Si la France est de plus en plus rejetée en Afrique, c’est qu’elle a eu une politique qui a produit le contraire de l’effet visé. La conviction est du directeur de l’Institut français des relations internationales (Ifri), Élie Tenenbaum, qui invite Paris à une autre approche dans cet interview avec le journal Le Point.
Vous évoquez une « contre-performance stratégique » de la France au Sahel. Pourquoi ?
On a une dynamique stratégique qui produit le contraire de ce qu'elle était censée produire. Elle a cherché à faire du partenariat, elle a produit de la friction, notamment avec le Mali. Elle a cherché à endiguer la dégradation sécuritaire, elle n'y est pas parvenue. Elle a cherché à préserver les intérêts de la France et on a (...) un sentiment anti-français exacerbé.
La France a-t-elle négligé les ambitions russes, turques, chinoises en Afrique ?
On s'est focalisé essentiellement sur la lutte contre le terrorisme, qui a pris une place déterminante, presque aveuglante. Il y a une divergence de priorités stratégiques avec des acteurs locaux qui peuvent être très opportunistes: un accord local avec les djihadistes peut être parfois moins inquiétant pour eux qu'une réforme du système électoral ou constitutionnel.
Par ailleurs, la conditionnalité démocratique nous met en porte-à-faux avec des régimes qui sont en plein recul sur ce point et n'hésitent pas à faire valoir la concurrence avec des compétiteurs qui eux ne conditionnent leur soutien à aucun critère intérieur. C'est l'offre russe et il y en a d'autres pas loin (Chine, Turquie, ndlr).
C'est là qu'on touche du doigt la fameuse contre-performance ?
L'opération militaire (Barkhane, ndlr) n'a pas démérité. Le but affiché était de maintenir la pression sur les groupes terroristes et de développer des partenariats avec les armées locales - d'une façon générale, cela s'est fait. Mais d'autres aspects n'ont pas fonctionné: le retour de l'Etat au nord Mali, le choix d'accompagner un processus de paix dont on savait qu'il était vicié et la préservation des intérêts stratégiques français qui n'ont, bizarrement, jamais figuré dans les objectifs officiels. On a aussi eu ces dernières décennies beaucoup d'hésitations, de changements de pied, qui ont créé de la méfiance chez nos partenaires.
Comment inverser la dégradation de l'image de la France en Afrique ?
Ce ne sera pas facile. Il faut réduire la visibilité de l'action militaire française qui agit comme un irritant pour les sociétés africaines.
Nous proposons de revenir à une logique de présence, avec un personnel militaire déployé pour longtemps, et non cette logique d'opérations extérieures qui créé une pression politique pour du résultat, déphasé avec l'agenda du partenaire.
Ensuite, il faut davantage assumer les intérêts politiques et économiques français pour désamorcer le discours conspirationniste. Ces intérêts existent, ils ne sont pas forcément mirobolants mais il faut les objectiver. Et pour autant, il ne faut pas oublier qui on est, l'offre de valeurs qui est la nôtre est importante.
On ne va pas se mettre à faire ce que font les Russes. Donc il faut une plus grande sélectivité dans le choix des partenaires (…) et rentrer dans une logique d'appui: au renseignement, en logistique, au feu aérien voire à l'artillerie. Ce qu'on a fait par exemple avec les Irakiens ou ce qu'on fait, sans l'appui feu, avec les Ukrainiens.
Vous proposez aussi un commandement militaire intégré sur l'Afrique, à l'image de l'Africom américain, en quoi cela consiste-t-il ?
On constate un mille-feuille bureaucratique qui nuit à l'efficacité et au lien avec les partenaires et sur lequel se greffent plusieurs opérations militaires, à chaque fois avec des commandements différents. Créons un commandement unifié, qui va de la formation jusqu'à l'appui opérationnel sous une même vision.
Cela aurait l'avantage de donner un numéro de téléphone unique à la stratégie française en Afrique. L'idée est aussi de dégager des marges de manœuvres pour de nouveaux enjeux en Europe et en Indopacifique. On est à la fin d'un cycle (...). Si on continue sur la même lancée, il y a des risques d'éviction stratégique forts de la France d'espaces importants et d'intérêts majeurs.
Vous évoquez une « contre-performance stratégique » de la France au Sahel. Pourquoi ?
On a une dynamique stratégique qui produit le contraire de ce qu'elle était censée produire. Elle a cherché à faire du partenariat, elle a produit de la friction, notamment avec le Mali. Elle a cherché à endiguer la dégradation sécuritaire, elle n'y est pas parvenue. Elle a cherché à préserver les intérêts de la France et on a (...) un sentiment anti-français exacerbé.
La France a-t-elle négligé les ambitions russes, turques, chinoises en Afrique ?
On s'est focalisé essentiellement sur la lutte contre le terrorisme, qui a pris une place déterminante, presque aveuglante. Il y a une divergence de priorités stratégiques avec des acteurs locaux qui peuvent être très opportunistes: un accord local avec les djihadistes peut être parfois moins inquiétant pour eux qu'une réforme du système électoral ou constitutionnel.
Par ailleurs, la conditionnalité démocratique nous met en porte-à-faux avec des régimes qui sont en plein recul sur ce point et n'hésitent pas à faire valoir la concurrence avec des compétiteurs qui eux ne conditionnent leur soutien à aucun critère intérieur. C'est l'offre russe et il y en a d'autres pas loin (Chine, Turquie, ndlr).
C'est là qu'on touche du doigt la fameuse contre-performance ?
L'opération militaire (Barkhane, ndlr) n'a pas démérité. Le but affiché était de maintenir la pression sur les groupes terroristes et de développer des partenariats avec les armées locales - d'une façon générale, cela s'est fait. Mais d'autres aspects n'ont pas fonctionné: le retour de l'Etat au nord Mali, le choix d'accompagner un processus de paix dont on savait qu'il était vicié et la préservation des intérêts stratégiques français qui n'ont, bizarrement, jamais figuré dans les objectifs officiels. On a aussi eu ces dernières décennies beaucoup d'hésitations, de changements de pied, qui ont créé de la méfiance chez nos partenaires.
Comment inverser la dégradation de l'image de la France en Afrique ?
Ce ne sera pas facile. Il faut réduire la visibilité de l'action militaire française qui agit comme un irritant pour les sociétés africaines.
Nous proposons de revenir à une logique de présence, avec un personnel militaire déployé pour longtemps, et non cette logique d'opérations extérieures qui créé une pression politique pour du résultat, déphasé avec l'agenda du partenaire.
Ensuite, il faut davantage assumer les intérêts politiques et économiques français pour désamorcer le discours conspirationniste. Ces intérêts existent, ils ne sont pas forcément mirobolants mais il faut les objectiver. Et pour autant, il ne faut pas oublier qui on est, l'offre de valeurs qui est la nôtre est importante.
On ne va pas se mettre à faire ce que font les Russes. Donc il faut une plus grande sélectivité dans le choix des partenaires (…) et rentrer dans une logique d'appui: au renseignement, en logistique, au feu aérien voire à l'artillerie. Ce qu'on a fait par exemple avec les Irakiens ou ce qu'on fait, sans l'appui feu, avec les Ukrainiens.
Vous proposez aussi un commandement militaire intégré sur l'Afrique, à l'image de l'Africom américain, en quoi cela consiste-t-il ?
On constate un mille-feuille bureaucratique qui nuit à l'efficacité et au lien avec les partenaires et sur lequel se greffent plusieurs opérations militaires, à chaque fois avec des commandements différents. Créons un commandement unifié, qui va de la formation jusqu'à l'appui opérationnel sous une même vision.
Cela aurait l'avantage de donner un numéro de téléphone unique à la stratégie française en Afrique. L'idée est aussi de dégager des marges de manœuvres pour de nouveaux enjeux en Europe et en Indopacifique. On est à la fin d'un cycle (...). Si on continue sur la même lancée, il y a des risques d'éviction stratégique forts de la France d'espaces importants et d'intérêts majeurs.
14 Commentaires
Dette De Sang De La France
En Mai, 2022 (11:19 AM)Reply_author
En Mai, 2022 (11:23 AM)Reply_author
En Mai, 2022 (13:00 PM)Reply_author
En Mai, 2022 (13:43 PM)Reply_author
En Mai, 2022 (14:38 PM)Rethiou Fal Macky
En Mai, 2022 (10:12 AM)Oussou Les Sous
En Mai, 2022 (13:00 PM)Selon lui, il ne pouvait pas comprendre lui ayant besoin de 400 bus de manière urgente qu'on lui présente un projet de livraison au compte goutte où la deuxième trouvera la première presque hors d'usage alors que en se rendant en Inde ou en Chine, il présente la même demande et on lui dit à quel moment voulait il qu'on lui embarque le même nombre de bus dans le bateau.
Ici, on a montré que ce qui n'irrite pas trop les Africains. Ce qui irrite c'est plus grave encore et le Mali n'en est qu'un élément déclencheur ce qui fait que ce sont les populations elles mêmes veulent prendre maintenant leurs destins en mains en se désolidarisant de leurs représentants qui en réalité ils voient que ces derniers ne préservent pas leurs intérêts nationaux.
Ce processus est irréversible quoi qu'il advienne car ce qui n'est plus tolérable, c'est d'avoir beaucoup de richesses exploitées et continuer à vivre dans la misère.
A lire ce Directeur, on sent cette politique de présence ou d'intervention qui montre qu'ils n'ont pas d'alternatives de politique de coopération économique. Ils veulent toujours leur présence militaire qui n'est plus vraiment souhaitée ici.
Koddafama2.0
En Mai, 2022 (10:23 AM)Galsen Diaspo
En Mai, 2022 (10:34 AM)Z Daraï
En Mai, 2022 (10:28 AM)La France n'a jamais chercher à défendre le Mali mais plutôt a cherché a organiser la partition du mali en deux états Sud etNord
60 ans après les indépendances nous constatons de manière quotidienne l'arrogance avec laquelle les gens de l'armée coloniale française se promènent dans nos pays il est temps que cela s'arrête 9 pour toujours
Cette armée coloniale qui a tué des civiles en Côte d'Ivoire et au Niger sans compter les assassinats de dirigeants africains progressistes doit s'en aller de chez nous pour toujours
A bas les dirigeants africains esclaves de la France
Reply_author
En Mai, 2022 (10:43 AM)Amagara
En Mai, 2022 (10:52 AM)Le "désamour" est dû surtout à l'arrogance des officiels français. Au Mali comme en Centrafrique, la France est venue comme elle voulait et "repartie" comme elle voulait.
Imaginer qu'au Mali tout est venu d'un groupe indépendantiste qui a été à l'origine de tout le désordre. Ils ont un discours démocratique mais de vrais terroristes dans le fonds. La France s'est illustrée en refusant l'accès de la ville de Kidal aux militaires maliens en 2013 pour des raisons qui sont les siennes.
Pour retrouver ses otages, elle combattait certains groupes dits terroristes avec d'autres groupes qu'elle dit non terroristes. Elle s'installe là où elle veut, combat qui elle veut mais laisse passer certains terroristes selon son plan. Combien d'ethnies a-ton au Mali pour que la France dise que les touareg sont les amis de la France.
Imaginez après 8 ans d'intervention, sans résultat probants, la France décide de quitter les bases de Kidal, Tombouctou, Tessalit. Sans consultation, sans préparation de solutions de rechange mais en même temps dit que le Mali ne doit ni négocier avec les terroristes, ni faire appel aux Russes.
On a entendu plusieurs fois Le drain et la ministre de la défense traiter les responsables maliens comme des irresponsables, illégitimes…. mais bizarrement le président qui a fait appel à la France en 2013, n'a pas été élu.
La France a eu trop de lignes rouges en Afrique en dictant toujours des ordres à nos dirigeants et devant l'échec de ces dirigeants, c'est la stratégie de la France qui s'est trouvé décrédibilisée en Afrique.
Quand Macron dit publiquement qu’il va faire appel aux président Ghanéen (CEDEAO) pour que des sanctions soient prises contre le Mali, là aussi, c'est vraiment lamentable pour les jeunes africains qui voient que les leurs dirigeants ne sont qu'aux ordres de Macron.
Que dire du Niger où c'est Macron qui annonce que Barkhane va se replier au Niger comme en territoire conquis, puis Bazoum le suit. Le partenaire que nous voulons n'est pas cette France trop hautaine qui n'a que du mépris pour les africains.
Le respect, comme a fait le Rwanda, doit s'obtenir de la France. Quand Chirac convoquait les présidents Africains pour les rencontrer à Dakar ou que Kagamé rendre coup pour coup à chaque attitude française, l'Afrique d'hier ne serait plus celle de demain.
La France avait toute la place en Afrique, désormais, elle doit faire avec des changements qui ne sont pas que de la faute de la Russie mais surtout de son arrogance. Les Africains ont leur choix, la France a ses choix mais l’Afrique ne doit plus accepter que la France lui dicte des choix. Oui, au Mali, on a des putschistes au pouvoir. Ailleurs, les putschistes sont acceptés et tolérés comme en Guinée, Burkina et même adulés au Tchad. Les régimes avec lesquels la France collaborait comme ceux de Ben Aly et autres n’étaient pas des exemples de démocratie. L’Arabie Saoudite n’est pas un exemple de démocratie mais la France n’a jamais demandé de décriminaliser l’homosexualité en Arabie Saoudite comme elle le demande en Afrique. Oui, nous avons un pouvoir illégitime mais croyions que le problème n’est la légitimité du régime malien mais juste les intérêts contrariés de la France. Quelles initiatives de fermeture de frontières ou autre a été prises contre le Burkina ou la Guinée ?
Clap De Fin
En Mai, 2022 (12:16 PM)sur le même veine, le systéme de breton woods a atteeint ses limites. soit elle est mutée, soit elle sera rempacée par des oragnisations régionales plus proches des realités.
les africains doivent se prenndre en charge, personne ne fera le job à notre place.
Esprit
En Mai, 2022 (12:16 PM)Informateur
En Mai, 2022 (15:34 PM)Participer à la Discussion