage d'assistante sexuelle, intégrée au film, on essaye de faire passer des messages et des informations sur son métier. Et surtout, on ne dissocie pas assistance et travail du sexe! Cette interview a pour but d'expliquer le sujet et de donner des clés de compréhension.»

Anoushka tient à être claire: elle ne prétend pas que ses films puissent éduquer le public. «Ce n'est pas mon but et ce n'est pas celui du porno non plus. Je pose simplement des sujets sur la table et je laisse les spectateurs et spectatrices digérer ces informations ou pas. J'ai fait pas mal de recherches sur le sujet, j'ai multiplié les lectures et les visionnages de documentaires.»

La réalisatrice a également tenu à s'entourer de personnes compétentes et concernées. «J'ai eu la chance d'avoir des témoignages d'assistantes sexuelles, notamment celui de Cybèle Lespérance qui a un rôle dans le film, mais aussi de personnes en situation de handicap, comme Marie Léa Kinka. Ces témoignages m'ont beaucoup aidée à créer le récit et à apporter du réalisme à l'histoire. Je ne voulais pas être complètement déconnectée de la réalité.»

Apprentissage permanent

Venue du Canada et âgée d'une trentaine d'années, Cybèle Lesperance officie en France en tant qu'accompagnante sexuelle depuis l'été 2018. Après avoir été escort pendant cinq ans, elle s'est spécialisée dans l'accompagnement sexuel des personnes handicapées à partir d'une formation à l'APPAS (Association pour la promotion de l'accompagnement sexuel):

«Il y a beaucoup de choses qui m'ont poussée à choisir cette spécialisation. Je savais qu'il y avait des gens dans l'accompagnement sexuel qui n'étaient pas dans la sexualité commerciale, des personnes qui le font pour des questions d'empathie, de générosité. Moi, je me suis surtout dit que puisque j'avais pratiqué l'escorting auprès d'une variété de corps très différents, l'étape suivante était sûrement d'apprendre à aller vers les personnes handicapées.»

En découvrant son nouveau métier, elle s'est d'abord concentrée sur d'autres catégories de personnes: «J'avais une spécialisation sur les puceaux tardifs, des personnes qui ont de l'anxiété maladive, ou des personnes autistes Asperger. Je m'occupais de personnes qui avaient des handicaps plutôt psy ou sociaux. Je pense que c'est quelque chose qui influence mon approche et qui transparaît aussi dans le film, à savoir que l'escorting et l'accompagnement sexuel sont beaucoup plus proches que ce que les gens pourraient imaginer.»

Cybèle Lesperance se partage équitablement entre le travail du sexe et son engagement militant. Elle est en effet secrétaire générale du STRASS, syndicat français du travail sexuel. Actuellement, la moitié de sa clientèle est en situation de handicap. «En moyenne, je fais trois ou quatre rencontres par semaine. Je ne vois pas forcément de nouveaux clients à chaque fois, j'ai une clientèle beaucoup plus régulière que la moyenne des escorts. 60% de mes clients reviennent régulièrement.»

«L'escorting et l'accompagnement sexuel sont beaucoup plus proches que ce que les gens pourraient imaginer.»
Cybèle Lesperance, accompagnante sexuelle

L'accompagnement proposé par l'assistante sexuelle dépend de la demande. «J'ai des demandes de gens dans la vingtaine, qui sont handicapés et n'ont jamais eu de relations sexuelles et souhaitent explorer ce qu'ils peuvent faire avec une professionnelle, voir ce qu'ils peuvent donner comme plaisir à l'autre, tenter de voir s'ils sont capables de vivre la pénétration. Cette clientèle-là sera beaucoup moins régulière. Elle va venir me voir une première fois, et puis plus rien pendant six mois. Il va y avoir une deuxième rencontre et puis peut-être une autre rencontre plus tard.»

Un rythme qu'elle décrit comme un peu chaotique: «C'est normal, parce que la sexualité et son apprentissage sont des choses chaotiques. Pour d'autres types de personnes, comme celles qui ont des accidents, les rencontres vont être assez rapprochées. Ça dépend aussi de leur situation géographique. Je concentre mon travail dans la région Rhône-Alpes, dans un certain périmètre autour de mon domicile. Au début il m'est arrivé d'aller plus loin, mais ce n'est pas viable pour moi en fait, avec ma vie de famille, ma santé mentale, le prix du déplacement... Il faut mettre des limites dans sa façon de travailler.»

L'importance du temps social

Qu'il s'agisse d'escorting ou d'accompagnement sexuel, les prestations de Cybèle Lespérance sont facturées 200 euros de l'heure mais elle organise différemment le rendez-vous en fonction du besoin de son ou sa cliente:

«Pour toutes les personnes en situation de handicap, j'ajoute une heure de ce qu'on appelle du temps social. D'office, je réserve donc un créneau de deux heures, dont une heure où on est un peu plus dans la sexualité. Ce temps peut servir à compenser le handicap, et me sert notamment à diminuer l'anxiété en rassurant la personne, prendre plus de temps pour faire connaissance. Il y a aussi le temps consacré à la logistique: il faut parfois prendre le temps de mettre la personne dans le lève-personne si c'est nécessaire, de la déshabiller, de l'aider à se rhabiller pour la remettre dans le fauteuil... En général, je rajoute ce temps de façon gracieuse.»

Cybèle n'a pas reçu de formation pour l'utilisation de matériel médical, comme un lève-personne par exemple, mais sait créer une relation de confiance avec la personne handicapée pour que celle-ci lui explique les différents gestes dont elle a besoin: «Énormément de gens travaillant dans ce domaine apprennent sur le tas. Au début, j'étais très nerveuse parce que j'avais peur de mal faire ou de blesser, mais la plupart des personnes sont capables de s'exprimer oralement et de nous expliquer comment faire. Elles surveillent et valident chacun de mes gestes; quant à moi, je les laisse faire un maximum de choses par elles-mêmes, sauf si elles me disent qu'elles ont besoin d'aide.»

«Ce temps peut servir à compenser le handicap, et me sert notamment à diminuer l'anxiété en rassurant la personne.»

La complicité de proches ou de professionnel·les de soin est parfois capitale. «Dans les cas où la personne ne peut pas s'exprimer seule, il y a forcément quelqu'un qui vient pour la transaction et s'assurer, si le client ou la cliente est sous tutelle, de pouvoir procéder au paiement, d'organiser la logistique. La tierce personne peut aussi être là pour me donner des clés, pour interpréter ce qui se passe. À mon sens, cette présence est la principale différence, je trouve, entre l'accompagnement sexuel et l'escorting», explique l'assistante sexuelle.

La législation française actuelle fait prendre aux assistantes sexuelles des risques considérables. Les articles de loi sur le proxénétisme font en effet en sorte que tout individu qui assiste ou met en relation soit considérée comme proxénète: «La mamie qui essaye de faire en sorte que son petit-fils de 25 ans puisse voir une assistante sexuelle est considérée comme proxénète à partir du moment où elle participe à la transaction, que ce soit de retirer l'argent ou nous mettre en contact. C'est la même chose pour les gérants d'établissements. Toute personne qui est au courant qu'il y a une transaction dans ses locaux est considérée comme proxénète hôtelier. C'est très militant de la part de ses gens de dire qu'ils veulent prendre le risque parce qu'ils trouvent la cause juste.»

L'exception, c'est non

Cybèle Lesperance milite pour la dépénalisation de la prostitution et pour l'abrogation des lois sur le proxénétisme. «Dépénaliser la prostitution n'aura que des effets bénéfiques pour l'auto-organisation des hommes et femmes professionnelles qui souhaitent proposer de l'accompagnement sexuel. Je pense que c'est une fausse bonne idée que de créer une exception comme voulait le faire Sophie Cluzel lors de ses déclarations en février. Cela reviendrait à abandonner les travailleurs et travailleuses du sexe. C'est aussi une démarche qui est très validiste de dire que c'est différent, qu'il faut aller chercher son petit permis d'handicapé pour avoir le droit à une accompagnante sexuelle».

Son rêve? La dédramatisation de l'achat de service sexuel. «Si on arrive à abroger la pénalisation de clients et les articles de loi sur le proxénétisme qui empêche la mise en relation et la collaboration des professionnels, je rêverais de créer un genre de SCOP (société coopérative et participative) d'accompagnantes sexuelles ou de travailleuses du sexe qui font de l'accompagnement. En Australie, on l'a vu dans le documentaire Scarlet Road, il y a une association de travailleuses du sexe dans laquelle des personnes handicapées participent à la mise en place de formations de professionnelles à professionnelles.»

L'assistante sexuelle et la réalisatrice militent contre le validisme, un système de valeurs qui place les personnes non handicapées comme norme sociale. Cette forme de discrimination invisibilise le handicap comme conséquence d'événements de la vie, et constitue une entrave à certaines formes de diversité au sein de l'humanité.

Anoushka le rappelle: «Sans prétention aucune, j'espère que ce film pourra éveiller les consciences sur nos privilèges de valides, et nous faire comprendre qu'à tout moment on peut se retrouver dans une situation délicate (en handicap ou en trauma). Cela n'arrive pas qu'aux autres…»

1 — Rediffusé le 22 août, le film sera ensuite disponible pendant un an sur le replay de Canal+, puis sur le site internet d'Anoushka avec ses autres films.


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